4. Et si...

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Baignée dans une lumière aveuglante, je ne distingue plus la salle, ni les ambassadeurs, ni Damien. Je suis transportée, et la chaleur qui grandissait en moi s’est transformée en électricité. Elle parcourt mon corps de part en part. Elle court le long de mes jambes, et remonte mon buste pour tourner vers mon dos. Mais c’est quand elle atteint mes omoplates qu’une douleur lancinante me transperce.

Je hurle, cri de toutes mes forces pour tenter de diminuer ma souffrance. Bientôt, elle se réduit, s’atténue et libère des étincelles de lumière. De fines rayures lumineuses qui s’échappent de mon dos. Je ne les vois pas, mais je distingue leur force, leur puissance et le feu qu’elles ont laissés sur leur passage.

Le crépitement de cette électricité s’allège et finit par disparaître. Elle laisse place à une douceur que je n’avais encore jamais ressentie. Un poids nouveau se loge au creux de mes omoplates, remplaçant la chaleur d’il y a quelques instants. Je sais ce qu’il représente, pourtant une crainte m’habite quand je les sens se déployer.

Je tends mes bras, étire mes doigts, je cherche à toucher ce pourquoi les flammes se sont allumées. Une délicatesse, fragile et divine entre en contact avec mes extrémités. Un doux sursaut s’empare de moi, quand je perçois le velouté de ces plumes que j’ai longtemps attendues. Des ailes dont j’ai peur de découvrir la couleur.

Sous cette sensation de liberté, et surtout cette impression d’avoir trouvé mon identité, je ferme les yeux. Mon corps se détend et redescend peu à peu. Très vite, mes pieds se posent sur le sol, et la lueur s’efface. La vibrance qui m’englobait se dissipe. Je me retrouve à ma place initiale, face au démon, une plume blanche dans la main droite.

— Petit ange, souffle le démon alors que mes yeux se posent sur lui.

Dans une respiration commune, il lève son bras, et tend les doigts pour atteindre les ailes qui habillent mon dos. Quand il entre en contact avec mon plumage, un sentiment de bonheur m’assaille. C’est comme si elles savaient qui il est. Son geste est court, je dois me séparer de son toucher lorsque des murmures grandissent dans la foule.

En me retournant, je fais face à six ambassadeurs droits comme des i, leur regard est bloqué sur mon dos. Des soupirs me parviennent du public. Je perçois des chuchotis pires que ceux dirigés vers l’enfant démoniaque de mon souvenir d’enfance. « Ses ailes… », « Elle est défaillante. », « Pourquoi ont-elles cette couleur ? », « Une déesse. », mais le plus récurrent et celui qui me fait frémir est : « ni blanc, ni noir ».

Soudain alors que je lève la tête vers le dôme vitré qui donne toute sa clarté à la pièce, je remarque une ombre. Un nuage de poussière qui se transforme en une multitude de plumes. Un mélange hétéroclite de blanc et de noir. J’ai l’impression que l’écho de ma respiration prend vie à travers cette nuée flottante. La chute de la main de Damien suspend le mouvement des plumes.

Puis dans un souffle, elles tombent les unes après les autres. Elles dégringolent et virevoltent au milieu de la scène. Pour terminer leurs chemins à nos pieds. Plus elles touchent le sol, plus le silence s’installe dans la salle. Seuls, les ambassadeurs restent debout, observant la scène avec des yeux ahuris. Un cercle de blanc et de noir se dessine autour de Damien et moi.

Alors que la dernière plume se pose par terre, un énorme fracas résonne dans la pièce. Ce sont les chaînes de la balance. Elles coulissent, s’agitent, et glissent. Les plateaux de l’ombre et de la lumière balancent et penchent d’un côté puis de l’autre, ne sachant plus de quel côté se placer. L’équilibre est rompu sans vraiment l’être, il frôle la limite, tanguant sans savoir comment redevenir stable.

— Qu’avez-vous fait ? Crie Thémis en descendant de l’estrade pour me faire face.

L’ambassadrice attrape mon poignet et le tire avec force devant elle. Son geste m’arrache un gémissement de douleur. Je comprends où elle veut en venir quand je pose mon regard sur le bout de métal encore présent sur mon bras. Mon bracelet est là. Toujours à sa place, pourtant je sens mes ailes, majestueuses et dressées dans mon dos.

— Que signifie cette couleur ? Répondez ! Hurle l’ambassadrice en me secouant par les épaules.

— Lâchez-la !

Cette fois, c’est Damien qui essaie de s’interposer entre moi et l’un de nos ambassadeurs. Cependant, son geste donne naissance à l’agitation de la foule. Les chuchotements, les remarques et les interrogations gonflent en même temps que les miennes. Je ne distingue pas la couleur de mon plumage. Ne comprends donc pas où veut en venir Thémis.

Je fronce les sourcils, tout en dégageant mes épaules de l’emprise de l’ange. Je n’ose pas tourner la tête pour examiner mes ailes. La peur m’assaille, la terreur de constater ce que je suis au fond de moi me prend aux tripes. Elle grandit pour me posséder entièrement. En ce jour, si spécial, je ne sais toujours pas si je suis ange ou démon, si la lumière me guide ou si elle me fuit.

Dans un mouvement, je me penche vers le jeune démon, et lui murmure la question qui me tord le ventre depuis plusieurs minutes :

— Qu’est-ce qu’elles ont mes ailes ?

— Elles sont… C’est difficile à décrire, petit ange, je n’ai jamais vu ça avant, m’annonce Damien d’une voix peu assurée.

Alors qu’il s’apprête à ouvrir la bouche pour m’en dire plus, nous sentons un souffle frais courir sur nos bras. C’est en relevant la tête dans un mouvement commun que nous tombons sur Thémis, furieuse, dans les airs au-dessus de nous. Elle nous domine avant de descendre en flèche vers moi. Dans un hurlement de colère, elle tend le bras vers mon dos, et m’attrape par l’une de mes ailes.

Dans l’effroi de la situation, j’essaie de battre des ailes pour me dégager. Et la force que j’y engage m’aide à m’extirper de la prise de Thémis. Mais, je n’avais pas calculé la hauteur à laquelle, elle m’a porté. La chute est rude. Je heurte le sol avec fracas. Me retrouvant étalée de tout mon long. Damien vient me porter secours, me tend la main avant de se faire violemment éjecter contre la balance.

Le chaos a pris le pas sur la tradition. À nouveau, la communauté ne dit plus un mot, ne bouge plus. Tous observent avec étonnement l’ambassadrice angélique perdue dans une folie sombre. Ils examinent le jeune démon se relever alors que l’équilibre continue de se balancer. Face à ce phénomène, je me demande ce que j’ai fait pour mériter une telle scène.

— Ça suffit ! intervient enfin l’un des ambassadeurs démoniaques. Reprends-toi Thémis ! Il doit y avoir une explication rationnelle à cette apparition.

— Oui. Sûrement une dérive génétique, énonce à voix haute notre second dirigeant angélique.

— Une anomalie génétique dis-tu ? Mais comment pouvez-vous croire à de telles inepties ? Ne voyez-vous donc pas comme moi, cette nuance ?

— Si. Toutefois…

— Toutefois, quoi ? Rien ! Vous n’avez rien à dire ! Elles. Sont. Argentées !

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