53. Le chevalier pas si servant que ça

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Angel

Cette journée cauchemardesque n’en finira donc jamais ? Voilà maintenant que les deux tourtereaux sortent ensemble du restaurant et je crois qu’ils sont bien partis pour continuer leurs folies dans le même lit. Un remake de la scène du matin, mais avec une jouissance du bel Éphèbe non pas par terre mais dans un endroit bien plus chaleureux. Franchement, c’est la merde, cette histoire. Parce que si c’était déjà compliqué de la voir se faire toucher par ce magnifique acteur dans une scène de cinéma, c’est encore plus insupportable de le voir faire en vrai. Je crois que je pourrais apprendre à ne pas trop détester la voir en embrasser d’autres, à la voir s’amuser avec un acteur, même canon, pour répondre aux exigences d’un rôle, mais quand elle fait ça sans avoir la lumière des projecteurs comme excuse, là, je craque.

Et qu’est-ce que ça veut dire, tout ça ? Pourquoi je pense à elle comme ça ? Je suis qui pour croire qu’elle m’est réservée ? Je l’ai faite jouir toute une nuit, ça me donne des droits ? Non, aucun, pensé-je alors que je reprends ma filature discrète derrière le couple des deux acteurs les plus en vogue en ce moment. Les voilà qui se bécotent à nouveau à côté de la voiture de Patrick.

Comment ça se fait qu’ils soient ici sans protection, d’ailleurs ? J’ai beau examiner les alentours, je ne vois personne, ni garde, ni police, ni sécurité privée. Pas même un paparazzi ! Je ne sais pas comment l’acteur a organisé tout ça mais il a clairement des entrées un peu partout pour arriver à de tels résultats. Cela me conforte un peu dans l’idée que j’ai bien fait de ne pas écouter ma patronne et de ne pas l’avoir abandonnée à ses activités. Certes, en tant qu’assistant, j’ai fait ce qu’elle m’a demandé et je me suis éclipsé. Mais en tant que détective et actuel seul membre de son staff chargé de sa sécurité, je n’avais pas le droit de faire comme si rien ne pouvait lui arriver. Et là, je regrette clairement d’avoir entamé cette filature. Quoique. Il me semble que ça s’agite à côté de la voiture. Vite, il faut que je me rapproche, tant pis si elle me grille.

J’ai l’impression qu’elle s’est mise à crier et en tout cas, elle est clairement en train de le repousser. Est-ce un jeu entre eux ? Une façon de faire monter l’excitation ? A-t-elle changé d’avis depuis le restaurant et ce baiser qu’ils ont échangé et qui m’a tant causé de douleurs ? Pourquoi je n’ai pas installé un micro dans les affaires de Rafaela comme je le fais d’habitude quand je me lance dans une filature ? Parce que ce n’était pas prévu qu’elle m’abandonne comme ça, sûrement.

J’entends Patrick confirmer une des pistes que j’avais envisagées. Il lui dit qu’il aime quand elle résiste comme ça et je me stoppe dans ma progression vers eux, ne voulant pas interrompre ce qui s’annonce comme un jeu certes un peu pervers mais qui peut être très excitant. J’essaie de la jouer discrète en m’agenouillant pour faire semblant de relacer ma chaussure, ce qui me permet de rester hors de leurs champs de vision mais à portée d’oreille.

Quand Rafaela essaie de le repousser plus fermement et l’insulte, je réagis au quart de tour. Ce porc est en train d’essayer d’abuser d’elle et il faut que je mette un terme à ses agissements immédiatement. On ne touche pas à Rafaela sans avoir affaire à moi ! Je bondis et attrape Patrick par l’épaule avant de le tirer violemment en arrière. Il est surpris par cette attaque imprévue et se retrouve complètement déséquilibré. Il tombe à la renverse et je m’interpose entre lui et la belle brune afin de la protéger contre une éventuelle prochaine attaque.

— Pas besoin de crier au viol, il ne va plus t’embêter, commencé-je à dire alors que Patrick est déjà en train de se relever, m’obligeant à reporter mon attention sur lui. Elle vous a dit non, qu’est-ce que vous ne comprenez pas dans ce mot ?

— T’es qui, toi ? Et qu’est-ce que tu fous là, d’abord ? Occupe-toi de tes affaires ! beugle-t-il en titubant.

— Moi, je suis l’homme qui va vous empêcher de faire une connerie. Je suis l’assistant de Rafaela et si vous recommencez à vouloir la toucher sans son consentement, je vous préviens que je risque de devenir violent. Alors, maintenant, vous la laissez tranquille ou vous aurez mal à la tête pour autre chose qu’un verre de trop, continué-je en le menaçant, le poing levé.

— Angel, c’est bon, intervient ma patronne en posant sa main sur mon avant-bras. Il faut l’empêcher de reprendre la route, il n’est pas en état de conduire. Je lui appelle un taxi et on s’en va…

— Ah non, toi tu ne t’en vas nulle part ! Et sûrement pas avec lui ! Si tu dois baiser ce soir, ce ne sera pas avec ce petit con ! Putain, j’ai deux Oscar, moi ! Comment tu peux me résister ?

Il essaie de me contourner pour se rapprocher de Rafaela, mais je le retiens et suis obligé d’arrêter son bras alors qu’il essaie de me frapper.

— Eh, doucement, j’ai dit. Si tu continues, je vais abîmer ton joli visage et pas sûr que tu puisses continuer le tournage, le menacé-je alors que je dois à nouveau le retenir pour éviter qu’il ne tombe. Tu as trop bu, elle a raison, ma patronne. Tu fais pitié, là.

— Va te faire foutre, abruti ! Je ne t’ai rien demandé ! Allez, Rafie, viens avec moi, ramène-moi à la maison, ma jolie.

— Rafaela, je fais quoi ? Tu as appelé le taxi ? Je le maîtrise jusqu’à ce que son chauffeur arrive ?

— Il y a un Uber à même pas deux minutes d’ici, il arrive. Et Patrick va être un homme sérieux et se calmer, j’en suis certaine…

— De toute façon, personne ne m’aime, commence-t-il à se lamenter en se prenant le visage entre les mains, adossé à sa voiture. Tous ceux qui prétendent le contraire ne le font que pour s’assurer l’attention d’une célébrité comme moi. Je croyais que tu étais différente, Rafaela. La façon dont tu m’as regardée… j’ai vraiment cru qu’une femme comme toi pourrait m’aimer pour ce que je suis, conclut-il avant d’éclater en sanglots.

Je ne sais pas comment réagir, mais je le lâche, conscient qu’il a dépassé le stade de la violence. Je recule un peu pour laisser sa partenaire du film intervenir si elle le souhaite.

— Je comprends, Patrick, et je suis désolée… Je sais ce que c’est que de se retrouver entourée de personnes mal intentionnées, ou profiteuses… C’est pesant et ça nous contraint à nous murer dans la solitude. Mais je t’ai dit que je sortais d’une relation et que je n’étais pas prête. Et ça n’aurait pas été honnête de coucher avec toi en pensant à un autre, si ? Je ne couche pas pour coucher.

— On pourra se faire un petit contrat comme avec Tyler, non ? Pour assurer encore plus la promotion du film ? S’il te plait, Rafaela… Cela me donnerait un peu de bonheur… Je n’ai plus que ça, maintenant que ma femme s’est barrée…

Il essaie clairement de l’apitoyer et cela m’énerve. Je suis à deux doigts de revenir m’interposer et le forcer à relacher les mains de la jolie femme dont il s’est saisi, mais un regard de ma patronne m’en empêche.

— Pas de contrat, Patrick. Ça ne donne rien de bon, ça, hormis l’impression d’utiliser l’autre et d’être utilisé. Et ce n’est pas ce que tu recherches, pas plus que moi. Voilà ton taxi… Tu vas pouvoir te reposer et décuver. On parlera de tout ça demain, quand tu seras capable de réciter l’alphabet à l’envers.

Le bel acteur a clairement perdu de sa splendeur et de sa superbe. Il est en larmes et nous sommes obligés de l’aider à s’installer dans le véhicule avant qu’il ne se saisisse de nos deux mains, toujours en pleurant.

— S’il vous plaît, ne dites rien à la presse sur ma dépression, sur ma bêtise… Je… je vous paierai tout ce que vous voudrez pour votre silence.

— Ne t’inquiète pas pour ça. Et vous, continue Rafaela en se penchant à la fenêtre du conducteur pour lui tendre quelques billets, si je vois une seule photo sortir dans la presse ou si l’histoire vient aux oreilles de quiconque, je vous retrouverai et vous paierez cher. Ramenez-le… On se voit demain, Patrick.

Le chauffeur fait oui de la tête. Je ne crois pas qu’il dira quoi que ce soit, j’ai l’impression qu’il ne parle même pas notre langue et il a juste l’air ravi d’avoir déjà bien gagné sa soirée, vu l’argent qui lui a été remis. Nous regardons partir la voiture jusqu’à ce qu’elle disparaisse après avoir tourné à un feu.

— Eh bien, puisque je suis là, je te ramène à la maison ? Heureusement que je montais la garde, n’est-ce pas ? demandé-je, le sourire aux lèvres.

— Qu’est-ce que tu foutais là, d’ailleurs ? Et pas la peine de me sortir le hasard, je n’y croirais pas une seconde.

— Eh bien, comme Ben n’est pas là et que j’ai toujours peur par rapport à ce fan qui t’envoie tous ces mots bizarres, je me suis dit que j’allais rester près de toi au cas où. Et j’ai bien fait, non ?

— Rappelle-moi pourquoi tu es engagé, déjà ? Ah oui ! Assistant. Pas bodyguard, Angel, assistant. Si je te demande de prendre ton après-midi, tu prends ton après-midi. Je n’ai pas besoin d’une nounou, bon sang !

— Eh bien, ça vaut le coup de venir sauver tes fesses, dis donc ! C’est comme ça que tu me remercies de l’avoir empêché d’abuser de toi ? Si je n’étais pas resté, tu allais faire quoi, hein ?

Elle m’énerve clairement là. Si je n’étais pas intervenu, est-ce qu’elle aurait réussi à se sortir de ses horribles pattes ? Je ne crois pas…

— J’aurais fait comme je le fais depuis que je suis ado et que les mecs se croient tout permis sous prétexte que j’ai des seins, Angel. Je ne suis pas une princesse en détresse, putain. Si tu veux jouer au sauveur, engage-toi dans la police ! Si je ne peux même plus avoir de vie privée parce que tu me suis, où va-t-on ?

— Là, on va à la maison que tu loues plutôt qu’à la maison de ce gros porc qui allait abuser de toi. C’est déjà pas mal. Et si Ben avait été là, il ne t’aurait pas laissée seule et serait intervenu aussi, je suis sûr. J’ai juste fait ce que lui aurait fait, c’est tout, maugréé-je.

— Et t’aurais fait quoi si j’étais partie avec lui ? Tu aurais fracassé sa porte pour t’assurer qu’il ne touche pas à ta patronne, peut-être ? Tu étais vraiment là pour me protéger, ou c’était de la curiosité malsaine ? Ou de la jalousie, peut-être ? Je voulais t’épargner ça, mais apparemment tu n’es pas assez lucide pour le faire de toi-même, me dit-elle. Elle est où, la voiture ? Rentrons, oui.

— Tu es injuste avec moi, Rafaela. Tu ne te rends pas compte de ce que tu dis. Si tu étais partie de ton plein gré avec lui, je serais resté à veiller devant la porte. Pour te protéger, oui, et pour être là au cas où tu aurais eu besoin de rentrer en plein milieu de la nuit. C’est à ça que sert un assistant, non ? Et je suis embauché à temps complet, je te rappelle. Je n’ai pas de repos tant que je suis à ton service… Mais bon, je suis garé dans la rue à côté. Il vaut mieux s’arrêter là sinon on va tous les deux dire des choses qu’on va regretter.

— C’est ça, au moins une chose où tu as raison, marmonne-t-elle en se mettant en marche devant moi.

Parce que sur tout le reste, j’ai tort peut-être ? Non mais franchement, elle abuse. Je lui sauve la vie, ou au moins, j’évite qu’elle ne se fasse violer, et voilà comment elle me remercie ! Tu parles d’une reconnaissance. Peut-être qu’en fait, malgré tous ses dires, elle aurait vraiment voulu passer sa soirée avec Patrick et que je lui ai cassé son coup. Foutue actrice. On ne sait jamais quand elle joue et quand elle dit vrai.

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