42. Deux autographes pour un amour caché

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Le Fan

Quelle bonne idée elle a eue, ma jolie Rafaela ! Franchement, elle est forte et a dû ressentir le manque de communication avec moi. Ça fait plaisir de voir qu’elle a limité le nombre de personnes, cela nous permettra de passer plus de temps ensemble, surtout après le cadeau que je vais lui faire ! La pauvre, elle doit souffrir d’être coupée du monde comme ça, de ne pas pouvoir répondre à mes missives, de ne pas pouvoir me dire à quel point elle m’aime. Là, aujourd’hui, c’est le Grand Jour ! Ça va être canon, tout ça ! Un vrai feu d’artifices !

Dès que j’ai vu le post sur les réseaux, j’ai cliqué sur le bouton pour réserver une place à cette séance surprise d’autographes. Et bien entendu, vu ma réactivité, j’ai fait partie des premiers inscrits et le mail de confirmation que j’ai reçu m’a mis en joie. Franchement, elle abuse niveau timing, mais j’ai quand même eu le temps d’aller faire les courses en ville afin de lui acheter ce petit présent auquel je pense depuis si longtemps. Petit, mais pas donné. Je crois bien que je vais envoyer la facture à son agent d’ailleurs. Si j’en arrive là, c’est quand même un peu sa faute. Beaucoup, même. Trop. Parce que trop, c’est trop. S’il continue, il faudra qu’il soit éliminé. On n’empêche pas une star comme madame Lovehart de s’exprimer ! Et de répondre à l’Amour de sa vie, quand même !

Le lieu est bien choisi, cette petite bibliothèque est mignonne à souhait et je sens que je vais pouvoir m’approcher de ma Chérie dans un petit cocon qui sera propice aux déclarations. Je triture nerveusement la petite boîte que le bijoutier m’a remis. Elle est douce comme du velours, carrée, et surtout, elle contient ce qui va sceller notre passion. Ah la la… J’ai tellement hâte.

Tandis que je vais entrer dans l’édifice aux grandes fenêtres lumineuses, je suis bousculé par la personne qui sort sans faire attention. Alors que je vais m’emporter et lui crier dessus, je réalise qu’il s’agit de LA femme, La star elle-même. Téléphone vissé à l’oreille en train d’expliquer à son interlocuteur qu’elle n’avait pas de réseau à l’intérieur. Je reste interdit, ne sachant pas s'il vaut mieux que je rentre prendre ma place dans la file d’attente ou que je reste près d’elle. Mais il est tellement rare de la croiser que je reste devant la porte et l’observe. Elle est magnifique et je me dis que je vais avoir l’occasion de saisir ma chance quand elle raccroche et se tourne vers moi.

— Bonjour, Madame Lovehart, tenté-je doucement.

— Oh, heu… Bonjour, sourit-elle en regardant par-dessus mon épaule. Vous êtes inscrit pour la séance de dédicaces ? Vous devriez faire la queue, ça se remplit bien vite…

— Oui, mais vous êtes là et…

Je n’ai pas le temps de continuer que déjà la porte s’ouvre et que celui qui est son assistant depuis quelques semaines maintenant se pointe.

— Tu fais quoi, Rafaela ? La séance va commencer, tout le monde t’attend !

— J’arrive, ça va. On n’est pas à une minute près, si ? Bella n’attend pas, la patience n’est pas son fort, elle m’a appelée huit fois en quinze minutes, soupire-t-elle avant de se retourner vers moi. On se voit à l’intérieur alors.

Je reste sans voix alors qu’elle file dans la bibliothèque et que j’affronte le regard suspicieux de cet homme barbu qui me toise. Je prends mon air le plus naturel et m’avance vers lui, sans crainte apparente. S’il pense qu’il va m’impressionner avec sa carrure, il se plante. Et c’est quoi tous ces poils sur son visage ? Il veut cacher comme il est laid ?

— Pardon, je dois aller faire la queue, j’ai mon invitation, indiqué-je en lui montrant le précieux sésame.

— Oui, oui, entrez, c’est là-bas, sur la gauche, près de la rangée sur les livres d’histoire.

Je m’exécute et constate qu’il y a déjà une trentaine de personnes devant moi. Même si elle se dépêche, j’en ai au moins pour une demi-heure à patienter et je m’en veux de n’être pas arrivé plus tôt. Quoique… Cette rencontre devant la porte, c’était sûrement un signe du destin, non ? Et elle était prête à me parler si l’autre débile n’était pas intervenu. Purée, il va falloir que je lui écrive aussi, à cet énergumène. J’imagine déjà dans ma tête le début de la lettre.

Monsieur l’Assistant à la triste mine, Je vous écris ce courrier pour vous informer que votre attitude et votre tronche patibulaire ne me reviennent pas du tout. Votre comportement envers ma Promise est inadmissible et j’exige que vous cessiez immédiatement de l’importuner comme vous le faites. Je saurai vous punir si vous ne me laissez pas m’approcher d’elle. Je vous torturerai si vous l’empêchez de me contacter.

J’hésite un peu sur la suite. Je me demande ce qui pourrait lui faire vraiment peur. Que je lui coupe les couilles ? Que je l’électrocute ? Pas facile d’écrire ces courriers, il faut savoir peser chacun de ses mots. J’aurais dû faire écrivain, moi, j’ai quand même un réel talent qui passe inaperçu.

Un mouvement à l’entrée attire mon attention. Un type avec un style de punk entre dans la pièce. Le tatouage qui couvre la moitié de son visage est la preuve d’un manque de goût certain et je me demande ce qu’il fait là. Mais il a à peine mis un pied dans la bibliothèque qu’un type du genre armoire à glace le stoppe et qu’immédiatement, l’assistant se dirige vers eux. Ils échangent un rapide conciliabule, bientôt rejoints par une femme d’âge moyen, plutôt mignonne et finalement, le gars est autorisé à rejoindre sa place dans la queue. C’était quoi ce bordel ?

Je serre plus fort la petite boîte dans ma poche. S’ils sont à ce point tendus, c’est qu’ils s’attendent à des problèmes. Finalement, je commence à comprendre ce qu’il se trame. Si je me déclare ici, devant tout le monde, ils vont me sauter dessus et m’empêcher d’accomplir mon destin. Et après, plus moyen de m’approcher de ma Dulcinée. Ils sont forts, les vauriens, très forts. Mais ils ne savent pas à qui ils ont affaire. Je suis quand même le King des Kings. Le Master des Masters. Le Boss des Boss. Et surtout, l’Amoureux secret de la jolie femme qui me fait signe d’avancer, un sourire aux lèvres. Je ne suis pas en position de la libérer, mais je vais lui faire comprendre que je suis de son côté et qu’elle peut croire en moi et en mon amour.

— Rebonjour, dis-je en souriant. Je suis votre plus grand fan ! Je vous aime d’Amour, vous savez ?

— Eh bien, ça a le mérite d’être clair, rit-elle en récupérant une photo d’elle sur le tas. A quel nom, l’autographe ?

— Edmond, Rafaela, vous savez, comme le comte de Monte Cristo ? Ma mère était une grande romantique…

J’espère qu’elle va saisir l’allusion, même si ce n’est pas vraiment mon prénom. Elle doit le connaître d’ailleurs et je ne suis pas surpris de voir à quel point elle joue parfaitement la comédie et prétend ne pas savoir qui je suis. Une actrice de ce talent, c’est fabuleux de la voir à l'œuvre.

— C’est un très joli prénom. Elle avait du goût, votre mère, j’espère juste que vous n’allez pas finir emprisonné, contrairement au comte, continue-t-elle en prenant le temps de m’écrire quelques mots avant de signer. Voilà, tenez.

— Merci beaucoup. Vous pouvez m’en faire une deuxième pour elle justement ? Elle vous aime aussi énormément mais n’a pas pu avoir de ticket pour venir vous voir.

— Oui, bien entendu, sourit-elle en me regardant enfin. A quel nom ?

— Karen, dis-je sans réfléchir, en donnant le réel prénom de ma mère. Elle sera ravie, vous savez ?

— Eh bien, je suis contente de pouvoir lui faire plaisir. C’est dommage qu’elle n’ait pas pu venir.

— Je lui donnerai votre autographe, elle sera vraiment heureuse, vous savez. Bon courage pour la fin de cette longue séance, ajouté-je en lui souriant. Et continuez à nous faire rêver avec vos rôles et votre talent !

— Merci Edmond. Bonne fin de journée à vous et merci d’être venu.

Je m’éloigne à regrets d’elle, déjà remplacé par une petite jeune femme qui n’a pas arrêté d’essayer de prendre ma place, et sors rapidement afin de pouvoir découvrir le message secret qu’elle m’a écrit, loin du regard inquisiteur de ses geoliers. Finalement, le coup de ma mère, c’était une bonne idée, ça lui a laissé le temps de me laisser deux messages, vraiment pas bête de ma part ! Mais je suis déçu en voyant qu’elle a juste écrit “Merci pour votre fidélité, Karen. Kiss. R.” C’est quoi le secret dans ce message ? Elle n’a même pas souligné de lettres… Étrange. Elle a vraiment si peur que ça ? Sur le mien, ça doit être différent, il ne peut en être autrement. Qu’a-t-elle donc mis ? Je regarde derrière moi pour voir si quelqu’un m’espionne, mais je suis tranquille. Je lis donc son premier autographe :

“Ce fut un plaisir de vous rencontrer, Edmond. Merci d’avoir répondu présent et au plaisir de vous revoir. Amicalement. Xoxo. Rafaela”

Non, mais je rêve ! C’est un message classique, ça. Rien de secret. Pfff. N’importe quoi. Non mais, elle veut juste m’énerver, là ! C’est pas possible ça. Merci d’avoir répondu présent. Je n’y crois pas, c’est tout ce qu’elle trouve à dire ! Je m’énerve tout seul et suis à deux doigts de détruire le message quand tout à coup, la vérité claire et limpide me saute aux yeux. Quel con j’ai été d’avoir douté d’elle ! Elle a fini par des bisous ! Xoxo ! J’ai été aveugle de ne pas le voir tout de suite. Et elle veut me revoir. Si ça, ce n’est pas un appel à l’aide, je ne sais pas ce que c’est !

D’un pas décidé, je rentre chez moi. Il va falloir que j’écrive des courriers. Que je les menace, ces vauriens qui la restreignent dans ses libertés, tous autant qu’ils sont. Franchement, ils vont regretter de s’être mis sur mon chemin. Ils vont déguster, les pauvres. Elle m’aime… Mon cœur flotte sur un océan de bonheur. Les salauds… M’empêcher de vivre ça.

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