C'est l'heure. . .
Nous marchons tranquillement à l'ombre des arbres de la cour du château. Je contemple avec nostalgie les lieux où se trouvaient quelques mois plus tôt les jolis parterres de fleurs que j'avais plantés avec l'aide de mes amis. Les petites graines avaient donné une multitude de plantes colorées qui brillaient au soleil. Elles ont commencé à fâner avec l'approche de l'hiver.
Ce dernier est maintenant bien installé : tout est déjà recouvert de neige. J'ai insisté pour aller prendre l'air malgré la basse température. J'ai tout de même veillé à m'habiller bien chaudement pour protéger l'enfant qui grandit en moi du froid.
J'écoute distraitement les flocons craquer sous nos pas. C'est alors que je ressens une violente douleur au niveau du ventre. Je pousse un gémissement en touchant la partie concernée. Cela fait plusieurs jours maintenant que je suis victime de contractions s'intensifiant au fur et à mesure du temps. Elles n'ont cependant jamais été aussi violentes que maintenant. . .
Les deux femmes qui m'accompagnent le remarquent car elles me demandent :
- Est-ce que tout va bien ?
C'est en sentant un liquide couler le long de mes jambes que je comprends :
- Il arrive. . . C'est pour aujourd'hui.
- Retournons dans votre chambre, décide Calista en me prenant par le bras.
- Je vais vite prévenir le duc, nous informe Aurélie en se précipitant vers son bureau.
Nous rentrons aussi dans le donjon et montons les marches une à une car il est impossible pour moi de me presser dans mon état. Je n'aurais jamais pensé que monter un escalier pouvait être aussi épuisant !
Nous sommes bientôt rejointes dans ce dernier par mon époux. Il me prend dans ses bras sans un mot et me porte jusqu'à notre chambre, où il m'allonge sur le lit. La jeune femme aux yeux bleu violacé commence à déboutonner mon manteau et ce n'est qu'alors qu'il nous dit :
- Aurélie est partie chercher le nécessaire pour l'accouchement.
Je lui adresse un hochement de tête. Les violentes contractions qui m'assaillent m'empêchent de sortir autre chose de ma bouche que des gémissements de douleur. Mathieu prend ma main et la serre doucement dans la sienne. Ce contact me soulage un peu et je parviens à lui offrir un sourire. Je demande ensuite à Calista :
- Est-ce qu'il vous est déjà arrivé d'aider des femmes à donner naissance ?
- Oui. C'étaient toutes des femmes des quartiers défavorisés de la ville où j'ai grandi. Elles n'avaient pas les moyens de payer un médecin ou une sage-femme. J'étais la seule à accepter de les aider gratuitement.
- Comment était-ce ?
- C'était toujours long et éprouvant, mais je me souviens encore du sentiment de joie et de fierté qui m'envahissait à chaque fois que je voyais l'une d'elles prendre son nouveau-né dans ses bras.
- Comment font celles qui ne trouvent personne comme toi pour leur venir en aide gratuitement ? s'enquiert mon mari.
- Dans le meilleur des cas, leurs voisines ou autres connaissances qui ont déjà accouché ou aidé à donner naissance viennent leur donner un coup de pouce.
- Et dans le pire des cas ? lui demandé-je avec appréhension.
- Elles accouchent seules. C'est extrêmement risqué, mais elles n'ont pas d'autre choix.
- Je changerai cela, affirme le nouveau roi de Forestisle. Nous ne pouvons tolérer une chose aussi affreuse. . .
Au même instant, la porte s'ouvre sur Aurélie. Elle pose sur la table de chevet un récipient d'eau chaude et du linge propre.
Une nouvelle contraction, plus puissante et douloureuse que toutes les autres, m'arrache un cri. La vieille femme déclare simplement :
- C'est l'heure. . .
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