10. Le contrat de la Diva

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Angel

Je fais chauffer le café en attendant que Morgan revienne de sa pause déjeuner. Depuis ce matin, je tourne en rond dans le bureau et me demande ce que je vais bien pouvoir faire cet après-midi. J’ai déjà classé tous mes dossiers, réordonné mon bureau, j’ai même fini ma comptabilité, mais je ne vois pas ce que je pourrais inventer pour occuper mon temps maintenant. Morgan a passé la matinée à mettre des annonces un peu partout sur différents sites, en espérant que quelqu’un morde à l’hameçon, mais jusqu’à présent, nous avons fait chou blanc. Je sens que l’agence ne va pas résister longtemps et je me dis que je ferais mieux de mettre la clé sous la porte au lieu de foncer droit dans le mur de la faillite.

Quand mon assistante revient, je fais mine d’être occupé à lire une étude sur ce que les enquêtes de Sherlock Holmes peuvent apporter aux détectives modernes, mais cela n’a pas l’air de tromper Morgan qui m’interpelle à peine assise à son bureau.

— Angel, j’ai déjeuné avec mon frère, il est possible qu’on ait du boulot, s’extasie-t-elle en frappant dans ses mains comme une enfant. Et pas le petit contrat, je te le dis, moi !

— N’essaie pas de me remonter le moral en me proposant un truc débile. Même si ça rapporte du fric, je ne suis pas prêt à faire des livraisons de hamburgers pour gagner assez pour vivre.

— OK, bon… Viens-là, rit-elle en levant en l’air un papier. Voici l’adresse où tu dois te rendre… Si, ça, ça ne te fait pas sourire, je ne saurai plus quoi faire de toi.

— Et c’est quoi cette affaire ? Ton frère a quoi à voir là dedans ?

Je regarde ma potentielle future destination et tique un peu. C’est dans un beau quartier, là où vivent de nombreux industriels et quelques stars qui ne savent plus trop quoi faire de leur argent. Si elle me fait une blague, elle est de mauvais goût…

— C’est l’assistant d’un agent de stars. Je te laisse imaginer ce qu’un agent de stars peut bien proposer comme fric pour protéger son diamant… Genre, l’actrice au top de sa liste, sa poule aux œufs d’or…

— Je ne comprends rien à ce que tu racontes, là. C’est une affaire de poule ? Ton frère est une star ?

— Mon Dieu, mais t’es terrible. OK, je vais la faire courte : lettres d’amour enflammées, lettres de menaces, star de cinéma peut-être en danger. C’est mieux ?

— Je dois être rouillé, là, parce que je ne vois pas ce que moi, le détective, pourrais faire. C’est le rôle de la police s’il y a des menaces, non ? Moi, j’enquête sur des affaires où rien d’illégal n’est commis… Si je joue au policier, je risque de perdre ma licence et mon boulot…

— En gros, l’actrice refuse d’appeler les flics, elle pense que ça n’a rien de dangereux, elle a l’habitude de recevoir ce genre de menaces. Son agent veut quelqu’un qui puisse enquêter discrètement, quelqu’un qui s’infiltre dans sa vie au quotidien… Et, pour ça, il y a justement un poste dans sa “garde rapprochée", dit-elle en mimant les guillemets, si je puis dire. Et mon frère pourra nous filer un coup de main pour que tu ne passes pas pour un incompétent, vu que lui aussi est assistant.

— Tu veux que j’aille passer mon temps à jouer à être l’assistant d’une star ? Tu m’as bien regardé ? Tu sais que je n’ai même pas la télé chez moi ? Et tu veux que je me lance dans le showbiz ?

— La vraie question, Angel, c’est de savoir si tu veux sauver ta boîte ou nous foutre tous les deux au chômage. Voilà le cachet par semaine, soupire-t-elle en faisant glisser un chèque sur le bureau. Il sera signé si tu acceptes, évidemment.

Je regarde et constate qu’il y a quatre zéros derrière le un. Je me demande si tout cela est vrai ou si c’est une mauvaise blague ourdie par je ne sais qui.

— Par semaine ? Tu es sûre ? On n’a jamais gagné autant avec toutes nos affaires ! C’est quoi cette histoire ?

— Bon, ça couvre tous les frais, hein ? Mais… OK, pour te la faire courte, tu ne vas pas t’amuser. D’après James, cette actrice est quand même carrément chiante, et il faudra que tu assures dans le rôle de l’assistant en plus de faire tes recherches. Mais un cinglé qui lui envoie des courriers comme ça, tu ne devrais pas trop galérer à le trouver, non ? Et ça renflouera vraiment les caisses, Angel. Écoute, tu as rendez-vous dans une heure, y aller ne t’engage à rien…

— Tu as vu les courriers ? Il y a des pistes ? Et c’est qui, l’actrice ?

— Non, je n’ai rien vu… Mais je suis sûre que tu vas gérer. Et puis, tu vas quand même te retrouver aux côtés d’une sacrée star, qui n’est autre que… s’amuse-t-elle en faisant durer le suspense. Rafaela Lovehart ! Mais bon, ça ne doit pas te dire grand-chose, Monsieur Je-n’ai-pas-de-télé-chez-moi.

— Ah si, je connais. C’était l’idole de Jenny, ça. Il paraît qu’elle a vraiment un sale caractère… Je vais aller voir de quoi il retourne, mais si c’est une blague, je te jure que je me vengerai !

— Je te parle de pouvoir nourrir ma fille tous les jours sans avoir peur pour demain, j’ai l’air de plaisanter ?

— Si ça marche, promis, je t’augmente. A ce soir, Morgan.

— Oui, enfin, m’augmenter… C’est pas l’essentiel non plus. Pendant que tu rencontres la Diva, je vais commencer un dossier avec les infos sur Rafaela dont tu pourrais avoir besoin. A ce soir, Patron !

J’allume mon GPS et le suis bêtement jusqu’à une propriété entourée d’un mur immense et d’une grille qui ne présente aucun mécanisme d’ouverture. Je sors et cherche un endroit pour sonner et m’annoncer, mais c’est un drône qui vient à ma rencontre et s’arrête devant moi après être passé au-dessus de la grille. Une petite caméra avec une lumière rouge me scrute et le portail grillagé s’ouvre. J’ai passé le premier test, au moins.

Dans le petit parc devant une grande maison moderne, il y a plusieurs palmiers, des pelouses bien entretenues même si elles sont un peu sèches, et je me gare à côté d’une belle Mercedes, toute rutilante. Cette Rafaela ne manque pas d’argent, ça, c’est clair. Je descends et prends un instant pour admirer ce parc qui est impressionnant. Je regarde comment je suis habillé et me demande si je ne vais pas me faire rembarrer à l’entrée parce qu’ils ne voudraient pas de clodos. Je monte les grands escaliers en béton ciré puis les quelques marches de bois verni qui mènent à la porte d’entrée et admire les deux palmiers géants qui montent la garde de chaque côté. Je me sens tout petit à côté de toutes ces richesses, pas la meilleure façon d’arriver confiant à son entretien !

Une dame relativement âgée m’ouvre et me fait entrer avant de m’orienter vers un grand bureau joliment décoré et très féminin qui se trouve près de l’entrée. Il est agencé en trois parties, un salon, un bureau et un coin réunion. Installé autour d’une table ronde, m’y attend un homme qui a l’air soucieux de ceux qui gèrent trop de galères en même temps.

— Bonjour, je suis Angel Firth, le gérant de l’agence d’enquêteurs que vous avez sollicité pour protéger Madame Lovehart. Vous pouvez m’expliquer un peu ce que vous attendez de moi ?

— Quinn, enchanté, soupire-t-il en me faisant signe de m’asseoir. Il vous faut la version courte ou la longue ?

— Eh bien, la longue. Si j’accepte la mission, il faut bien que j’aie les informations nécessaires.

— Très bien… Vous avez devant vous les courriers du mois d’un type qui harcèle Rafaela. Disons qu’il peut sembler très amoureux et, en soi, ce n’est pas le premier, mais il est aussi très vindicatif et semble pouvoir être violent. C’est du moins ce que je ressens en lisant ces lettres, même si Rafie refuse de s’inquiéter plus que ça.

— C’est en effet le quotidien de beaucoup de stars. Et qu’est-ce qui vous fait dire que c’est la même personne qui a écrit les lettres d’amour et les menaces ? Vous avez fait intervenir un graphologue ?

— Non… J’ai essayé de comparer les écritures, mais c’est surtout les expressions qui sont similaires, vous voyez ? Bref, je ne suis pas du genre à m’inquiéter pour rien, et je le sens mal, là.

— Je vois. Et pourquoi vouloir que je fasse tout ça déguisé en assistant ? Ce n’est pas le moyen le plus simple de faire, je trouve.

— Rafie est catégorique, elle ne veut pas de flics. Et on ne va pas à l’encontre d’un non catégorique de Rafaela, grimace-t-il. Et puis, en étant assistant, vous serez aux premières loges pour pouvoir observer ses fans, éventuellement démasquer ce cinglé, vous voyez ?

— Si je résume, vous voulez que je découvre qui est le cinglé, que je le mette hors d’état de nuire et que je travaille en tant qu’assistant pour ne pas que mon vrai métier ne soit dévoilé. C’est bien ça ?

— C’est ça. Je sais que ce n’est pas très conventionnel, mais je ne veux pas prendre de risques. Il faut qu’on démasque ce type. Bon, avant que vous ne me donniez votre réponse, il faut quand même que vous compreniez que Rafie a vraiment besoin d’un assistant au quotidien, mais c’est le seul poste que je peux vous proposer pour vraiment être au cœur de cette affaire.

— Et en tant qu’assistant, je devrai faire quoi ?

— Oh, eh bien… des tâches assez basiques, en fait… gérer les rendez-vous, accompagner Rafaela partout où elle va, être à son écoute, si besoin… l’aider au quotidien, quoi. Et puis, tout ça va vous permettre d’être au plus proche de tous les assistants du showbiz. Une fois votre mission terminée, vous aurez des contacts pour de futurs clients.

— Oui, je pourrais être embauché en tant que bonne auprès de plein de gens, super, grommelé-je. Pourquoi vous ne la mettez pas dans la confidence ? Ce serait plus simple, non ?

— Pourquoi ? Mais parce qu’elle ne veut pas qu’on enquête tout court ! Avec ou sans flics, elle ne veut pas qu’on s’occupe de ça. Elle est têtue, Rafie, rit-il. Mais pas méchante. Elle pense juste que tout ça n’ira pas plus loin que les lettres. Vous savez, si on faisait des recherches pour tous les courriers…

— Je vois, soupiré-je en faisant mine de me résigner.

Je crois avoir assez fait preuve de résistance pour ne pas apparaître aussi désespéré que je le suis vraiment. Je n’ai pas envie de pousser ma chance et jouer davantage au mec blasé de peur qu’il ne rechigne à me donner le business dont j’ai un besoin vital pour assurer la survie de mon agence et je reprends donc en sortant un stylo de ma poche.

— Bon, j’accepte de vous aider. Mais je vous préviens, si j’ai des affaires plus intéressantes qui arrivent, je serai dans l’obligation de vous abandonner. Je signe où ?

— Vous prenez le temps de lire les petites lignes, tout de même ? Vous ne devez rien révéler de ce que vous entendez ou verrez au quotidien avec Rafaela, vous vous engagez à une discrétion totale, vous vivez ici pendant toute la durée du contrat… Tout est bon pour vous ?

— Je vis ici ? Vraiment ? Mais…

Je n’ai pas le temps de conclure ma phrase que la porte du bureau s’ouvre et la diva débarque, les mains chargées de sacs. Immédiatement, je me lève pour l’aider, mais un regard de sa part me dissuade de m’approcher plus d’elle.

— Madame, enchanté. Je suis Angel Firth, à votre service, dis-je en faisant un petit salut de la tête.

Le regard qu’elle me lance est neutre et j’ai l’impression qu’elle a revêtu un masque afin de ne rien laisser transparaître. J’ai tout le loisir de l’observer alors qu’elle dépose ses paquets dans l’entrée où son chauffeur ramène d’autres sacs. Il semblerait que quand Madame Lovehart fait du shopping, ce n’est pas à moitié ! En tout cas, cette femme est encore plus belle en vrai que sur les affiches ou les photos de magazine. Ses longs cheveux bruns encadrent un visage dont les traits frôlent la perfection. Elle porte une petite robe de couleur rouge assez moulante et je réalise que Jenny avait raison. Pas besoin de Photoshop pour mettre en valeur ses courbes qui sont divines. Cette femme, c’est une créature de rêve et tout de suite, je me dis que rien ne sert de lire les petites lignes. Si je peux vivre, même quelques jours seulement, auprès de cette divine femme, je signe immédiatement. On ne peut pas dire non quand on vous propose de côtoyer le Ciel et son étoile la plus brillante.

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