Non droit à l’erreur
Outre notre allergie aux langues, on a également une hantise qui nous freine dans notre apprentissage : la peur de l’échec, des erreurs, de la moquerie. Les Français manquent de confiance en eux. Leur peur de faire des erreurs les conduit ironiquement à commettre l’erreur la plus grosse : attendre d’avoir un niveau irréprochable dans une langue avant de la pratiquer à l’oral. Seulement, pour avoir un niveau irréprochable… il faut justement pratiquer le plus possible à l’oral !
Sauf que dans notre inconscient, l’erreur est le propre des enfants. Seuls les enfants ont le droit de faire des erreurs, puisqu’ils ne connaissent encore rien de la vie. Les adultes, en général matures et responsables, sont censés avoir appris de leurs expériences passées et à l’abri de tout pas de travers. Commettre une erreur, c’est faire preuve de faiblesse. Et quand on est adulte, on n’est pas faible. On a vécu, on a tout vu, on a appris, on a échoué, on a trébuché, on s’est relevé… au bout d’un certain temps, on a compris comment fonctionne la vie. Ce qui fait que quand on se trompe, on devient souvent la cible de moqueries. Et quand on n’est déjà pas à l’aise en langues, ça fait plutôt mal.
C’est typique de la mentalité française.
Ce qui est dommage, car la meilleure façon d’apprendre, c’est de faire des erreurs et d’en tirer des leçons. En cherchant à ne pas commettre d’erreurs, ou le moins possible, on reste seul avec ses convictions, sans regard extérieur, sans jamais être corrigé là où on a faux. Bref, en évitant le plus possible de faire des erreurs, on ne progresse pas.
En l’occurrence, si attendre de ne plus faire d’erreurs pour s’exprimer à l’oral dans une langue étrangère est une grosse erreur en soi, c’est parce que déjà… eh bien, vous pouvez attendre longtemps. J’irai même plus loin : en gardant cet objectif en ligne de mire, vous ne l’atteindrez jamais. Ce ne sera jamais le bon moment pour vous lancer. Rappelez-vous cette phrase d’Oscar Wilde : « L’expérience est le nom que chacun donne à ses erreurs ».
Connaissez-vous l’histoire de l’âne et de ses deux maîtres ? Un homme et sa femme, propriétaires du baudet, se promènent dans la rue, à deux sur son dos, et les passants s’insurgent : « Ils vont l’achever, cet âne ! Tout ce poids sur son dos ! » ; le lendemain, l’homme reste seul sur le dos pendant que sa femme progresse à pied et les passants protestent encore : « Il ne connaît pas la galanterie ! » ; le lendemain, le couple fait l’inverse et les passants se moquent : « On voit qui est le chef à la maison ! » ; le lendemain, ils se baladent avec l’âne en marchant tous les deux et les passants soupirent : « Pourquoi ils marchent alors qu’ils ont une monture ? »
L’idée, c’est que l’avis des gens, quand il n’est pas constructif, on s’en fout. Il y en aura toujours qui trouveront quelque chose à dire, car l’être humain est particulièrement créatif quand il s’agit de critiquer. Donc n’ayez pas peur de vous tromper, de vous ridiculiser, d’être moqué… vous verrez qu’au final, c’est vous qui avancerez. Ce n’est pas évident à court terme : il faut pouvoir affronter le regard des autres, celui à travers lequel, inconsciemment, on se construit ; mais à long terme, c’est vous qui gagnerez. Car là où les autres se sont foutus de vous, vous maîtriserez votre langue cible, et eux en resteront à chercher comment se présenter.
Ne cherchez pas à changer la mentalité des gens et travaillez votre confiance en vous. Il n’y a que comme ça qu’on progresse. Soyez maîtres de votre parcours et ne laissez pas quelques complexés vous bloquer la route.
Gardez en tête que, justement, s’ils se gaussent, vous êtes sur la bonne voie, car c’est souvent ceux qu’on critique ou dont on se moque qui finissent par réussir.
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