34 : Persistance rétinienne

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« Il y eut des rivages éblouis, des nuits blanches, des neiges éclaboussées, des mots solaires écrits sur les orages. Il y eut le désir réinventé, des soubresauts. Je l’ai vue se renverser pour boire la lumière avant de m’embrasser. Il y eut des vallées claires et des chemins de brumes. J’ai dormi en lui tenant la main sous des voiles lactées. Je me souviens des nappes de ciel sur nos tables étoilées. Je me suis barbouillé d’elle, insatiable. »

Bernard Giraudeau, Les dames de nage (2009)

Port de Sevrier (74)

le 17 mars 2008,

16:00

Je ferme les paupières.

Le piano de Frydman, cette mélodie…

Je m’évade de cette réalité qui m’enserre comme un étau.

Trop d’images en moi, trop de violence qui s’y superpose.

Alors je te rejoins, Solenn, dans ton monde parallèle.

Là où il y a ces eaux turquoise, des aigues-marines qui t’habillent et t’apaisent, un sable blanc qui s’écoule entre la finesse de tes doigts.

Un rêve…

En dehors de notre parenthèse presque enchantée à Amorgos, nous ne sommes jamais vraiment partis en vacances ensemble.

Jamais vraiment…

Tout au plus avons-nous visité le Peninsula et les bordels de Bangkok pour ton reportage engagé contre le tourisme sexuel et la prostitution de ces gamins, que des occidentaux s’achètent pour assouvir leur soif d’une luxure aussi indécente qu’indigne.

Une poignée de dollars pour se payer des fantasmes pédophiles lubriques, des minots qu’on exploite en esclaves.

Ça te révoltait, tout ça.

Tu voulais le dénoncer, le hurler à la terre entière, mettre ta notoriété au service d’une cause qui te bouleversait.

C’était pas du cinéma, c’était pour de vrai, et tu l’as crié haut et fort à la suite de la diffusion de ton documentaire en prime time, en ouverture d’un numéro inédit d’Envoyé Spécial consacré à la Thaïlande.

La défense de l’humain était au cœur de tous tes combats, des Restos du Cœur à SOS Racisme, en passant par ces sans-papiers que nous étions, ceux qu’on voulait expulser de votre territoire.

Tu gagnais petit à petit tes galons de représentante des opprimés, des laissés pour compte de la société.

Un paradoxe que ne manqueront pas de pointer du doigt tes plus fidèles détracteurs, Werner en tête : l’ambassadrice Chanel, la star de ciné qui a éclaboussé tous les écrans de sa glamour-attitude pendant près de treize ans, n’avait rien d’une petite fille de français moyens.

Et pourtant, un seul regard de toi a suffi à me faire chavirer.

J’ai tout de suite su que c’était toi, j’ai vu tout ce que tu étais dès cet instant dans tes yeux.

Même si je ne savais rien, même si Mina n’en finissait pas de me dire que tu étais une icône inaccessible, que tu n’étais pas faite pour moi.

Ta voix dans le micro, la ferveur de tes convictions ont fait le reste…

Mais je t’ai perdue, Solenn.

Dans les méandres de ma mémoire, il y a tout ce flou qui opacifie le film de mes souvenirs.

Des gros plans sur ton visage et sur ton corps, l’amour que je te faisais dans des draps de soie.

Et puis cette détonation qui me réveille toujours en sursaut.

Des clichés syncopés de ce mot glossé sur le miroir de ta salle de bain.

« Pardon ».

Et ce sang qui en rougit irrémédiablement le carrelage grège…

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