69 : L’été en pente douce
« Ce n’est pas parce que vous échouez une fois que vous échouerez dans tout. »
Marilyn Monroe
Boulevard d’Argenson
Neuilly-sur-Seine (92)
début juillet 1995
Tu veux quitter Paris, sa banlieue. Plus rien ne t’y retient désormais. Stephen n’y vit déjà presque plus, à peine par intermittence. Tu n’aimes plus Paris, non, exècres ce parisianisme obscène, outrecuidant, à la limite du ridicule. Tu es née provinciale, tu as grandi là-bas, à l’ombre de ces majestueuses montagnes qui viennent mourir sur la transparence bleutée de ton lac. Tu es devenue parisienne par obligation professionnelle, par habitude ; en es venue à avoir le même ego, la même suffisance, la même pédante arrogance que ceux qui en sont natifs et fiers. Comme si Notre Dame, la plus belle avenue du monde et la tour Eiffel leur appartenaient. Tu étais presque parisienne de souche, oui, représentais la ville lumière à toi seule, à travers les publicités qui te magnifiaient partout, les films franco-français qui véhiculaient ton image, l’exception culturelle que tu étais. Tu étais sublime, tu étais le spleen, semblable à ce Paris mélancolique signé Lavoine qui traîne encore parfois sur ma platine…
***
« Je pleure dans tes taxis /
Quand tu brilles sous la pluie /
C’que t’es belle en pleine nuit… »
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Tu n’aimes plus Paris, ne te confonds plus avec la capitale. Tu veux quitter la Seine et renouer avec tes racines, la Venise des Alpes. Tu recherches une villa aux alentours, cours les agences immobilières et les visites impromptues qui ne débouchent sur rien de vraiment concluant. Tu as des exigences : une superficie confortable, une dépendance pour y loger tes gens de maison, une vue lacustre imprenable, un ponton privé pour y amarrer ton hors-bord…
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« J’me glisse dans tes cinés /
J’me perds dans ton quartier /
Je m’y r'trouverai jamais… »
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Et moi, je fais partie de tes gens. Mais tu n’as plus besoin de chauffeur. Depuis notre séjour à Amorgos, j’ai hérité d’une nouvelle fonction que tu officialiseras plus tard : celle de secrétaire particulier. Outre la correction-relecture de ton autobiographie, je suis en charge de la gestion de ton agenda, tes rendez-vous. Les prochains d’importance se profileront en septembre. Ça nous laisse tout l’été pour nous poser dans une demeure bourgeoise, riveraine du Léman. Mais nous n’en profiterons guère. Parce que tu tournes en rond, t’angoisses, te ronges les sangs devant l’imminence de ta rentrée littéraire. Tu as peur d’être incomprise du public, jugée. Redoutes l’échec, la courbe des ventes qui ne décollent pas. Te mets une pression monstre, des fois qu’on t’ait oubliée, que personne ne soit là pour écouter ta confession, tes confidences. Tu as besoin qu’ils soient tous là, qu’ils comprennent. Celle que tu as été, tes choix, celle que tu es aujourd’hui, le pourquoi de ce virage, les défis qui t’attendent et que tu souhaites si ardemment relever. Oui, tu as hâte, tu redoutes, tu ressasses. Tu bois. Sans t’en cacher. Tu fumes, tu médocs à coups d’anxiolytiques parce qu’inconsciemment, tu sais. L’effet d’une bombe. Et les remous d’après.
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