17. Georges ou David ?
Rafaela
Je grimace en annotant mon texte. Je n’aurais peut-être pas dû choisir le rouge, j’ai l’impression d’être une maîtresse qui griffonne une très mauvaise copie. Je ne sens pas certaines répliques et je compte bien en échanger avec le scénariste. C’est d’autant plus compliqué de retenir un peu ce texte que je lis pour la troisième fois. Mon personnage me paraît tellement superficiel que j’ai du mal à comprendre comment elle pourra, à la fin du film, passer d’un extrême à l’autre.
Deux coups frappés à la porte me font sursauter, et Ellen entre alors que je me redresse sur mon lit, m’apportant une carafe d’eau citronnée en cette chaude après-midi. Une crème, cette femme, même si elle regarde mon lit totalement défait d’un mauvais œil.
— Il était fait ce matin, Maman, promis. Je bosse et si ce ne sont pas les draps qui trinquent, ce seront mes cheveux qui vont finir arrachés. Tu peux dire que je suis chiante, tu n’es pas mieux sur certains sujets.
— Je ne dirai rien, alors, mais franchement, il y a du laisser-aller.
— Je sais. Personne n’est parfait, que veux-tu. Merci, Ellen.
— Tu n’oublies pas d’appeler tes parents, au fait. Ils n’arrêtent pas d’essayer d’entrer en contact avec toi.
Je grimace et soupire lourdement en me laissant retomber sur mon lit. Ils n’arrêtent pas… On s’appelle une fois par semaine, c’est déjà pas mal, non ? Qu’est-ce qu’il leur faut ? Des appels quotidiens ? Je n’ai pas le temps pour ça, moi. Et pas envie, non plus, je l’avoue…
— Oui, Maman. Promis, je le ferai après avoir appelé Bella. Je vais peut-être le faire maintenant, d’ailleurs, avant qu’elle ne fasse envoyer la police pour vérifier que je suis en vie, ris-je en récupérant ma tablette sur ma table de nuit. Est-ce que tu sais si Philipp a taillé les rosiers ce matin ? Il faut que je montre à ma sœur qu’ils survivent et que ton mari les bichonne.
— Il a passé la matinée dehors, mais si tu crois que j’ai le temps de regarder tout ce qu’il fait, tu me prends vraiment pour une sur-femme. J’essaie déjà de survivre avec toute la maison à tenir, tu sais ?
— En même temps, tu es trop perfectionniste.
Et il faudrait sans doute que j’engage une seconde personne… Mais j’ai beaucoup de mal avec les inconnus chez moi. Je suis déjà lentement en train d’accepter la présence d’Angel dans ma maison.
— Si tu me trouves quelqu’un que tu connais et en qui tu as confiance, peut-être que je pourrais envisager de l’embaucher pour t’aider…
— Mais non, ne dis pas de bêtise, je m’en sors très bien toute seule. Demande peut-être simplement à ton bel assistant de venir me donner un coup de main quand il peut et ça ira très bien !
— C’est une idée, en effet. Promets-moi que tu lui feras faire des trucs bien chiants, alors, ris-je.
— Promis. Et fais ton lit, n’oublie pas, hein !
— Oui, Maman. Eh, Ellen… Y a moyen que tu nous fasses un petit gâteau au chocolat pour le dessert de ce soir ? Tu sais, le light avec de la courgette… Le dernier que tu as fait était une tuerie.
— C’est comme si c’était fait ! Tu sais que je suis toujours contente de te faire plaisir !
— Merci, tu es un amour, souris-je alors qu’elle sort déjà de ma chambre.
Qu’est-ce que je ferais sans elle ? Je dois me poser la question à peu près tous les jours. J’ai conscience, d’ailleurs, que je me repose beaucoup trop sur elle ou sur mon assistante, d’ordinaire. Et je me demande si je n’ai pas tendance à y aller trop mollo avec Angel. C’est vrai, à temps égal avec Silla, je m’étais déjà bien énervée contre elle.
Bon, mieux vaut commencer par un appel avec Bella et les enfants. Au moins, je vais prendre une dose de rires et de bonne humeur avant d’affronter mes parents. Je clique sur la jolie photo de famille du profil de ma sœur et souris déjà avant même qu’elle n’ait décroché.
— ¡ Hola hermanita ! Comment tu vas, petite sœur ?
— Salut la plus belle. Tu es en forme ? Tu avais disparu où, ça fait un bail que tu n’as pas appelé.
— Les dernières semaines ont été un peu folles, désolée. Vous venez toujours passer le weekend à la maison pour l’anniversaire des jumelles, rassure-moi ?
— Oui, bien sûr, elles ne parlent que de ça ! Tata par ci, tata par là. Franchement, je ne sais pas comment je vais faire pour les faire patienter jusqu’à samedi !
— Vous me manquez beaucoup, il est grand temps qu’on se revoie. Et que tu rencontres mon nouvel assistant, d’ailleurs.
— Oh, il est arrivé quoi à la petite dernière ? Elle était gentille… Attends, tu as bien dit UN assistant ? Je croyais que tu avais dit que tu ne voulais pas de mec !
— Quinn m’a bassinée pour que j’accepte… Il le connaît ou je ne sais plus quoi, je m’en fiche. Disons que ça peut être utile, je crois que mes fans féminines vont être un peu moins obnubilées par moi maintenant qu’il sera dans les parages. Plus mignon que Ben encore, souris-je.
— Plus mignon ? Wow, c’est quoi ? Un double de George Clooney ? Tu sais comme il me fait fantasmer depuis que tu me l’as présenté. What else ?
— Je sais, je me demande s’il y a bien une femme qu’il ne fait pas fantasmer sur cette Terre. Même Mamita le trouvait canon. En voilà un qui ne dormirait pas dans la baignoire. Bref ! Donc, mon assistant… Je réfléchis un peu à qui il pourrait ressembler… Ou, non, tu verras bien quand tu seras là, mais interdiction de lui faire tourner la tête, clair ? Sinon je balance à ton mari.
— A côté de toi, tu sais bien que j’ai aucune chance. C’est quand même toi la bonnasse des deux. Et il bosse bien ou c’est juste un physique ?
— Ce n’est qu’une affaire de goûts… Tu es superbe. Et Angel est… novice, alors pour le moment, j’y vais mollo. Figure-toi qu’il est resté planté comme un piquet dans le studio photo pour sa première sortie.
— Et tu ne l’as pas viré tout de suite ? Tu te ramollis, ma vieille.
— Il débarque, je n’allais pas le virer pour ça, quand même ! Et puis, il fait des efforts, il est hyper attentif… Je ne suis pas si terrible que ça !
— Avec tes assistants, tu es plutôt du genre sans pitié, quand même. Enfin, tant mieux pour lui si tu lui laisses le temps. Et niveau boulot, tu vas le faire, le film avec Matthew Shane ?
Est-ce que je suis moins chiante avec lui ? Ça fait trois jours qu’on bosse ensemble, donc techniquement trois jours qu’il découvre le métier d’assistant personnel, c’est plutôt logique que je lui laisse un peu de temps pour s’habituer, non ?
— C’est au programme, oui, mais tu gardes ça pour toi. Tu sais bien que j’adore jouer avec Matt, je ne me voyais pas refuser, même si le scénario m’a un peu fait tiquer.
— Tu vas encore passer pour une pouffiasse sans cervelle ? Tu ne veux pas changer un peu de registre ? Tu mérites mieux, ma chérie.
— Tu iras voir celui qui sort dans un mois, je suis loin de jouer la nana sans cervelle. C’est mon rôle le plus poussé, et je suis sûre que tu vas pleurer comme une madeleine.
— Ah ouais ? Mais tu vas finir avec une de ces statuettes dont tous les acteurs rêvent si tu continues ! Parce que si tu fais bouger ton beau cul en disant des trucs intelligents, il n’y a personne qui te résistera. Et tu sais qui serait trop content ? Tes deux nièces, bien sûr !
Un jour, peut-être. Est-ce que c’est le but de ma carrière ? Possible… Même si jouer la comédie, c’est ce qui me motive à me lever au quotidien. Et ce film pourrait bien être le sésame pour la statuette, honnêtement. Un superbe drame et le rôle le plus difficile que j’ai eu à jouer.
— Hum… A mon avis, elles seront plus contentes de découvrir les cadeaux que je leur ai trouvés pour leur anniversaire, ris-je en me levant. Bella, tu adorerais être ici. Je sens d’ici le gâteau au chocolat qui cuit dans le four. Ellen me vend du rêve même à distance. Tu crois que ça ne fait pas sérieux si je vais lécher le plat de pâte ?
— Fais-toi plaisir, voyons ! Tu sais bien que c’est toujours moi qui l’avais quand on grandissait ! Priorité à la petite sœur ! Profite que je ne sois pas là !
Je ris en sortant de ma chambre et longe le couloir avant de m’arrêter brusquement en entendant la musique dans la salle de sport. Merde… Sérieux, là ?
Je fais signe à Bella de se taire et approche de la vitre qui donne sur la pièce. J’ai l’impression d’être une voyeuse qui s’immisce dans la vie intime de son assistant, et une tordue quand je baisse le volume de ma tablette et inverse la caméra pour que ma sœur puisse observer Angel en train de courir sur le tapis de course, en short et torse nu. Je crois que Ben peut se rhabiller, pour le coup… C’est plutôt agréable à regarder, et il court à bonne allure. Je comprends qu’il ait pu préférer la pièce climatisée plutôt que d’aller faire un jogging dans la rue vu la chaleur extérieure.
Je ne sais pas trop combien de temps je passe à l’observer, mais je me dépêche de rejoindre les escaliers pour descendre en le voyant baisser le rythme du tapis. Voilà que je me mets à mater mon assistant… Plus que je ne l’ai fait durant ces trois derniers jours. C’est inquiétant. D’ici à ce que je me retrouve avec un procès au cul pour harcèlement…
— Alors ? ris-je en remontant le volume une fois dans la cuisine.
— Alors ? Mais putain, j’ai oublié mon nom, là. C’est quoi, ce type ? Tu arrives à bosser avec lui à côté ? C’est George Clooney jeune avec la barbe en plus, non ?
— Oui, non… Je le comparerais plus à David Beckham, j’avoue. Sans tatouages, de ce que j’ai pu voir, mais… Ouais, je sais pas. C’est Angel, en fait, ris-je avant de piquer un fard en voyant Ellen entrer dans la cuisine. Bref ! Je vais te laisser, hermanita, il faut que j’appelle les parents avant qu’Ellen ne me prive de gâteau au chocolat.
— Bon appétit ! Et surtout, fais ta gourmande, petite coquine ! J’ai hâte d’être à ce weekend, je t’assure ! Encore plus maintenant !
— Pas touche, j’aimerais bien le garder et ne pas encore changer d’assistant. Et puis, je te rappelle que tu es mariée, hein ? Donc, tu ramènes ton joli petit cul, tes jumelles adorables, ton bébé aux joues trop craquantes et ton charmant mari, et tu n’oublies pas de laisser mon petit assistant vivre sa vie. Et, pitié, si les parents me cherchent, monte au créneau, j’en ai marre d’en prendre plein la tronche.
— T’inquiète pas, tu sais bien que je suis toujours là pour toi. Et fais attention à ton petit assistant. Ce serait bête qu’il s’envole avant que tu en aies profité !
— Que j’en aie profité ? Va au bout de ta pensée, tu veux ? Qu’est-ce que tu entends par là ?
— Oh, fais pas ta chochotte. Vu le temps que tu gardes tes assistants, tu ferais mieux de ne pas tarder à le mettre dans ton lit avant de le renvoyer !
— Bien sûr, j’ai largement besoin d’une réputation de harceleuse en prime, m’esclaffé-je alors que je vois dans l’écran qu’Angel descend les escaliers au fond de la pièce. Allez, je te laisse, je retourne bosser. Je vous aime, embrasse les petits de ma part. À vendredi ! Je ne rentrerai pas tôt, mais promis, je fais au plus vite, installez-vous et faites comme chez vous, comme d’habitude !
Je raccroche alors qu’elle est en train de m’envoyer des bisous et lance un regard entendu à Ellen. Bella est géniale, et heureusement, elle est du genre discrète. Je doute qu’elle fasse ce type de remarques devant Angel, mais avec elle, on ne sait jamais. Elle est aussi un peu impulsive à ses heures, ce qui en fait clairement une bombe à retardement. En attendant, je replonge le nez sur ma tablette pour vérifier mes mails, mais ne manque rien du spectacle qui s’offre à moi. Et j’entends par là Angel, qui a remis son tee-shirt à présent bien humide, et dont les muscles du dos s’activent à chacun de ses mouvements tandis qu’il ouvre le réfrigérateur pour en sortir la carafe d’eau fraîche. Angel, qui lève le bras pour récupérer un verre dans le placard, le remplit et se tourne dans notre direction pour le boire… Si le côté pile est très agréable, le côté face, malgré le rouge de ses joues, en vaut largement la peine, lui aussi… Merde, merde, et re-merde. Il va falloir que j’arrête tout de suite de parler de lui avec Bella. Parce que, maintenant qu’elle a lancé l’idée, l’image de lui, nu dans mon lit, est imprimée dans mes rétines… Sympa, cette collaboration, c’est sûr.
Annotations
Versions