Les battements de mon coeur - la peur
Je m'empare d'une nouvelle feuille, trempe ma plume dans l'encrier et me remets à gratter le papier. C'est le seul son, hormis le crépitement des flammes dans la cheminée, qui se fait entendre. Le château est bien calme depuis que Linaë et Calista sont sorties, escortées par les jumeaux, pour se rendre au village.
Je m'interrompts dans ma rédaction pour replonger ma plume dans le petit récipient plein d'encre lorsque la porte de mon bureau s'ouvre à la volée, laissant entrer un jeune homme aux courts cheveux roux et au visage déformé par la panique couvert de sueur. Je lâche l'objet blanc que je tiens en main sous l'effet de la surprise et lui demande, à la fois inquiet et intrigué, car il en faut énormément pour mettre cet individu dans un tel état :
- Que se passe-t-il, Robin ? Où sont les autres ?
- Le village est attaqué. . . parvient-il à articuler entre deux halètements. Les autres sont restés pour protéger les villageois, c'est madame la duchesse qui m'a demandé de vous prévenir au plus vite !
Mes yeux violets s'écarquillent de choc et d'horreur ! Je saute littéralement de mon fauteuil pour me précipiter à l'extérieur en lançant au rouquin :
- Reste ici pour veiller sur Aurélie ! Je compte sur toi pour la protéger si nécessaire !
- Je vous jure de tout faire pour, mais faîtes bien attention à vous ! Les assailants sont nombreux !
Je fais un détour par ma chambre pour récupérer mon épée, mon arc et mon carquois, puis fonce à nouveau dans le couloir sans m'arrêter.
Je m'assieds sur la rampe pour glisser jusqu'en bas et me retrouve ainsi au rez-de-chaussée en seulement quelques secondes. Je m'engage alors dans la cour enneigée jusqu'à l'écurie. Je selle mon cheval aussi vite que je le peux, m'installe sur son dos en précipitation et le lance aussitôt au galop.
Robin n'ayant même pas pris la précaution de refermer les grands battants en bois dans le feu de l'action, je peux quitter le château sans perdre plus de temps et m'enfonce avec ma monture dans la forêt environnante.
Je sens mon coeur battre si vite et si fort que j'ai l'impression que ma poitrine va exploser ! Je sue à grosses gouttes et tous mes muscles sont tendus. Je reconnais cette sensation, mais elle n'a jamais été aussi intense. . . Ce frisson glacé qui parcourt mon corps m'est familier : c'est celui de la peur. Oh, Diane ! J'ai si peur ! Faîtes qu'ils aillent bien, faîtes que j'arrive à temps, je vous en prie ! Linaë, Calista, Robert. . . Je ne supporterai pas de les perdre ! Et tous ces pauvres gens ! Il faut absolument que je les sauve !
Je n'entends rien d'autre que les battements de mon coeur, le vent qui siffle à mes oreilles et les flocons de neige qui craquent sous les sabots de mon cheval, jusqu'à ce que des cris perçants ne viennent troubler cette insupportable mélodie ! Je ne pensais pas que c'était possible, mais au même instant, je sens les battements de mon coeur s'intensifier encore et je donne un autre coup de talon à ma monture pour la pousser à accélérer.
Les cris sont ceux d'hommes, de femmes et d'enfants mêlés. Ils sont bientôt rejoints par des bruits de bois qui craque et se brise et de métaux qui s'entrechoquent.
Ce n'est qu'alors que je remarque les colonnes de fumée qui montent au ciel. Quelques secondes plus tard, j'atteins enfin le village ! Je découvre alors avec horreur qu'il est saccagé : bon nombre de maisons sont en feu, tandis que d'autres sont si abîmées qu'elles tiennent à peine debout. Je vois des habitants courir en tous sens pour échapper à leurs agresseurs, au milieu d'un véritable champ de cadavres ! Je prie de toutes mes forces pour qu'aucun de ces corps sanglants n'appartienne à un villageois, ou pire, à un résident du château. . .
Je secoue la tête pour chasser cette terrible pensée de mon esprit et lance mon cheval dans la direction d'où proviennent les sons de métaux entrechoqués. Je tombe sur Robert qui se bat à la dague contre deux hommes munis d'armes identiques. Pourquoi n'utilise-t-il pas son épée ?
Je galope vers eux, dégaine mon épée, puis me penche pour frapper l'un de ses adversaires en pleine gorge ! Sa tête vole sous la violence du coup pour retomber un peu plus loin, tâchant le sol blanc d'un liquide rouge. . . Ce n'est qu'alors que l'homme aux tâches de rousseur remarque ma présence :
- Monsieur le duc !
- Hein ? ! s'exclame le second ennemi en détachant son regard de la tête de son complice. C'est le duc de Westforest ? !
- En personne, lâché-je sur un ton froid, tandis que mon compagnon profite de son moment d'inattention pour l'empoigner par le col et placer son arme sur sa gorge.
- Garde-le en vie, si possible, lui ordonné-je. Je veux pouvoir l'interroger.
Je regarde ensuite autour de moi en demandant :
- Où sont les autres, Robert ? Et pourquoi n'as-tu pas ton épée sur toi ?
- Calista s'est enfermée dans l'église avec les malades, les religieux et la plupart des villageois. Quant à mon épée, c'est madame qui l'a. Elle est en train de combattre le reste de nos assaillants.
- Reste ici et tiens bien ce malandrin. Je vais rejoindre Linaë !
Sur ces mots, je lance à nouveau ma monture au galop pour parcourir le village sur son dos, à la recherche de mon épouse. Je la trouve quelques secondes plus tard, en plein combat contre trois hommes à la fois ! Elle contre leurs offensives à l'aide de l'épée de Robert, avec une agilité et une maîtrise surprenantes, mais on voit qu'elle est fatiguée par sa longue lutte : elle peine de plus en plus à les repousser. Elle parvient tout de même à esquiver le coup de poignard de l'un de ses adversaires en s'abaissant brusquement et en plantant son arme dans le ventre de l'assaillant, sous mes yeux ébahis !
Les deux survivants grincent des dents et se jettent sur elles avec férocité ! Je donne aussitôt un coup de talon à mon cheval pour le faire accélérer, mais je ne parviens pas à l'atteindre à temps pour lui éviter de se prendre une lame juste en dessous de l'épaule ! Elle pousse un cri de douleur qui m'arrache le coeur et se joint à mon hurlement horrifié :
- Linaë !
Je sens la rage monter en moi en la voyant poser une main sur sa blessure ensanglantée et tituber avant de tomber à genoux. Je pousse mon destrier à sauter pour atterrir sur l'un de ces monstres, l'écrasant dans un répugnant bruit d'os brisés ! L'autre, surpris et choqué par mon apparition et le sort de son camarade, tombe à la renverse en criant de peur ! Je ne l'épargne pas pour autant, sachant que je ne pourrais jamais pardonner ce qu'ils viennent de faire subir à ma bien-aimée : je saute dans la neige et me jette sur lui pour lui enfoncer mon épée en plein coeur, lui faisant cracher un filet de sang et rendre l'âme sur le coup ! J'extrais ma lame de ses chairs et le laisse s'allonger pour l'éternité, puis m'immobilise un insant pour reprendre mon souffle. C'est alors que j'entends la douce voix de Linaë m'appeler :
- Mathieu !
Je tourne la tête dans sa direction pour la voir se lever avec peine et se diriger lentement vers moi. Ce n'est qu'alors que je remarque qu'elle ne porte plus son manteau de fourrure, ni sa toque, et que le bas de sa robe est totalement déchiré jusqu'en haut des genoux ! Je lâche aussitôt mon épée pour me précipiter dans sa direction et la rattrape dans mes bras au moment où elle s'effondre de fatigue en l'appelant avec inquiétude :
- Linaë !
Je la sens se blottir contre moi et vois un sourire béat se dessiner sur son visage. Elle plonge ses yeux bleus dans les miens et murmure d'une voix faible , presque inaudible :
- Je vous aime.
Mes yeux s'écarquillent et je sens mon coeur manquer un battement, tandis que les siens se ferment doucement, pendant qu'elle lâche un soupir.
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