64. L'agent perturbateur
Rafaela
Je ne retiens pas le sourire qui naît sur mon visage en ouvrant la porte de la maison. Un gros bouquet de fleurs sur la table de l’entrée embaume le hall et la lumière vive de ce soleil, en cette fin de novembre, perce à travers les grandes baies vitrées qui donnent sur la ville en contrebas. Home sweet home. Je devrais accrocher l’un de ces posters en face de la porte, parce que c’est ce que je me dis systématiquement en rentrant chez moi.
— Ellen ? Tu es là ?
Il n’y a pas un bruit dans la maison, si ce n’est celui de l’eau de la petite cascade dans la salle, installée par les anciens propriétaires qui étaient vraiment du genre à montrer leur fric plus que de raison. Dit la nana qui a acheté cette maison à un prix faramineux.
Mon sourire s’agrandit encore en voyant apparaître la Mama de la maison. J’ai l’impression de redevenir une vraie gamine, tout simplement heureuse de retrouver sa mère. Sauf qu’elle ne l’est pas… ce qui ne m’empêche pas de faire la moitié du chemin avec elle et de la prendre dans mes bras. Je me repais de son parfum, une odeur de lilas, sucrée et qui me permet en général de la suivre à travers la maison.
— Comment tu vas ? Je suis contente de te retrouver, continué-je en la serrant contre moi.
— Eh bien ! On dirait que toi, tu vas super bien ! Tu nous as manqué, ma Biche. Mais tu es rayonnante ! L’air canadien te fait du bien !
— Tu déconnes, ris-je. J’ai des cernes plus profondes que ma valise et je pourrais dormir vingt-quatre heures d’affilée. C’est toi qui rayonnes. On dirait bien que tes vacances t’ont fait le plus grand bien. Où est Phillip ? J’ai envie de câlins, aujourd’hui, je crois. Tu me le prêtes quelques minutes ?
— Ah les vacances font toujours du bien. En plus, avec Phillip, on dirait qu’il a retrouvé une nouvelle jeunesse. Il doit être au jardin, si tu veux aller le voir. Angel n’est pas avec toi ou il arrive ?
— Il arrive. Il a proposé à Ben de partir dans la seconde retrouver sa dulcinée, à peine rentré. Il doit galérer à rentrer la voiture au garage. Je reviens, je vais voir le jeune Phillip alors !
Je dépose un baiser sur sa joue et traverse le salon pour sortir sur la terrasse. Effectivement, le bonhomme est bien en train de jardiner. Du moins, il taille les buissons, toujours aussi perfectionniste.
— Si tu lâchais ton bistouri, le temps de me faire un câlin et de me dire combien je t’ai manqué ? l’interpellé-je en approchant.
— Oh, voilà la plus belle et la plus formidable des actrices ! Viens donc là que je t’embrasse, ma Petite.
Je souris en me glissant entre ses bras et profite de la chaleur humaine qui se trouve dans mon chez-moi, bien loin d’Hollywood, des studios de Vancouver, des journalistes et des fans. Juste moi, et les personnes en qui j’ai le plus confiance. Si Ellen et Phillip sont mes employés, ils sont surtout devenus des personnes de ma famille, et je ne vois plus ma vie sans eux.
— Lâche un peu le boulot, je veux tout savoir de vos vacances. Café ? lui demandé-je alors qu’Angel nous rejoint et serre la main de Phillip avec un sourire franc.
— Je veux bien un café, oui. Et les vacances ont été… chaudes ! Madame a retrouvé toute sa fougue d’antan ! rit-il.
Je me bouche les oreilles brusquement et ouvre grand les yeux alors que mon assistant éclate de rire. Bon dieu, j’ai l’impression d’entendre mon père parler de cul, c’est horrible.
— Finalement, je ne veux pas tout savoir non plus ! En tout cas, rien de ce qui concerne votre vie… sexuelle, grimacé-je.
— Ne me dis pas que tu ne t’es pas du tout amusée pendant ton séjour au Canada. Ce Patrick, c’est un bel homme célibataire, non ? N’hésite plus !
— Non merci ! Allez, viens prendre une pause. Angelito, un petit rafraîchissement ? C’est moi qui régale.
— Si c’est toi qui payes, j’en suis !
En moins de temps qu’il n’en faut, nous nous retrouvons au salon, boisson à la main, et nous discutons des dernières semaines écoulées. Je suis heureuse d’avoir retrouvé mon petit cocon sécure, ça fait un bien fou et je me dis qu’ici, au moins, le fan fou ne peut pas m’atteindre. J’avoue que je commence à réellement flipper. Son dernier courrier était vraiment bien barré. Je fais mine de m’en foutre parce que tout le monde me stresse déjà suffisamment avec ça, mais je n’en mène pas large.
Je suis contente de voir que Phillip et Ellen se lancent des regards complices. J’espère vraiment avoir une relation suffisamment forte pour résister aux affres du temps, au quotidien, à la routine. Aimer n’est pas une chose facile, et je me demande si Angel et moi, nous pourrions tenir le coup de la sorte. J’ai bien peur que ma notoriété soit un sacré frein à tout ça, et peut-être même que je m’en sers un peu pour ne pas m’emballer. Je ne suis pas sûre que mon assistant appréciera la vie avec une actrice, sur le long terme. Et j’ai peur, aussi, que ce coup de cœur soit davantage un kiff physique qu’un réel sentiment amoureux pour ma personne. Il passe son temps à me dire que je suis belle et désirable, et aussi agréable cela puisse être, j’aimerais parfois qu’on me trouve intelligente ou drôle plutôt que juste canon. C’est toujours ça qui ressort de moi, c’est dingue.
Quand Angel et moi montons au premier pour vider nos valises, je l’arrête devant nos portes et me love contre lui pour l’embrasser tendrement.
— Tu ne m’a pas dit si tu prenais des congés, maintenant qu’on est rentrés, au fait…
— Je n’en prends que si tu en prends aussi. Avec moi, bien sûr.
— Je ne sais pas si je vais pouvoir en prendre… Ça va dépendre des folles idées de Quinn, ça.
— C’est moi, l’assistant, non ? Je peux libérer tes prochains jours pour des vacances bien méritées.
— J’ai envie de profiter un peu de la maison avant d’envisager de partir… Et puis, il faudrait qu’on parte dans un coin bien reculé pour éviter de faire parler… La diva en vacances avec son assistant, ça ferait les gros titres des people, grimacé-je en nichant mon nez dans son cou.
— A ton service, ma jolie patronne. Nous verrons bien comment les choses se présenteront.
Je lui souris et me libère de son étreinte pour entrer dans ma chambre. Je n’ouvre même pas ma valise et me laisse tomber sur mon lit. J’ai bien envie d’enquiquiner Ellen et j’ai hâte de l’entendre me traiter d’ado flemmarde parce que je ne la vide pas. Je crois que ce n’est qu’à ce moment-là que je vais vraiment avoir l’impression d’être rentrée chez moi.
J’ai hâte de voir Angel nu sur ce lit. Je dois sans doute être un peu trop accro… parce que j’ai vraiment envie de le voir endormi sous les draps, ses bras autour de moi et son souffle dans mon cou. Me voilà dans de beaux draps, c’est le cas de le dire.
Deux coups à la porte me font rouvrir les yeux. J’ai dû m’assoupir un moment parce que je suis à l’ouest, ce qui fait sourire Ellen.
— Quinn est là, petite marmotte. Il veut voir sa talentueuse actrice enfin de retour au bercail.
Sa poule aux œufs d’or, plutôt. Je grimace en me levant et file dans mon dressing alors que j’entends la sexagénaire marmonner.
— Rafie, tu aurais pu me vider ta valise, ou au moins commencer. Je vais encore devoir attendre une semaine tes vêtements ?
Je souris en l’entendant. Bon sang, qu’est-ce que je l’adore, cette femme. Même quand elle ronchonne. Encore plus quand c’est le cas, peut-être.
— Je te promets que je ferai ça demain, Mamita, ris-je. Je me change et je descends voir Quinn.
Elle acquiesce et sort de ma chambre, non sans avoir lancé un dernier regard dépité à ma valise. Je me dépêche de me changer, troquant ma tenue de sortie pour un bas de jogging confortable et un tee-shirt ample, avant de descendre et de gagner mon bureau. Quinn est confortablement installé sur le canapé et se lève pour me prendre dans ses bras, tout sourire.
— Un revenant, souris-je. Tu n’as même pas fait l’effort de venir à Vancouver, je ne te le pardonnerai jamais.
— Je t’ai manqué à ce point-là, Princesse ? J’ai l’impression que tout s’est bien déroulé et que tu n’as pas eu besoin de moi. On voit que tu vieillis, je n’ai pas eu une seule plainte sur ton séjour. Ni sur la maison, ni sur l’assistant, ni sur le tournage. Tu es sûre que tu vas bien ? L’air canadien t’a fait autant de bien que ça ? se moque-t-il après m’avoir fait la bise.
J’étais vraiment si terrible que ça ? Pourquoi est-ce qu’il semble aussi moqueur ? Je ne pense pas avoir été la pire de ses divas, moi. Je veux bien qu’on dise que je suis chiante, mais quand même.
— La maison était géniale, l’assistant a fait son boulot, et j’étais trop crevée par le tournage pour me plaindre. Et toi, comment tu vas ?
— Tout va bien pour moi, mais je suis inquiet. Très inquiet même, si tu veux tout savoir. Tu n’as pas l’air de beaucoup t’en faire, mais ce fou qui n’arrête pas de t’écrire, il me fait un peu flipper.
Youpi… un de plus. Est-ce qu’on pourrait ne pas parler de lui rien qu’une journée ? Et est-ce qu’Angel et Ben balancent absolument tout de ma vie à Quinn ?
— Tu as des rapports quotidiens de tes petits espions sur ma vie ou quoi ? Cette maison est une forteresse, il n’y a aucun endroit où je suis plus en sécurité qu’ici.
— Je m’occupe de ma star préférée, c’est tout. C’est aussi mon rôle de m’assurer que rien de mal ne t’arrive. Je crois qu’il faut qu’on mette la police sur le coup et qu’on organise une protection plus rapprochée, encore. Ben, ça ne suffit pas.
— Oh arrête, Ben n’est pas tout seul. Et je sais me défendre. Angel est toujours collé à mes basques. Et j’ai quasiment tout le temps des paparazzi sur le dos. Je ne suis jamais seule. Ce gars aurait surtout besoin d’être soigné, le pauvre.
— Ce gars est surtout obsédé par toi. J’ai fait analyser ses courriers, on est sur un mec qui a un profil psychologique dangereux, qui peut passer à l’acte à la moindre occasion. Il est peut-être en train de surveiller ta maison en ce moment-même. Il ne faut pas prendre ça à la rigolade.
— Je ne prends pas ça à la rigolade, Quinn. J’en ai marre de vivre avec des contraintes de partout, alors je fais en sorte de ne pas me brider une fois de plus. Entre mes parents, les paparazzi, mon image… j’ai déjà bien assez de trucs à gérer comme ça. C’est pas un psychopathe qui va m’empêcher de vivre, et certainement pas les flics qui vont me coller au train. Autre chose ?
— Sur ce sujet, non, vu comment tu en parles, soupire-t-il. Je t’ai par contre ramené une proposition de scénario qui devrait te plaire. Un rôle dramatique où tu ne vas devoir draguer personne, c’est ce que tu voulais non ? Bon, d’accord, le perso est censé avoir la quarantaine, mais bon, tu n’es plus si loin, ça devrait le faire, non ?
— La quarantaine ? Je ne suis plus si loin ? Tu cherches à te faire virer d’ici à coup de pied au cul ou quoi ? bougonné-je. Il y a plein d’actrices géniales dans cette tranche d’âge, alors tu peux d’office dire non, je ne suis pas intéressée.
Foutu Hollywood, foutu cinéma avec ses codes pourris. Embaucher une trentenaire pour un rôle de quadra. La base pour les femmes. Et encore, ils auraient pu viser plus jeune comme actrice.
— Ne me regarde pas comme ça, Quinn, je suis sérieuse et je te l’ai déjà dit. Hors de question de faire ça. Je ne changerai sans doute pas la mentalité de ce milieu, mais je ne m’y soumettrai pas.
— Tu devrais le regarder quand même. C’est un film de Tarantino. Et tu peux peut-être transformer le perso en trentenaire. C’est une opportunité en or, tu sais ? Mais bon, je crois que je t’ai fâchée en parlant du fou, alors quoi que je dise ou propose, je vais essuyer des refus. Tu devrais prendre quelques jours pour te reposer loin d’ici, ça te ferait du bien, je pense.
— Tarantino, sérieux ? soupiré-je. J’aurais pu dire oui, mais entre le perso trop âgé pour moi et ses sorties pour soutenir Polanski accusé de viol sur mineur y a quelques années, ça ne donne pas trop envie, non merci. Et t’as raison, je vais partir en vacances, c’est au programme.
— Tu me dis bien où tu vas que je m’assure que tu ne sois pas en danger, hein ?
— Tu m’emmerdes, Quinn. Je suis une adulte, tu sais ? J’aimerais au moins avoir le contrôle de mes vacances !
Je me lève, agacée, et vais lui ouvrir la porte du bureau en lui faisant signe de sortir.
— A bientôt. J’ai des choses à faire. Tu veux que je t’envoie un message quand je vais aux toilettes aussi, ou ça va aller ?
— Moi aussi je t’aime. Je fais ça pour ton bien, tu sais ? explique-t-il en se dirigeant vers la sortie.
Sans doute. Mais moi, ça m’oppresse. C’est tout le temps. Tu devrais faire ci, pense à faire ça. C’est fatiguant, à force. Finalement, Vancouver, c’était pas plus mal. Ben ne me dit jamais quoi faire et Angel respecte mon intimité, lui. Même s’il me parle du fan aussi de temps en temps. J’ai juste envie d’oublier qu’un dingue doit se tripoter devant mes photos, en fait. Et je compte bien partir en vacances tranquillement. J’adore Quinn, mais il est capable de balancer aux paparazzi mon lieu de vacances pour faire parler de moi, même quand je ne suis pas là, alors j’aimerais autant que ce petit moment-là soit mon refuge, ma vie vraiment privée.
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