84. Coups de sang
Angel
Ben a pris le volant. Ça vaut mieux parce que moi, je ne me sens pas capable de me concentrer sur quoi que ce soit. Ah si, toutes mes pensées sont tournées vers Rafaela aux mains de ce fou. Depuis ce matin, il a eu le temps de lui faire subir tellement de trucs. Dans quel état va-t-on la retrouver ? Cela fait presque seize heures qu’il est avec elle, elle a déjà dû tant souffrir. Je sens une rage folle qui se déverse en moi.
— Accélère, Ben. On va arriver trop tard, sinon. Et il faut qu’on prévienne les flics quand on sera sur place. Tu pourras le faire ? Sinon, je crois que je vais leur sauter à la gorge.
— Je fais au mieux, Angel. Cette route est merdique et il fait nuit noire, bon sang.
— Je devrais appeler les flics, ils y seront sûrement avant nous.
— J’en doute. Et comment on fait s’ils nous disent de faire demi-tour, hein ?
— Eh bien, on continue alors. Mais, va plus vite. De toute façon, s’il lui est arrivé un truc, ma vie n’a plus d’intérêt…
Je vois à son regard qu’il croit que j’en fais trop, mais non, je pense que si un malheur est survenu, je n’aurai pas la force de continuer mon chemin sans elle. Elle a pris trop de place, trop d’importance. Quand enfin on lit le nom du parc où se situe la cabine, nous nous adressons à l’accueil en indiquant que nous avons rendez-vous avec notre ami et nous devons avoir l’air crédible car la petite jeune nous donne le numéro de la cabine où nous allons pouvoir retrouver l’agresseur de Rafaela.
Ben se gare un peu à l’écart et nous observons la scène quelques instants. La cabine et le lieu sont magnifiques, avec une vue sur le lac imprenable. Il n’a pas fait les choses à moitié pour s’éloigner de l’agitation de L.A. Je vais sortir du véhicule, incapable d’attendre plus longtemps, j’ouvre ma portière, mais Ben me retient fermement par le bras. Il me montre la silhouette qui se dirige vers la cabane en bois et je comprends que j’ai failli me faire surprendre par notre cible du jour. L’homme que nous voyons n’a pas l’air inquiet du tout. Il marche tranquillement vers la petite maisonnée comme un touriste lambda.
Ben profite de ce petit temps pour composer le 911 et il parvient rapidement à convaincre la police d’intervenir en invoquant un différend avec son voisin qui le menace avec un fusil. Nous descendons ensuite de la voiture et nous dirigeons le plus discrètement possible vers la petite cabane. Je jette un œil par la fenêtre et constate qu’ils sont en train de boire ensemble. J’ai un instant horrible de doute en me disant que je me suis trompé du tout au tout, mais l’air désespéré de Rafaela me rassure rapidement. Elle n’est pas ici de son plein gré, c’est sûr et elle semble vraiment mal à l’aise.
Ben me fait signe de le suivre en silence. Nous nous dirigeons vers la porte d’entrée et je le vois actionner le mécanisme. La porte est malheureusement verrouillée et je vois Ben pester. Ce n’est cependant pas surprenant qu’il ait tout fermé. Il ne doit pas vouloir que sa prisonnière ait la moindre chance de s’enfuir. Je le pousse et sors mon matériel. Cela m’arrive souvent dans mes enquêtes de devoir ouvrir des portes bien fermées. Je me mets à trafiquer à la serrure qui n’a pas l’air très complexe et après quelques longues secondes bien stressantes, le petit clic libérateur se fait entendre. J’ai réussi mais refuse de laisser la place à Ben. Je vais régler son compte pour de bon à ce type, il ne mérite rien de mieux.
Je pousse doucement la porte et la vision qui s’offre à moi est encore plus horrible que ce à quoi je m’attendais. Ils ne sont en effet plus à table et ce que je vois, ce sont les fesses charnues et nues du gars qui a baissé son pantalon et Rafaela à genoux devant lui. Il a posé sa main sur la tête de ma brune et semble absorbé par le spectacle qu’elle lui offre. Putain, ce con est en train d’abuser d’elle. Je sens la colère me monter au cerveau et je bondis vers ce pervers à qui j’assène un grand coup dans le dos.
Il est vraiment surpris et se retrouve à tituber en s’éloignant de sa victime. Je fais alors l’erreur de détourner mon attention de lui, pensant qu’il en a pris assez pour le calmer et me penche vers Rafie qui se met à crier en pointant derrière moi. J’ai le temps de me retourner et de détourner son bras armé d’un couteau qui s’enfonce néanmoins dans mon épaule, me faisant pousser un cri de douleur. J’ai l’impression qu’il s’apprête à recommencer et je me demande bien comment je vais faire pour l’éviter quand Ben, que j’avais oublié, se jette sur lui et le désarme d’un coup de pied bien placé qu’il enchaîne avec une clé de bras et une immobilisation qui démontrent tout son entraînement face à ce genre de situations. Je m’effondre contre Rafaela qui est en pleurs à mes côtés.
— C’est fini, nous sommes là. Tu es sauvée.
Je cherche à passer mon bras autour de ses épaules mais la douleur que je ressens dans la mienne m’empêche de poursuivre mon geste, et j’ai l’impression que tout se ligue pour ne pas me permettre de renouer la relation qui s’était brisée entre nous suite à mon mensonge sur ma véritable profession. Le pervers est en train de grogner sous le poids de Ben qui lui assène un nouveau coup dans le ventre, ce qui a le mérite de lui couper le souffle et de le calmer.
— Bon sang, Angel, tu es blessé ! Est-ce que ça va ? m’interroge mon ancienne patronne en attrapant délicatement ma main pour observer mon bras, les yeux rougis et les joues mouillées.
— Ouais, c’est qu’une égratignure… Je suis désolé que nous soyons arrivés trop tard… Ça n'a pas été facile de te retrouver, tu sais… et… je m’en voudrai toute ma vie de t’avoir abandonnée alors que tu étais en danger…
— Je doute que ce soit le moment idéal pour parler de ça, murmure-t-elle en se lovant contre moi. Vous êtes là, c’est l’essentiel. On aura tout le temps de s’en vouloir plus tard…
Je grimace un peu car j’ai mal à l’épaule, mais je suis ravi qu’elle se colle contre moi. Peut-être que c’est bon signe pour la suite ?
— Tu vas bien ? Enfin… aussi bien que possible, vu les circonstances ? J’ai eu tellement peur pour toi.
— Je veux juste rentrer à la maison et oublier tout ça… J’ai l’impression d’avoir passé des jours enfermée ici avec ce dingue. Comme quoi, vous aviez raison, grimace Rafaela en récupérant ses vêtements pour se rhabiller, encore tremblante.
— Heureusement que l’on avait un détective hors pair avec nous, intervient Ben qui est toujours en train de maîtriser l’agresseur de notre ex-patronne. Il a suffi qu’il se concentre un peu sur l’affaire et hop, il a tout trouvé.
— Ouais, j’aurais mieux fait de m’y atteler plus tôt, vu le résultat, grommelé-je en pressant à l’endroit de ma blessure pour éviter de me vider de mon sang.
— Comment vous m’avez trouvée ? L’enquête était au point mort, non ? Je… Bon sang, jamais je n’aurais imaginé qu’il puisse agir comme ça… Vous avez prévenu la police ? Il faut appeler une ambulance !
— La police est en route, dis-je. On va attendre qu’ils arrivent et puis je m’organiserai pour aller à l’hôpital pour me faire soigner pendant que Ben te raccompagne à la maison. Tu pourras te remettre de tout ça. Ben, tu devrais prévenir Ellen pour que tout soit prêt quand vous arriverez.
— Non ! Je viens avec toi, Angel. Je… je ne te laisse pas seul alors que tu viens de te prendre un coup de couteau pour me sauver.
— Tu n’as pas à faire ça, Rafie. C’est toi qui as vraiment souffert, ici. Je ne sais pas tout ce qu’il a pu te faire depuis ce matin, mais il faut que tu prennes soin de toi…
Tout à coup, je me rends compte qu’elle a sûrement dit ça pour pouvoir aller à l’hôpital aussi sans montrer de faiblesse par rapport à tout ce qu’elle a subi. Je m’empresse d’ajouter :
— Enfin, tu peux venir aussi. Tu as sûrement besoin de voir un médecin également. Je te laisserai passer la première, si tu préfères. Ben te ramènera dès que ce sera possible.
— Je crois que je me suis suffisamment fait tripoter comme ça pour la journée, marmonne-t-elle. Pas de médecin pour moi, je vais bien. Ne fais pas cette tête, Angel, il… s’est contenté de ça, mais c’était sans doute moins une.
Il s’est contenté de quoi ? Juste cette tentative de fellation ? Mais alors, ils ont fait quoi toute la journée ? Comment a-t-elle fait pour le contenir ? Je la regarde, suspicieux, me demandant ce qu’elle me cache.
— Tu veux dire qu’il n’a rien tenté depuis ce matin ?
— TU PARLES ! JE L’AI BAISÉE ! crie le pervers avant de se prendre une nouvelle mandale de la part de Ben. Nous nous aimons, ajoute-t-il un peu groggy. Et on va se marier, ce sera beau…
Je scrute de plus belle Rafaela qui semble certes un peu sous le choc mais pas plus bouleversée que ça, et me demande vraiment ce qu’il s’est passé pendant cet enlèvement;
— Je suis actrice, Angel. J’ai passé ma journée à l’embobiner pour éviter d’en arriver là… Mon rôle le plus difficile, il est complètement fêlé et imprévisible.
— Je ne suis pas fêlé. Si tes gros bras n’étaient pas intervenus, tu aurais pu voir à quel point je t’aime, mon Amour. Nous sommes faits pour vivre ensemble.
Je crois que Rafaela ne supporte plus son discours car elle s’approche de lui, toujours coincé sous Ben qui peine à le maintenir et ne peut donc le faire taire. L’actrice lui met une forte claque, bien loin des imitations qu’on propose au cinéma, ce qui a l’air de vraiment surprendre son agresseur.
— C’est un dixième de ce que je voudrais te faire, ça. Et encore, tu n’as pas idée comme j’ai rêvé de te rendre coup pour coup, Franck. Je ne sais pas quel traumatisme tu as pu vivre, mais je m’en fous, là, tout de suite. Je ne t’aime pas, je ne te connais pas et je peux t’assurer que je vais rester le plus loin possible de toi. Chaque fois que tu m’as touchée, j’ai eu envie de vomir, tu comprends, ça ?
Le gars semble enfin réaliser, sous l’effet conjugué de la baffe et des propos cassants de Rafaela, que la réalité est bien loin de l’univers qu’il s’est imaginé. J’ai presque pitié pour lui en le voyant ainsi s’effondrer et abandonner toute volonté de lutter, comme s’il n’avait même plus la force de se débattre. Ben n’en relâche pas moins sa pression, mais c’est comme s’il était complétement anéanti par cette découverte que la femme dont il pensait être aimé n’éprouve rien pour lui.
Rafaela revient alors vers moi sans plus un regard vers ce fan qui n’en est pas vraiment un et se penche sur mon épaule sur laquelle elle dépose une serviette pour éponger un peu le sang qui a coulé. Je la laisse faire sans oser parler et rompre le silence qui s’est installé suite à son coup de gueule. Je suis content qu’elle s’occupe ainsi de moi et je me dis un bref instant que tout n’est peut-être pas perdu, mais je n’ai pas le temps de profiter de la magie de cet instant que les sirènes de la police retentissent et que les flics débarquent dans la petite cabine. Aura-t-on encore l’occasion de recréer un tel instant d’intimité ?
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