7 : Nuit & brouillard

2 minutes de lecture

« Ça s’paye cher, la compagnie d’un homme… »

Claire Keim à Sami Naceri, dans Féroce (2002), long métrage de Gilles de Maistre.

RN 508 (74)

le 1er janvier 1981

18:30

Un cabriolet BMW carrossé par Baur, une cassette audio de Wagner. Un parfum d’Allemagne. La brume s’est installée sur le Grand Lac et semble y prendre naissance, enrubannant ses rives de nuées laiteuses et fantomatiques. Une vingtaine de kilomètres à parcourir. Werner et toi.

— Tu peux m’expliquer ?

— T’expliquer quoi ?

— Ton comportement inqualifiable envers mes amis, Paul !

— Guillaume aurait dû être davantage vigilant quant à la valeur intrinsèque de son adversaire. Et puis, ils sont d’un ordinaire… Prodigieusement ordinaires, même ! C’est bien simple, sans cette partie d’échecs, j’aurais bayé aux corneilles. Tu m’avais habitué à mieux, Solenn, au Tout-Paris, aux extravagances…

— J’ai grandi avec eux, ils sont mes racines. Et tu leur as manqué de respect, tu as été odieux…

— Ils ont eu cette prétention de vouloir m’apprendre les ficelles de la politique !

— Ton aversion pour Coluche n’était qu’un prétexte !

— Un prétexte ? Parce que c’est toi qui te poses en donneuse de leçons maintenant ? Les arcanes du pouvoir et les moyens d’y accéder sont ta spécialité peut-être ? Non, tu ignores tout du sujet, alors tu la fermes ! Ai-je évoqué avec toi, ne serait-ce qu’une seule minute, ta piètre performance dans le navet qui tourne en boucle sur les écrans depuis Noël ? Non, je ne me suis jamais permis de le faire. Si Crozats te disait que ta prestation était d’une médiocrité affligeante, sa parole serait d’or. Moi par contre, je n’aurais qu’à me la boucler. Je n’y connais rien en cinoche, je n’ai aucune légitimité dans le monde du spectacle, alors je me tais et je garde mon opinion pour moi. Et je te prierai d’en faire autant.

Sa tirade ne souffre pas la moindre réplique et son ton se veut cassant. Pourtant, seul son timbre le trahit, Paul a à peine élevé la voix. Il augmente le volume de l’autoradio. Toujours Wagner. Une cigarette entre les lèvres, ton homme rétrograde et accélère l’allure au son de l’allegretto. Il ne voit pas le rimmel se diluer sur tes joues. Il a dénigré tes talents d’actrice. Au fond, c’est ça qui te fait le plus mal. Il n’admire plus l’artiste. Un paysage, des images troubles défilent devant tes yeux. Nuit et brouillard…

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