Le bruit des dettes.
Brr, ça caille dans ce patelin de merde. Je serre les poings, le cuir de mes gants couine. Je serre les dents. J'ai pas intérêt à me peler les couilles pour rien. J'espère pour lui qu'il a l'argent... Sinon, les ordres sont clairs.
Le pathétique bout de bois qui lui servait de porte ne fait pas long feu face à mes coups d'épaule. Pour 10 000 balles, il aurait pu s'en offrir une décente quand même. La sécurité, ça ne se néglige pas.
Au moins, il y a du chauffage, c'est déjà ça. Je détache lentement mon manteau. Un bouton, un pas ; personne à l'horizon. Je regarde l'heure sur la comtoise qui cliquetait à chaque seconde : pile à l'heure. Je ne suis jamais en retard, surtout pour le boulot. Il ne devrait pas tarder ; du moins je l'espère pour lui. Mon regard se perd sur le va-et-vient du disque doré. Les cliquetis qui s'en échappent m'hypnotisent, mais ma patience s'envole avec les secondes. Histoire de penser à autre chose, j'enlève mes gants et allume une clope. J'ai le temps d'en griller une avant qu'il arrive. Mais un grincement de porte résonne à l'étage. Mon corps tout entier se fige, à l’affût, un vrai chien de chasse. Quelqu'un est là. Cette petite merde se planque, j'aurais dû m'en douter. C'est ce qu'ils font tous.
Mes grosses godasses font un bruit monstre sur les escaliers. Il doit chier dans son froc, je parie. Arrivé en haut, mon souffle se fait court ; je devrais peut-être arrêter la clope. C'est ce que je me dis tous les ans, mais je ne le fais jamais. Tant pis, il n'y a que la mort qui puisse me faire arrêter.
La porte est entrouverte. J'y passe mon silencieux, mes gants, un œil. Il n'aura jamais les couilles de m'attaquer, arme au poing, mais j'aime bien faire peur à mes proies, surtout celles qui n'ont pas le cran de me regarder en face. Je pousse la porte du bout de ma botte, et découvre une chambre d'ado. Je ne savais pas qu'il avait des mômes... En même temps, le patron ne demande pas de livret de famille. Si je pouvais choper sa gosse, peut-être que ça le motivera à payer plus vite.
La chambre semble vide, mais elle ne l'est pas. Je le sais, je le sens, j'ai le flair. La gamine est ici. Sa couette est froissée, un portable posé dessus ; il vibre dans ma main. Je regarde : ce n'est pas son père, c'est une certaine Manon qui lui envoie une vidéo. Rien à foutre. Je jette le téléphone sur le lit et en profite pour regarder dessous, au cas-où elle s'y planquerait. Rien, à part des moutons de poussière... Dégueulasse. Je me relève, une main sur le genou. Il ne reste plus qu'une seule planque.
Ce n'est pas l'envie qui me manque d'aller écraser ma clope sur le bois de la vieille armoire et de brûler sa gamine et sa baraque. Ca lui apprendra à me faire poireauter comme un con. Mais la vie de cette petite pétasse vaut son pesant d'or. Alors je rode. Je guette. J'écrase mon mégot sous ma semelle. La gamine subira le même sort quand j'en aurais fini avec elle.
J'ouvre les deux battants de l'armoire d'un coup sec. On s'amuse comme on peut quand on fait ce métier. La petite est recroquevillée entre les robes de toutes les couleurs ; ça en serait presque beau. Je la domine de toute ma hauteur, elle essaie de se défendre en hurlant à pleins poumons. Pourquoi faut-il qu'elles fassent toutes ça ? Mon charme, sans doute.
Son bras est si fragile, je sens presque ses os se briser sous le cuir. Elle essaie de se débattre, comme c'est mignon. Elle ne fait pas le poids. La poupée de chair virevolte à ma guise, réduite en un tas de peau et de larmes, la voix enrouée d'avoir trop gueulé. Elle semble sonnée par notre petite valse : juste à point, comme je les aime. Je lance son corps frêle et poisseux par-dessus mon épaule – qui, aujourd'hui, aura bien bossé – et je commence à descendre quand le parquet du rez-de-chaussée craque. Ça doit être lui. J'aime quand mes plans se déroulent sans accros, surtout quand ils sont improvisés. C'est mon côté artiste.
« J'ai ta fille, j'veux mon oseille.»
Ce n'est pas lui. C'est un mec au téléphone, il parle avec un officier. Ce salop a appelé les poulets ?! Ça ne se passera pas comme ça. S'il croit que je vais me laisser cueillir comme une pâquerette, il se fourre le doigt dans l’œil jusqu'au coude.
Je me rapproche, il raccroche ; Courageux mais pas téméraire, hein. Je vais te faire passer l'envie de cafarder, espèce de connard. Je largue la gamine sur les dernières marches et fais claquer mes semelles épaisses jusqu'au rat. Regarde-le, avec sa tête de déterré... Qu'est-ce qu'il y a ? T'as jamais vu un homme ? Je vais te donner une bonne raison d'avoir peur, moi.
Je sors la lame de mon canif et la dirige vers lui. Il essaie de reculer, de me supplier. Il tremble, craque comme une feuille morte... Pathétique. Il ne mériterait même pas que je me donne la peine de lui trancher la gorge s'il n'avait pas appelé les flics. Mais c'est qu'il a de bons réflexes, ce con. Il évite ma lame comme un ninja. Il va, à gauche, à droite, comme cette putain de pendule qui cliquette encore ; ça commence à me gonfler. Une boule gronde dans mes tripes, fait bouillir mes veines. Il a de la chance que j'aie laissé mon calibre à l'étage, ou je lui aurais offert un deuxième trou de balle. Ma mâchoire est tellement serrée que je n'arrive même pas répondre à ses provocations. Il va voir de quel bois je me chauffe, le cabri.
Je plante le couteau dans le mur, frustré de ne pas avoir eu son crâne. Il est coincé. Tant pis, je le récupérerai plus tard. Plus rien ne compte. Rien d'autre que lui. Je me fous de la gamine, je me fous du flouze. Je me fous de cette maudite horloge. Je n'entends plus rien, rien d'autre que le tambourinement de la lave qui explose dans mes tempes. J'ai juste le temps de voir son pied contre mon genou : c'est un homme mort. Plus de douleur, plus rien.
Je veux. J'exige. Sa vie. Il va payer.
Hulk. Ce n'est pas mon vrai nom, mais c'est comme ça que les collègues m'appellent. Il va savoir pourquoi.
Je l'ai eu. Il n'aura pas couru longtemps. Tu vas voir ce que ça fait de me prendre pour un con. Je ne vois même pas ce qui gicle sur mon visage. Je reconnais le goût métallique du sang sur mes lèvres. J'en veux plus, plus, plus. Je laisse la colère me contrôler. Les coups pleuvent, mes poings s'enfoncent dans son bide comme dans du beurre. Je veux le briser en deux, lui montrer qu'il n'est rien. Il n'en reste plus grand chose, mais tant qu'il respire encore, je ne peux pas être satisfait.
J'ai chaud, je suis à bout de souffle mais bon sang que c'est bon ! Ca fait un bail que je ne me suis pas senti aussi vivant. Je laisse échapper un sourire, caché derrière mes gants qui essuyaient la goutte au bout de mon nez d'un revers de poignet. Je me sens plus léger. Je devrais faire ça plus souvent. Je m'arrête quand la poucave n'est plus qu'une ombre. Il ne bouge plus ; il n'est pas drôle. Des battements réguliers percent mes tympans. Pourtant, à travers ce boucan, une sirène retentit. Merde. J'ai pas le temps de prendre la gamine. Bon, tant pis, je reviendrais plus tard pour l'oseille. Shooté à l’adrénaline, je me barre aussi vite que je le peux. Je ne m'arrête pas. Je ne me retourne pas. Jamais. Je croise une ruelle avec une grosse benne à ordure. Parfait. Une de plus, une de moins... Accroupi derrière, encore haletant, j'allume une cigarette. Le tabac recouvre la puanteur. J'ai du mal à tenir quoi que ce soit au creux de mes mains, mais mon portable vibre. Je vois flou, mais je sais que c'est le patron. Mon doigt a la tremblote. Je dois répondre.
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