Nous arrivons à Dianapolis au crépuscule. Le carrosse s'arrête devant un imposant édifice en marbre blanc dont les coutours des fenêtres sont ornés de branches en bronze et de feuilles en émeraude. Nous descendons du véhicule et nous approchons des deux immenses portes en airain sur lesquelles sont gravées des biches galopant sous la lune. Les hommes gardant l'entrée, reconnaissant sans doute immédiatement leur prince, ouvrent les battants. Nous sommes introduits dans un immense hall d'entrée. Sur les murs sont peints des hommes chassant en forêt, sous la protection de leur déesse qui les éclaire de sa torche. Elle porte ici un cercle de tête muni d'un croissant de lune en argent et une robe blanche la couvrant jusqu'aux genoux. Sur le plafond est peint l'astre céleste sacré, entouré d'une multitude d'étoiles. Un lustre en cristal nous éclaire.

Les courtisans les plus curieux se pressent déjà autour de nous pour nous observer. Les plus proches nous font la révérence, à mon époux et moi, en nous saluant :

- Bonsoir, monsieur. C'est un plaisir que de vous revoir parmi nous !

- Bonsoir, madame. C'est un honneur que de vous rencontrer !

Le duc de Westforest reste stoïque face à toute cette attention. Je me contente de mon côté de sourire à chacun. Je recevais quotidiennement ce genre de phrases et de traitements, mais cela me semble si lointain que je ne sais plus vraiment comment réagir. Heureusement, cette situation quelque peu malaisante ne dure pas longtemps, puisqu'un valet ne tarde pas à venir à nous pour nous informer :

- Sa Majesté vous attend dans son bureau. ll m'a chargé de vous conduire à lui.

Nous suivons le domestique, qui monte le grand escalier recouvert d'un tapis vert brodé de fils d'argent, puis s'engage dans un dédale de couloirs jusqu'à arriver devant une porte. Il toque et une voix autoritaire lui répond :

- Entrez !

Il ouvre le battant et s'écarte pour nous céder le passage. Nous entrons et la porte est refermée par le serviteur. Nous nous retrouvons dons isolés dans ce bureau aux larges dimensions, dont trois murs sont recouverts de livres, ne laissant ainsi qu'une seule surface pour la décoration, qui est quant à elle constituée d'une simple représentation d'un homme à la peau lisse et claire, doté d'une longue chevelure châtain clair attachée en une queue de cheval et de deux yeux violets dans lesquels brillent une assurance et une ambition à toute épreuve. Il se tient droit sur sa monture, prêt à aller chasser, si j'en crois le carquois et l'arc attachés dans son dos.

La voix que nous avons entendu quelques secondes plus tôt me tire de ma contemplation :

- Bonsoir et bienvenue à tous.

Je quitte le tableau, encadré des deux seules fenêtres de la salle, des yeux pour les poser sur notre interlocuteur, dont l'apparence correspond exactement à celle de l'homme peint. Il contourne son bureau pour s'enquiérir :

- Votre voyage s'est bien passé ?

- La route a été longue, mais plutôt tranquille, Diane merci, lui répond Mathieu.

- J'ai appris que le village de Westforest a été attaqué par une bande de brigands. . .

- Oui, mais heureusement, les habitants ont eu plus de peur que de mal et nous ne déplorons aucun mort. Quant aux dégâts matériaux, ils ont été considérables, mais sont désormais tous réparés. En clair, le village se porte à nouveau à merveille.

- J'ai aussi une bonne nouvelle à t'annoncer : cette longue guerre devrait bientôt être terminée. Ces maudits révolutionnaires avaient au début l'avantage du terrain, mais maintenant que nos hommes sont entrés profondément dans les terres, ils connaissent mieux le territoire et nous les écraserons bientôt grâce à l'avantage que nous avons sur eux : l'expérience.

- Tu m'en vois ravi et soulagé. Cette guerre a déjà fait suffisamment de souffrances comme cela. Il est grand temps que tout cela se termine et que la paix revienne enfin !

- Ce n'est qu'une question de temps, mais. . . Tu ne me présentes pas tes compagnons ?

- Si, bien sûr ! Laisse-moi commencer par mon épouse Linaë. C'est une femme tout à fait charmante et admirable, tu verras, dit-il en me regardant avec tendresse et fierté.

- J'étais justement curieux de la rencontrer, déclare-t-il en s'approchant de moi. Bonsoir, madame, me salue-t-il en effectutant un baisemain.

- Bonsoir, Votre Majesté.

- Si tu étais si curieux de la rencontrer, pourquoi n'es-tu pas venu assister à notre mariage ? lui demande mon mari sur un ton de reproche. Ç'aurait été une plus belle occasion.

Le roi de Forestisle pousse un soupir, puis lui explique, sur le ton qu'on emploie lorsqu'on parle à un enfant :

- Tu sais bien que j'ai une guerre à mener, sans compter les affaires du royaume. Je n'ai même pas de temps pour moi-même. Estime-toi déjà heureux que j'ai le temps de vous accueillir. Qui sont les autres personnes qui vous accompagnent, d'ailleurs ? Je reconnais ta nourrice, mais le reste des visages m'est inconnu.

- La jeune femme est notre médecin, les jumeaux sont mes gardes du corps et ils viennent d'être rejoints par Fidel.

- Je vois. Bon, c'était un plaisir que de vous accueillir, mais le devoir m'appelle à nouveau. Nous nous retrouverons pour le souper.

Sur ces mots, il tire sur une cordelette, faisant ainsi tinter une clochette. Le valet de tout-à-l'heure entre et son roi lui ordonne :

- Conduis nos invités à leurs chambres et veille à ce qu'ils ne manquent de rien.

Il nous tourne ensuite le dos pour retourner s'asseoir à son bureau et se pencher à nouveau sur ses papiers. Je vois dans le regard de mon époux de la déception. Je prends donc sa main pour le réconforter et nous suivons tous le domestique à l'extérieur.