30. Le malotru entre en scène
Rafaela
J’enfile mes lunettes de soleil et grimace en constatant que Tyler a dû faire fuiter l’info de notre déjeuner. Je n’en peux plus de ce mensonge perpétuel à notre sujet. Lui et moi n’avons rien en commun si ce n’est le jeu d’acteur. Pour le reste… à part des orgasmes, il ne m’apporte rien. Franchement, je m’en fous de ce que peuvent penser les gens de ma vie amoureuse. Je préfère encore subir les critiques sur mes relations éphémères plutôt que les rumeurs sur une possible grossesse, sur des fiançailles ou je ne sais quelle connerie à notre propos.
— Ben, je te préviens, ne traîne pas trop à déjeuner, je doute de rester bien longtemps, je n’ai pas la patience de supporter Tyler pendant des heures.
— Personne n’a la patience, si je peux me permettre, rit-il en me lançant un regard dans le rétroviseur central.
Je souris en acquiesçant. Il n’a pas tort, et il est généralement aux premières loges pour assister à nos déjeuners, installé à la table derrière la nôtre. Mon chauffeur slash garde du corps ne me quitte jamais ou presque. J’avoue que je préfère sa présence à celle de son remplaçant, et je suis bien contente qu’il m’accompagne en Europe. Les fans, là-bas, me voient tellement peu souvent qu’ils sont un peu dingues, parfois.
Ben ouvre ma portière sans que je me sois rendue compte qu’il était sorti, et je me retrouve mitraillée par les paparazzi en un rien de temps. Traverser le parking devient un véritable enfer quand une trentaine de mecs marchent devant toi à reculons pour prendre des photos, mais promo oblige, je garde la tête haute et leur lance même un sourire en enlevant mes lunettes de soleil.
Je soupire en voyant que Ty a choisi une table visible depuis l’extérieur. Aucune discrétion, il n’est vraiment pas doué pour que les choses paraissent naturelles et réelles. Là, ça fait grosse promo pour notre “couple”, biscuit pour la presse… Je salue le serveur et lui demande une table plus éloignée de la fenêtre avant d’aller saluer mon compagnon de déjeuner d’un rapide baiser sur la bouche qu’il tente d’approfondir.
— On s’installe ailleurs, viens.
Je ne lui laisse pas le temps de répondre et m’éloigne pour rejoindre le jeune homme qui nous propose une table au fond du restaurant. Tyler me rejoint alors que j’enlève ma veste, et je vois son regard me détailler sans que cela ne me fasse aucun autre effet que de l’agacement. C’est moche…
— Quoi ? Tu n’aimes pas la couleur ?
— Ce n'est pas la couleur qui m'attire, c'est ton décolleté. Cela fait trop longtemps qu'on n'a pas passé une nuit tous les deux. Tes beaux roploplos me manquent.
C’est sûr que ce n’est pas ma conversation qui peut lui manquer, puisque nous n’avons rien à nous dire ou presque. Je jette un œil à Ben, installé derrière Tyler, et me retiens de sourire en voyant sa tête dépitée. Il est bien la seule chose qui m’amuse dans ces repas avec mon boyfriend qui n’en est pas vraiment un. Il lui arrive de faire des grimaces quand Ty se lance dans des monologues ennuyeux à mourir, de se moquer de lui discrètement et même de faire mine de se pendre lorsque l’ennui menace de me perdre. Oui, j’adore vraiment Ben, y a pas à dire.
Je ne réponds pas à mon pseudo-amoureux et plonge le nez dans la carte. La proximité des avant-premières devrait me pousser à faire super attention, puisque les robes ont été retouchées sur mesure, mais j’ai follement envie de ce plat de pâtes au saumon dont je raffole et d’une part de moelleux au chocolat bien grasse.
La tête que fait Tyler lorsque je passe ma commande me donne envie de lever le camp, mais je me retiens et souris au serveur en lui demandant une carafe d’eau et des glaçons. On va tenter de rester zen et mettre toutes les chances de notre côté.
— Alors, tu as eu des propositions de rôles intéressantes ?
— Oui, ça bouge pas mal. Je vais jouer un second rôle dans une romance de Noël. Mon personnage est un commerçant qui cherche à séduire une jolie femme, mais il est tellement méchant qu'il finit seul. J'avais fait l'audition pour le rôle principal du gars qui finit avec la belle meuf, mais finalement, ils m'ont dit que j'allais mieux réussir avec ce rôle. Et puis, j'ai ce qu'il me faut avec toi en termes de jolie gonzesse. J'ai faim de toi, tu sais, petite coquine ?
— Les seconds rôles désagréables ont plus de caractère, c’est cool, lui dis-je en omettant volontairement de répondre au reste de sa tirade.
Ben hausse les sourcils et fait mine de vomir derrière lui, et je dois déjà me retenir de rire. Il est en forme, lui, aujourd’hui. Tyler aussi, apparemment, puisqu’il attrape déjà ma main sur la table et son pied vient se glisser contre le mien.
— Le tournage est prévu pour quand ? continué-je.
— D'ici là fin de l'année, je n'ai pas encore la date, mais j'ai celle de ton prochain orgasme, si tu veux.
Quel lourd…
— A moins que tu puisses me faire jouir en trois minutes, je n’ai le temps de rien avant mon départ pour l’Europe.
— Ça se tente… Tu me rejoins aux toilettes des hommes ?
— Bien sûr, mon Chéri. Je n’ai pas dû fricoter dans des toilettes depuis le lycée, ce n’est pas aujourd’hui que je vais m’y remettre. Merci pour le côté classe, grimacé-je. Je vois que tu as une haute estime de moi.
— Oh c'est toi qui dis ça ? Toi qui étais prête à te mettre toute nue au beau milieu d'un gala de charité ? A d'autres ! Pourquoi on ne passerait pas la nuit ensemble ? Ça te mettrait en forme pour ton vol demain.
J’attends que le serveur qui nous apporte les boissons et l’entrée reparte avant de répondre, et j’en profite pour réfléchir à quoi lui dire.
— J’ai encore trop de choses à faire avant mon départ, Tyler. Et au fait, je ne t’ai pas vu à cette soirée. Pourquoi tu n’es pas venu ? Une autre nenette à sauter dans les chiottes ?
— Putain, j'étais avec une assistante qui a un cul presque aussi bon que le tien, lance-t-il sans réfléchir.
Aucune jalousie de ma part, mais je saute sur l’occasion malgré tout alors que Ben fait une tête à mourir de rire, entre dégoût et dépit.
— Eh bien, je peux t’assurer que tu n’es pas près de revoir mon cul. Tu te rends compte que si ta petite assistante balance, tu passes pour un connard ? Et moi, j’ai des cornes plus longues que la grande muraille de Chine. Merci, beau contrat, Tyler.
— Oh, ça va. On aurait dû mettre le nombre de nuits où tu me laisses te baiser dans ce foutu contrat. Parce que je ne suis pas un moine, tu sais ? J'en ai marre de bander comme un âne sans jamais pouvoir te la mettre au fond. Tu fais chier à me fuir comme ça, crie-t-il, attirant l'attention des autres clients.
— Baisse d’un ton, marmonné-je en lui donnant un coup de pied dans le tibia. Et arrête de parler de moi comme si j’étais ta chose. Le contrat ne prévoyait pas de cul, estime-toi heureux d’avoir pu décharger de temps en temps, déjà. Devenir acteur demande des sacrifices. Garder ta queue dans ton pantalon en est un.
— J'en ai marre, moi, d'avoir une petite amie frigide et coincée du cul. Tu sais quoi ? Ton contrat, tu pourras t'en servir pour te frotter les fesses et je vais aller dire à tous ces journalistes qui attendent dehors quelle salope tu es et que j'en ai marre que tu fasses ta Diva avec moi. Et je vais passer sur tous les talk-shows derrière, je te promets que tu vas me regretter ! A moi, la liberté !
J’ai presque hâte de voir ça. Je vais la retrouver, moi, cette assistante, et on verra bien qui pourra jouer au partenaire trahi. Non mais, il ne sait pas de quoi je suis capable. Je vais voir avec Quinn et embaucher un détective, ça ne devrait pas être une enquête bien compliquée. Et je vais faire d’une pierre deux coups en me débarrassant de ce boulet qui m’emmerde profondément et me prend pour sa pute de luxe.
— Mais vas-y, mon Chéri. Fais-toi plaisir. Tu veux bien attendre le dessert, quand même ? J’ai vraiment envie de ce moelleux au chocolat, à défaut de vouloir baiser avec toi, le provoqué-je.
— Non, j’attends pas le dessert. J’en ai marre de n’être bon qu’à te donner des cunnis une fois de temps en temps. Tu vas devoir te contenter de tes doigts, sale conne, et tu ne pourras t’en prendre qu’à toi-même ! s’écrie-t-il en se levant brusquement.
Sans un autre regard, il sort et improvise une conférence de presse devant la vitrine du restaurant, me laissant tout loisir de l’observer, à défaut de l’entendre. Il joue parfaitement le rôle de l’amoureux désespéré et trahi, il en mériterait presque un Oscar.
Ben me lance un regard désespéré et je hausse les épaules en me levant pour le rejoindre à sa table.
— Sympa, les séances de ciné gratuites, non ? J’espère que tu aimes les drames, ris-je en arrêtant le serveur qui déposait les plats à mon ancienne table. Oh, c’est pour moi, ça. Je vais déjeuner avec ce charmant jeune homme, finalement.
Il acquiesce et me sourit poliment en déposant mon assiette devant moi. Y a pire comme compagnie. Honnêtement, je préférerais déjeuner tous les jours avec Ben qu’une fois la semaine avec Tyler… C’est cool qu’il ait foutu en l’air ce contrat, il me pesait bien trop, de toute façon.
— On utilise la sortie des cuisines pour s’échapper ou vous allez faire votre numéro aussi après pour voir qui est le meilleur acteur ?
— J’hésite encore, mais je crois que je vais me passer de faire mon cinéma aujourd’hui et fuir comme une amoureuse malheureuse.
— Ah oui, ça ne le ferait pas d’aller faire la fête maintenant que ce con est parti. Si vous voulez, je vais sortir par devant pour les occuper pendant que vous prenez la voiture. J’ai toujours rêvé de jouer à l’acteur. Je peux leur dire que vous souffrez trop pour leur parler ?
— Si ça peut te faire plaisir, gère ça comme tu veux, ris-je. Mince, tu devrais peut-être arrêter de me faire rire, ça ne fait pas trop amoureuse malheureuse, là. Oh, je m’en fous, en fait. Et, tant qu’on y est… Ça fait combien de temps que tu bosses avec moi ? Deux ans ? Tu pourrais peut-être arrêter de me vouvoyer, non ?
— Ah non, Madame, je vous respecte trop pour vous tutoyer. Vous êtes la boss, quand même ! Et je préfère vous voir rire que de passer du temps avec ce petit con.
— On peut se tutoyer et se respecter. Je te tutoie et je pense te respecter, non ? Et puis, tout le monde ne ressemble pas à Tyler, j’imagine. Non mais tu l’as entendu, ce porc ? Mon dieu, aucune retenue, grimacé-je.
— Oui, une vraie ordure. Si vous voulez, je m’organise pour qu’on lui casse la gueule ?
— Oh non, il a besoin de son joli minois pour bosser, quand même. Donc, toujours pas de tutoiement ? Très bien, soupiré-je théâtralement en attaquant mes tagliatelles. Bon appétit, et merci. Je ne te le dis pas assez, mais j’apprécie vraiment ton travail.
Je crois que je l’ai mis mal à l’aise, le pauvre. Ben est du genre discret. Et moi, pas du tout du genre à bavarder avec mon employé sur sa vie durant un déjeuner en tête à tête. Je me redécouvre moi-même, ces derniers temps, et c’est un peu déstabilisant, même si j’essaie de passer outre et de profiter de sa charmante compagnie. Comme quoi, il n’y a pas d’âge pour changer un peu, non ?
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