24. Showtime
Le fan
Il fait chaud et je n’ai pas l’habitude d’être du côté du public, mais dès que j’ai su qu’elle était invitée au Jerry Show, j’ai tout fait pour obtenir le précieux sésame. Heureusement que je connais du monde, sinon jamais je n’aurais pu avoir le ticket d’entrée. Il faut que je la voie parce que j’ai l’impression qu’elle est en quelque sorte séquestrée car elle n’a pas répondu à mes messages. C’est horrible de l’enfermer comme ça. Bon, la prison a l’air dorée, mais quand même. Elle doit avoir besoin de moi, il faut que je la libère de tous ces abrutis qui pensent qu’en la faisant taire, cela va faire disparaître l’amour que nous nous portons. Les cons. Moi, je sais bien que depuis qu’elle a lu mes messages, son histoire avec ce minable de Tyler bat de l’aile. Il n’y a qu’à constater le peu de fois où ils se voient… Elle m’aime, c’est sûr, mais ne peut pas me le montrer. Foutu monde…
— Allez, on va s’entraîner à applaudir à mon signal ! lance le jeune chargé de chauffer la salle avant l’arrivée du présentateur et des invités.
J’ai horreur de ça mais je m’exécute néanmoins. Je n’ai pas envie de perdre mon siège au premier rang et pour ça, il faut que j’apparaisse aussi enthousiaste que possible, sinon, ils n’hésiteront pas à me demander de me mettre derrière. Foutu showbiz où tout n’est qu’apparence et convention. La seule chose que je n’ai pas à forcer, c’est le sourire de celui qui est ravi à l’idée de revoir sa dulcinée. Ce soir, elle et moi, on va encore s’en donner à coeur joie. Je me demande dans quelle pièce je vais me la faire… La cuisine, peut-être bien. Bon, pour l’instant, je me contente de m’astiquer en matant ses vidéos, mais un jour… Tout ça sera vrai et ça, franchement, j’ai hâte de le vivre.
Tout à coup, mes voisins se mettent à applaudir à tout rompre, sans pourtant que l’on nous donne le signal, et je comprends rapidement pourquoi. Voici Jerry lui-même qui arrive, accompagné de ma dulcinée et de sa troupe afin de faire un tour du plateau. Je reconnais rapidement les parents de Rafaela à ses côtés mais pas le type qui l’accompagne. On dirait un flic. Son nouveau garde du corps ? Mais elle n’emmène pas ses gros bras avec elle, d’habitude. Et puis, c’est lui qui échange avec Jerry, là. C’est quoi ce bordel ? C’est lui qui est son nouveau geôlier, peut-être ?
Un buzzer retentit et annonce que le show va bientôt commencer. Ce n’est pas diffusé en direct, mais c’est tourné dans les mêmes conditions afin que tout soit plus naturel. Immédiatement, les parents de ma star et le baraqué barbu qui l’accompagne viennent s’installer non loin de moi. Les maquilleurs s’activent sur Jerry et Rafaela pour fignoler leur art avec les lumières de la salle et je remarque que ma chérie a l’air fatigué. Elle ne doit plus dormir, frustrée de ne pouvoir me répondre. La pauvre…
— Bienvenue à tous ! Vous savez quelle est la différence entre Miss Monde et Miss Univers ? attaque d’entrée Jerry. Il n’y en a pas, Rafaela Lovehart, notre invitée de ce soir, pourrait concourir aux deux ! Un tonnerre d’applaudissements pour cette star qui va jouer dans le prochain film de Beckman !
Là, je n’ai pas besoin de me forcer pour me joindre aux autres car il a raison. Elle est magnifique et j’admire sa grâce lorsqu’elle vient s’asseoir sur le canapé en face de l’hôte du jour. Mon esprit lubrique me laisse imaginer plein de choses sur ce canapé. Ah là là, ce soir, mes fantasmes vont avoir une nouvelle dimension, je pense.
— Alors, vous êtes prête ? Excitée de commencer le tournage ?
— J’ai hâte, oui. Le scénario m’a vraiment accrochée et le script promet de jolies scènes. Sans compter que pouvoir travailler avec Alan Beckman est un sacré privilège. J’ai hâte qu’il me torture à vouloir recommencer encore et encore les scènes, plaisante Rafaela.
Oh bordel, ce petit rire qu’elle émet à la fin de sa phrase me fait bander. C’est horrible de voir comme elle m’excite. J’ai la trique rien que de la regarder, qu’est-ce que ce sera quand je l’aurai dans mon lit. Ou sur le canapé.
— On dit que le scénario est ambitieux et exigeant. Vous pensez que vous serez à la hauteur ? Parce que là, pas de scène en nu intégral pour sauver la mise, il me semble.
Je constate que le baraqué grimace en entendant la question. Il a l’air d’être aussi déçu que moi de ne pas pouvoir l’admirer nue. Cette scène, qu’est-ce que je me la suis repassée, moi. Miam, miam.
— Je préfère rester habillée, vous savez ? Si pour vous, devant l’écran, une scène de nu, c’est sensuel, je peux vous assurer que quand c’est vous, la dinde à poil au milieu d’une trentaine de personnes qui ont les yeux braqués sur vous, c’est beaucoup moins agréable, lance-t-elle de manière légère et détachée.
— Ah, on vous reconnait bien là ! Quel caractère ! Et tout ce talent, cette force, vous l’avez montré dans le film qui sort et qui explique votre présence parmi nous ce soir. Je vous laisse profiter de la bande-annonce du film Une mère particulière, et nous nous retrouvons après un petit détour chez nos partenaires annonceurs. Envoyez la sauce !
La lumière revient sur le plateau alors que le Gugusse de service nous fait signe d’applaudir. Rafaela est déjà en train de prendre un verre d’eau et lance un sourire au barbu qui l’accompagne. Mais c’est qui, ce type ? Il se lève d’ailleurs et va discuter un peu avec elle pendant qu’une assistante essaie de contenter Jerry qui s’énerve pour sa boisson. Je n’aime pas ce type qui se permet de rigoler avec l’Amour de ma vie. Putain, ça doit être son nouvel assistant, pas possible autrement.
— Trente secondes avant la reprise, annonce une voix automatique qui a au moins le mérite de faire partir ce sale type.
Je peux reprendre ma contemplation de la star qui répond aux questions de Jerry. J’ai l’impression que tout est préparé car elle donne une toute autre image d’elle que d’habitude. Elle a l’air d’avoir décidé de révéler à la Terre entière ce que je sais déjà : elle n’est pas qu’un corps, même s’il est sublime, elle a aussi une forte personnalité et un talent fou d’actrice. Putain, mais si elle fait ça, il va y avoir du monde dans la file d’attente. Je n’aime pas ça, ça veut dire que je vais avoir de la concurrence. Heureusement que j’ai de l’avance, sinon je pourrais m’inquiéter.
— Eh bien, on dirait vraiment que vous avez mûri, Rafaela. C’est très agréable de vous avoir parmi nous ce soir. C’est l’âge qui fait ça ? Ou alors, vous avez décidé qu’il était temps de montrer une autre dimension de vous-même ? Rassurez-nous, votre mauvais caractère qui nous divertit tant, vous l’avez toujours un peu ?
— Ne parlez pas de mon âge, voyons, lui répond-elle sur le ton de la confidence, sinon Hollywood va m’éjecter rapidement. Vous savez bien que rares sont les actrices qui perdurent avec les années, dans ce monde. Quant à mon caractère… Vous voulez que je m’énerve contre vous, Jerry, c’est ça ? Je peux me plaindre de ce fauteuil trop confortable, s’il n’y a que ça !
Qu’elle est drôle ! J’en ai les larmes aux yeux tellement elle me fait rire et je suis surpris de voir que je suis le seul à être dans cet état d’hilarité. Quels cons, tous ces spectateurs qui ne comprennent rien à rien. Elle ne les mérite pas…
Lorsque le show se termine, elle s’éclipse avec ses parents et son assistant trop rapidement à mon goût, un sourire aux lèvres. Peut-être qu’elle m’a vu et que c’est ça qui la met dans une telle bonne humeur. Moi, en tout cas, je ne regrette pas ma venue. Quel bonheur de l’avoir approchée ainsi. J’ai de quoi bien alimenter mes fantasmes pour les prochains jours. Il va falloir que je lui envoie un nouveau courrier, si ça marche aussi bien. Non, deux plutôt. Comme les dernières fois. Un pour lui dire à quel point je l’aime et un pour la menacer si elle ne cède pas à mes avances. La carotte et le bâton. Il n’y a que ça qui marche à tous les coups.
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