39. On n’arrête pas une mission inachevée
Angel
Ce qu’il y a de bien avec les vols en première classe, c’est que l’on peut vraiment se reposer. Et, malgré ma déception et mon mal-être, j’ai pu dormir une bonne partie du trajet. Bon, je n’ai fait que rêver de Rafaela. Et pas la patronne mais bien l’amante, pour mon plus grand malheur parce qu’elle ne veut pas que ça change, a priori. Et franchement, ça m’énerve de m’être fait avoir comme ça. Comment j’ai pu croire que j’avais une chance avec elle ? Là, j’avoue que je suis vite redescendu sur Terre. Mais ça vaut mieux comme ça. Ça fait mal quand ça arrive mais ça passe vite. Enfin, j’espère.
Toujours est-il qu’en arrivant à Los Angeles, j’ai les idées claires et je contacte tout de suite Quinn pour lui demander d’organiser dès demain une réunion avec Morgan et lui pour évoquer mon poste. Et l’avancée de l’enquête. Bref, je veux mettre fin à cette mascarade et ne plus rien avoir à faire avec ma patronne, parce que là, c’est compliqué à vivre tout ça. Jamais je n’aurais dû craquer avec elle, mais je n’arrive pas à regretter. C’était tellement bon.
J’évite autant que faire se peut tout contact avec Rafaela alors que Ben nous ramène à son domicile, j’essaie cependant d’être moins cassant que ce matin, au réveil. L’équilibre est fragile, mais pour discuter de tout et de rien, ça passe assez facilement. Et Rafaela n’a pas dû dormir beaucoup dans l’avion car elle a l’air épuisée et file se coucher rapidement, me laissant seul avec Ben.
— Je suis dans la merde, hein ? lui demandé-je alors qu’il s’apprête à regagner son chez-lui.
— On ne mélange pas le cul et le boulot, c’est sûr… Ce n’était pas très judicieux de votre part à tous les deux, mais ce sont des choses qui arrivent, non ?
— Ouais, tous les jours, maugréé-je. Ça t’est déjà arrivé à toi ? Tu as aussi couché avec elle ?
— Ah non, rit-il. Crois ce que tu veux, mais rares sont les types qui finissent dans son lit. Elle a confiance en toi, sinon tu n’aurais pas eu l’occasion de mieux connaître notre patronne que moi. Mais franchement, je te déconseille de chercher à poursuivre l’aventure. T’imagine un peu, t’afficher au bras d’une actrice mondialement connue ? Ça ne doit pas être rigolo tous les jours.
— Qui te parle de s’afficher ? On n’est pas obligés de crier sur tous les toits qu’on fait l’amour, non plus ! Tu penses comme elle qu’il faut communiquer sur tout ? C’est fou, ça. Moi, je crois juste que je n’ai pas assuré et qu’elle essaie de me le dire gentiment, c’est tout.
— Je crois que tu commences à bien la connaître, non ? Tu penses vraiment qu’elle ne te dirait pas les choses si c’était le cas ? Écoute, sans avoir à communiquer, tu vois un peu dans quel monde elle vit. Communication ou pas, ça finirait par se savoir. T’imagines cacher une relation ? Ça veut dire pas de vacances ensemble, pas de cinéma, pas de balade main dans la main, pas de restaurant en tête à tête où tu peux l’embrasser quand tu en as envie… Tu vois le truc ?
— Je vois surtout qu’elle avait besoin d’un mec pour satisfaire ses besoins, que j’étais là, et que me revoilà dans mon rôle d’assistant docile et attentionné. Pas sûr que je sache faire ça sur du long terme, moi. Bref, merci de m’avoir écouté, c’est sympa, Rafaela a la chance de t’avoir.
— C’est moi qui ai de la chance, c’est un boulot en or. Et, entre nous, je doute qu’elle se soit juste servie de toi, mais je comprends que tu puisses penser ça. Ne le prends pas trop personnellement, c’est juste que la vie d’une actrice, c’est bien compliqué, et elle nous embarque avec elle.
— Ouais, c’est juste pas fait pour moi, tout ça. Bonne soirée et rentre bien. Je vais aller me reposer, moi.
— Tu t’en sortais pourtant très bien jusqu’à hier soir. Bonne soirée à toi aussi, me répond-il avant de sortir.
Je faisais bien semblant, surtout, mais là, je n’ai plus envie de jouer la comédie. Il faut que ça cesse et rapidement. Et c’est toujours dans cet état d’esprit que je me rends à mon bureau le lendemain matin après une nuit à nouveau peuplée de rêves tous plus érotiques les uns que les autres. Il faut vraiment que je me soigne, ce n’est pas possible d’être entiché à ce point-là après une seule nuit. Quand j’arrive, je constate que Morgan et Quinn sont déjà en grande discussion et ils me semblent très proches, tous les deux, ce qui ne fait qu’augmenter mon exaspération.
— Bonjour, me voilà, je vous ai fait attendre ?
— Salut, boss ! Contente de te voir, sourit Morgan en se levant. Alors, l’Europe ?
— Magique. Mais pas très utile pour notre enquête. Quinn, à quoi je sers, vraiment ? La seule qui fait la détective, ici, c’est ma secrétaire. Franchement, je crois qu’il vaut mieux que j’arrête.
— Eh bien, c’est quoi cette tête ? Y a eu un souci ? Pourquoi vouloir arrêter ? On savait que vous ne trouveriez pas ce dingue en une semaine, non plus…
— Ouais, eh bien là, j’ai passé une semaine à accompagner la star, à lui ramener des cafés et tout ça pour quoi ? Le fan n’a pas écrit, n’a rien tenté, franchement, je suis sûr que c’est juste un malade enfermé quelque part. Peut-être un papy qui occupe son temps comme ça. Mais il n’y a aucun danger pour Rafaela. En plus, s’il y en avait un, Ben est là pour ça, non ? Bref, je vais arrêter de vous facturer des services inutiles et laisser la place à quelqu’un qui a toujours rêvé de devenir assistant d’une star.
— A vrai dire, on a recoupé les différents événements qui se sont produits depuis le début des lettres, Angel, intervient Morgan e n me tendant un dossier. Il se pourrait que ce fan soit l’un de ceux qui a pénétré chez Rafaela il y a presque deux ans, et celui qui a bossé dans un hôtel où elle a séjourné pendant un mois et qui lui laissait des fleurs sur son oreiller. Mon ami psy en a conclu qu’on était face à un type vraiment dangereux, capable de tout pour arriver à ses fins. C’est un gars instable, violent et impulsif.
— Pas très rassurant, tu en conviendras, ajoute Quinn en soupirant. Vous ne serez pas trop de deux pour la protéger. Surtout qu’elle ne veut pas qu’on augmente le nombre de gardes du corps.
Je regarde Morgan, dépité qu’elle ne m’ait pas suivi sur le coup. N’a-t-elle pas compris que je voulais me sortir de ce guêpier ? Que je voulais revenir à ma vie tranquille de planques et de filatures ? Que je voulais ne plus rien avoir à faire avec la star qui m’embauche ?
— Tu n’as qu’à reprendre un nouvel assistant qui soit un mec et ça ira. Tu n’as pas besoin d’un détective qui n’enquête pas. Franchement, je ne me suis jamais senti aussi inutile et impuissant dans une enquête en cours.
— Je peux savoir ce qu’il s’est passé en Europe pour que tu en arrives à ce point de ta réflexion ? grimace l’agent de Rafaela. OK, tu es plus un assistant qu’un enquêteur en ce moment, mais chaque sortie ici est une possibilité de croiser ce type, et Morgan a bien avancé dans les recherches, non ?
— Il ne s’est rien passé en Europe, justement. Et là, on va repartir à Vancouver où clairement, le fan ne viendra pas non plus. Moi, j’aime découvrir la vérité, et là, tout ce que je découvre, c’est la méchanceté des gens du showbiz. Vive le travail d’enquête.
— Je sais que Rafaela est parfois pénible, mais elle n’est pas méchante, qu’est-ce que tu racontes ?
— Allô, Angel ? Est-ce que tu as entendu ce que j’ai dit ? m’interpelle Morgan. Impulsif, imprévisible ! Et il est totalement dingue. Tu crois qu’il va pouvoir vivre plusieurs mois sans voir la femme qu’il aime ? Tu rêves, là.
— Ouais, j’ai entendu, je ne suis pas sourd. Et j’ai compris, soupiré-je. Morgan, tu vas me faire un topo sur tous les suspects potentiels, comme ça, je saurai quel profil chercher dans son entourage. Et si j’en croise un, on le passe à la question ou à la torture, au choix. Ça vous va ? Par contre, Quinn, je te préviens, si dans un mois, rien n’a changé, on se revoit et on arrête tout.
— Tu vas partir au beau milieu de son tournage ? Bordel, tu vas me la foutre à l’envers, grommelle-t-il en se levant. T’abuses ! Vous vous êtes engueulés, c’est ça ? Tu sais bien qu’elle parle avant de réfléchir, parfois ! Elle va finir par s’excuser, comme toujours.
— Mais non, on ne s’est pas disputés. Tu peux lui demander et elle te confirmera que tout va bien. Je… Ce n’est pas mon boulot, c’est tout. Mais je vais continuer, je vois bien que vous êtes inquiets pour elle. Cependant, si on trouve le fan et qu’on le met hors d’état de nuire, là, j’arrête. Milieu de tournage ou pas. D’accord ?
— Très bien. Mais commencez par me trouver cet enfoiré, tous les deux. Rafie, c’est la famille pour moi. S’il lui arrivait quoi que ce soit, je ne m’en remettrais pas.
Honnêtement ? Je crois que moi non plus, je ne m’en remettrais pas, et c’est pour ça que je vais continuer. Mais je ne sais toujours pas comment mettre de côté ce qu’il s’est passé à Paris. Franchement, c’était pas l’idée du siècle de céder à ma libido, ça complique tout. Maintenant que j’ai goûté au fruit défendu, j’y suis encore plus attaché et je n’ai aucune envie que quoi que ce soit lui arrive. C’est donc résigné que je congédie Quinn et m’installe aux côtés de Morgan pour étudier la liste qu’elle a réalisée. Cette femme est une merveille et je me demande, si un jour je reprends vraiment mon métier de détective, si je ne devrais pas l’associer plutôt que de la cantonner à un rôle de secrétaire. Son travail est formidable, précis, clair, argumenté et les informations récoltées sont de qualité. Et moi, j'emmagasine le tout pour me préparer à toute éventualité. Si un de ces types l’approche, je pense que je saurai le reconnaître. Il le faut si je veux protéger cette femme sur laquelle je risque de longtemps continuer à fantasmer.
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