La cérémonie de l'espoir - une famille unie
Nous arrivons au village à l'aube, qui diffuse sur le village une lueur blanchâtre. Le ciel bleu sombre est tâché de violet. Nous descendons de nos montures et nous dirigeons vers l'unique bâtisse en pierre du village, qui est ornée pour l'occasion de guirlandes de perce-neige séchés. Nous sommes rejoints en chemin par quelques villageois, mais en entrant dans l'église, nous constatons que la plupart d'entre eux sont déjà présents dans l'édifice religieux.
Nous prenons place au premier rang et observons deux prêtres, vêtus de leurs longues robes brunes, allumer des bâtonnets d'encens. Il ne faut que quelques secondes à la fumée produite par ces derniers pour embaumer toute la salle de leur parfum fort et camphré, mais si agréable ! Je ferme les yeux pour savourer cette odeur épicée et prends une grande inspiration pour emplir mes poumons de cette senteur poivrée.
C'est la voix du Grand prêtre du duché de Westforest qui fait se rouvrir mes yeux bleus :
- Bienvenue à vous, mes enfants, en ce dernier jour sacré de l'année. Nous sommes réunis ici pour prier notre déesse de faire renaître la forêt au prochain printemps et de nous donner la force de surmonter les rigueurs de l'hiver jusqu'à cette saison tant attendue. Que chacun prenne par la main ses voisins afin que nous puissions prier en commun.
Sur ces mots, l'homme à la longue robe et à la haute mitre vertes attrape les mains des deux prêtres qui se tiennent à ses côtés. Au même moment, je sens celle, chaude et douce de mon époux, et celle, toute aussi chaude, mais ridée, d'Aurélie, se glisser dans les miennes.
La voix grave et solonnelle du Grand prêtre retentit à nouveau entre les murs de pierre :
- Ô, Diane, déesse des forêts et de la chasse, prends ton repos durant ces longs mois de froid, mais n'oublie pas de préserver tes loyaux enfants des rigueurs de l'hiver. Veille sur nous dans ton sommeil et, lorsque les beaux jours reviendront, fais renaître tes forêts afin que nous puissions y trouver à nouveau notre subsistance. Fais repousser les feuilles des arbres et les plantes de leur sol, réveille les animaux qui, comme toi, profitent des longs mois de gel pour se reposer et fais vivre l'espoir dans nos coeurs aussi longtemps que tu fais vivre tes arbres millénaires.
- Amen ! s'exclament en choeur toutes les personnes présentes.
- Maintenant que nous avons exprimé nos voeux à notre déesse, louée soit-elle, nous devons la nourrir afin de lui donner la force de les exaucer, poursuit le religieux.
Les deux prêtres qui se tiennent à ses côtés lâchent ses mains et quittent l'endroit pendant quelques minutes, puis reviennent avec le corps du cerf que mon époux leur a offert. Le Grand prêtre reprend aussitôt la parole :
- Voici l'offrande faite par notre bon duc à notre déesse, qu'elle le bénisse, et qui va lui servir de nourriture. Ô, noble Diane, accepte ce présent que nous te faisons !
Ses subordonnés attendent qu'ils finissent sa phrase, avant de jeter la bête dans le grand feu qui brûle aux pieds de l'imposante statue en pierre représentant la divinité de Forestisle. C'est de la fumée produite par la consummation du corps que la déesse doit se nourrir.
Je sens le souffle chaud de mon mari sur ma peau, tandis qu'il me murmure à l'oreille :
- C'est le moment où il faut faire un voeu personnel en priant Diane de le réaliser.
- Je vous remercie pour ce renseignement, mais vous vous doutez bien que ce n'est pas cette divinité que je prie, puisque je ne suis pas originaire de Forestisle.
- Je vous donnais juste l'information, libre à vous d'en faire ce que vous voulez, se contente-t-il de dire avant de se redresser et de fermer les yeux, sans doute pour formuler son voeu dans son coeur.
J'observe son visage paisible pendant quelques secondes, avant de clore mes paupières pour prier silencieusement :
"Ô, Cérès, toi qui veille sur moi depuis ma naissance, donne-moi la force de continuer à aider ces gens, restaure la paix sur ta terre et aide-moi à comprendre les sentiments que j'éprouve vis-à-vis de mon époux. Amen."
Une fois les bâtonnets d'encens totalement réduits en cendres, le Grand prêtre déclare :
- La cérémonie est maintenant terminée. Merci à tous d'être venus rendre hommage à notre déesse ! Laissons-la finir de se nourrir tranquillement à présent.
Nous nous levons et sortons de l'édifice religieux, suivis par les villageois. En sortant, je constate que le disque solaire apparaît à l'horizon, teintant le ciel de sa couleur dorée-orangée. Je m'immobilise pour prendre le temps d'observer ce magnifique paysage, lorsque je sens quelque chose de doux et de froid en même temps se poser sur mon nez, qui ne tarde pas à s'humidifier. Je touche ce dernier et sens mes doigts se mouiller à leur tour. Je regarde alors en l'air et vois plusieurs flocons tomber du ciel.
- Tiens, il neige déjà, remarque Robin. Tu te souviens à quel point on était surexcités à l'approche de l'hiver quand on était gamins ? ajoute-t-il à l'intention de son jumeau.
- Évidemment ! s'exclame-t-il en souriant. On attendait avec impatience les jours de neige pour pouvoir s'amuser et se lancer un tas de défis !
Je sens un bras entourer mes épaules. En me tournant vers son propriétaire, je découvre que Mathieu observe les deux rouquins avec un sourire triste. Je lui demande aussitôt :
- Est-ce que vous vous êtes tout autant amusé avec votre frère durant votre enfance ?
Il secoue la tête, puis déclare :
- Il avait toujours mieux à faire. . .
- Je suis vraiment désolée pour vous, dis-je en posant une main sur son dos pour le réconforter.
- Je sais que c'est mal, mais je les envie. Ils n'ont pas eu la même chance que moi de naître dans le confort et le luxe, mais ils ont celle, encore plus belle, je trouve, d'avoir un frère aimant qui est à leurs côtés depuis le début. Je n'ai jamais connu ces fous rires complices avec mon aîné, mais en les voyant si unis et heureux, ensemble, j'espérais qu'en vivant à leurs côtés, je pourrai trouver cette relation fraternelle idéale que je n'ai jamais connue avec eux. C'est pour cette raison que je les ai engagés à mon service.
- Est-ce qu'ils sont au courant de cela ?
- Non, je ne le leur ai jamais avoué. Ils pensent que ce sont leurs talents qui leur ont valu cette place. C'est ce que je leur ai dit le soir de notre rencontre.
- Et est-ce que ça a marché ?
- Je ne pense pas. Bien qu'ils se montrent toujours chaleureux envers moi, ils n'ont jamais la même attitude avec moi qu'entre eux et c'est bien normal : je ne suis pas leur frère. Ils ne voient sans doute en moi qu'un bon maître, c'est tout.
- Je suis sûre qu'il y a plus que cela, rétorqué-je. Leur comportement à votre égard est différent de celui des autres serviteurs envers leurs maîtres, aussi aimables soient-ils. Quand je vous observe, j'ai l'impression d'avoir sous les yeux une véritable famille, unie et soudée et à chaque jour qui passe, j'ai l'impression de faire un peu plus partie de cette famille.
- Vous en faîtes déjà totalement partie, déclare Mathieu en me serrant dans ses bras.
Je sens mon coeur battre de plus belle et je ferme les yeux pour savourer la chaleur de cette étreinte, qui est encore plus intense que celle de mon manteau de fourrure.
Annotations
Versions