Chapitre 1
Aujourd’hui.
- Oui, maman, tout va très bien. Oui, il fait beau et l’école est au coeur des calanques, tu te rappelles, je t'avais montré des pho... Bien sûr que je te renverrais des photos… Bon je dois y aller. Je t’aime aussi, à bientôt.
18 septembre. Je viens d’arriver dans ma nouvelle école, parce qu’il était grand temps pour moi de quitter ma ville natale du 92 et de m’exiler dans le sud de la France. Il était temps pour moi de guérir mon coeur…
Quand d’autres décident de mettre fin à leur vie, moi j’ai décidé de fuir. Pour la première fois de ma vie, j'ai pensé à moi, agis égoistement. Du moins, c'est comme ça que je le voyais. J’ai demandé un prêt à la banque, j’ai pris un appartement le plus loin possible que cet argent me le permettait et j’ai décidé de poursuivre ma vie loin de mes repères. Ces repères qui sont devenus ma prison et mon bourreau.
Allez Lilly, tu peux le faire…
J’expulse une dernière fois tout l’air contenu dans mes poumons et je sors de la voiture, tout en récupérant mon sac Mac Douglas sur le siège passager. C’est le premier jour d’une nouvelle année scolaire. Ma dernière année avant le monde professionnel. Je suis excitée et impatiente. Je n’ai toujours aucune idée de ce que je veux faire précisément. Je suis bien trop jeune pour prendre une décision pour la vie. Ces autres qui naissent avec leur vie toute tracée m’épatent. Comment font-ils pour tout prévoir à l’avance et ne jamais dévier ? N’est-ce pas trop ennuyeux ? Est-ce les mêmes gens qui finissent drogués et/ou à 45 ans dans les boîtes de nuit à tenter de rattraper le temps perdu ?
Face à ce bâtiment immense, plongé au coeur des montagnes, dont je suis tombée amoureuse il y a deux mois, je me sens forte et puissante. C’est un nouveau départ. Je peux être qui je veux. Le soleil rayonne, il fait tellement chaud. Pourquoi ai-je voulu à tout prix mettre un manteau ! Habituée au froid de la région parisienne, je n’avais pas prévu qu’il fasse si chaud au mois de septembre. À cette époque de l’année, la température ne s’élève pas au dessus de 5 degrés, et encore…
Du haut de mes (tout récent) 23 ans, je déteste toujours autant la rentrée. S’il y a bien quelque chose à retenir sur moi, c’est que je déteste le premier de chaque chose. Les commencement sont horribles, gênant et surprenants. On a beau tout organiser, rien ne se passe comme prévu. Je n’aime pas trop non plus les fins. Dire adieu est horrible, gênant et surprenant. Déjà toute petite, je déteste ça car ça signifiait indirectement la fin des vacances et le début d’une nouvelle année. Je haïssais par dessus tout de découvrir que je n’étais pas dans la même classe que mes amis, qu’il allait falloir leur dire adieu et dire bonjour à des nouveaux.
Pour mon entourage, ça a toujours le meilleur moment de l’année. L’occasion de sortir ses plus beaux habits, de se donner une nouvelle image, comme une renaissance ou de retrouver ceux qu’on a mis de coté un été entier. Me voilà pour faire parti de cette seconde catégorie.
Je réajuste ma robe mi-longue rouge, en faisant pendre mon manteau le long de mon sac et me dirige vers les panneaux où sont inscrits nos noms et nos classes. Mon doigt glisse le long de cette foutu liste... Où sont les R...
Je me trouve enfin. Lilly Rosbow, salle Bénédicte.
- Salle Bénédicte ? Mais je ne sais pas où c’est moi… Il y a pas de foutu plan ici ?
- Tu parles toute seule ?
- Quoi ? Sursautais-je, euh, non… je parlais à voix haute… Ce qui revient à parler seule…
- Je m’appelle Peter. Peter Partney, mais tout le monde m’appelle pépé.
Je le dévisage. C’est un garçon qui doit avoir à peu près le même âge que moi. Bronzé comme il faut, il doit surement vivre ici. Un peu plus grand que moi, avec un sourire éclatant et des yeux d’un bleu d’azur. Je crois avoir vu une plage avec une mer de cette couleur là, en Grèce. Cela se voit bien que ce garçon sait qu’il est beau et qu’il plait. Inintéressant.
- Hm.. Moi c’est Lilly, dis-je en me détournant, il faut bien que je retrouve cette fichue salle Bénédicte, si je ne veux pas être en retard !
- Lilly aurait-elle un nom de famille ? Me répondit-il, en me frôlant le bras avec son bras.
Le courant électrique qui afflux dans mon cerveau suite à ce contact, m’oblige à fermer les yeux. Mon ventre se contracte. Je suis figée, désorientée. Sa chaleur traverse sa peau pour s'immiscer en moi. J’ai le sentiment que l’instant a duré une éternité, mais notre contact n’a pas dépassé plus de trois secondes. Je reprends très rapidement mes esprits, croise son regard qui me prouve que ce sentiment étrange était partagé, mais pas vécu de la même façon. Ne pas perdre la face mais être touchée m'est intolérable depuis quelques années.
- Non. Lilly n’a pas de nom de famille, dis-je en m'éloignant.
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Le plus difficile, ce sont les professeurs qui sous prétexte de cohésion, vous force à vous présenter d’une manière trop profonde pour un premier jour, face à des personnes dont vous avez à peine le temps d’évaluer leur niveau de maturité et de compassion. Vos mots seront-ils déformés ? C’est évident. Saurez-vous en faire une force ? Bien entendu.
Aujourd’hui, ne fait pas exception. Je regarde ce bout de papier où il est m’est demandé d’y inscrire mon nom, mon prénom, ma philosophie de vie, ma phrase fétiche, ma musique du moment, mon livre préféré et la raison de ma présence.
Le principe consiste à se lever, répondre à toutes les questions face au reste de la classe et de pointer quelqu’un d’autre. Jusqu’à présent tout le monde a choisi la personne assise à son côté, pour plus de « facilité ». Peter est le suivant et l'avant dernier.
Allez Lilly, tu peux le faire…
C’est difficile. Et pourtant, comme je vous l’ai dit : rien n’arrive par hasard…
Je suis la dernière à passer, choisi évidement par Peter. Il m'a pointé de son unique doigt orné d'une bague : son anulaire droit, quoi. Mes camarades sont pleins de ressources, et j’ai été surprise de certaines réponses. Peter s’avère être dans ma classe. Assis juste derrière moi, je sens son regard sur moi depuis le début du cours. Ma robe me semble de plus en plus courte, comme si son regard brûlait mes vêtements à chaque battement de paupières.
- Hm… Bonjour à tous, commençais-je dans un sourire, alors tout d’abord je m’appelle Lilly Rosbow, dis-je en croisant le regard de Peter qui me sourit, victorieux. Ma philosophie de vie… j’en ai deux… ou plutôt trois, j’ai le droit ?
Je tourne la tête vers M. Spinochia, mon professeur d’événementiel, qui me fait signe de continuer.
- Alors premièrement, je pense que rien n’arrive par hasard, alors autant vivre à fond, prendre que le positif et se dire que c’est comme ça, laissons la vie nous surprendre. Deuxièmement, je pense que la vie est trop courte pour ne pas découvrir le monde, donc mon deuxième credo est que « je dormirais quand je serais morte ». Et pour finir, je crois en le « jamais deux sans trois », alors…
Je hausse les épaules. Mes nouveaux camarades rigolent. J’en reconnais quelques uns que j’ai croisé sur le parking, certains visages me sont familiers et me rappellent mes amis dans mon ancienne fac. J’ai remarqué ça avec le temps. Si on regarde beaucoup les gens, certaines caractéristiques de différentes personnes, se retrouvent chez les autres. Par exemple, Julien au fond, à la même expression que mon meilleur ami quand il fronce les sourcils et Mélanie juste au premier rang, à la même bouche que ma grand-mère.
- Je n’ai pas de musique fétiche, ni de livre fétiche, bien que les livres soient ma passion. J’adore les auteurs classiques tels que Hugo, Maupassant, Voltaire, Flaubert et Appolinaire. Leurs textes sont puissants et symboliques. Si vous ne les connaissez pas, lisez-en. Ma phrase fétiche, je l’ai volé à Wilson Churchill : « Agissez comme s’il était impossible d’échouer ». Essayez, vous verrez. Ça pousse à la réussite.
J’inspire… La dernière question. La plus dure.
- Ma présence ici… Comme vous avez pu le constater, je n’ai pas l’accent chantant et la peau bien blanche comparée à la votre. Pour me confesser, je viens de Paris, mais ne me détester pas trop vite. J’ai grandi et fais l’ensemble de ma vie là bas. J’y ai donc vécu beaucoup de choses là bas, autant étranges et difficiles, que belles et importantes, qui m’ont encouragée à partir et à voir le monde selon un autre point de chute, finis-je.
C’est la vérité, mais pas entièrement. Rien n’a été facile, mais je remercie la vie pour les obstacles. Aujourd’hui, je me connais surement mieux que certaines personnes se connaissent et je sais la force qui me constitue et je sais précisément où je dois aller.
Mon esprit retourne trois ans en arrière…
Je tourne la tête vers la vitre afin d’admirer les calanques vertigineuses. Mes yeux admirent à un tout autre paysage en croisant ces yeux gris clairs à travers la vitre. Instinctivement, dans mon ventre, un million de papillons s'envolent et pousse mon coeur à rater un battement. Mon corps se rempli d’un sentiment chaud de sécurité. Il me regarde gravement. Un léger sourire commence à se dessiner sur son visage. J’ai l'incroyable certitude de le connaitre, mais vraiment cette fois-ci, pas comme un rappel d’une caractéristique physique, mais… c’est différent…
Mon coeur s'affolle. Ça fait des mois que je ne l’ai pas senti celui là…
Je détourne le regard rapidement et romps le lien avant qu’il ne soit trop tard !
Pourquoi le coeur ne veut-il jamais retenir la leçon…
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22 ans plus tôt…
Joan.
- Je prends ce cas-là, dis-je sans laisser à n’importe qui la possibilité de me doubler.
Mon collègue William regarde le dossier à peine complété et me sourit :
- C’est un gros chalenge que tu t’infliges là… Dois-je te rappeler comment ça s’est terminé la dernière fois, lorsque qu’il te manquait autant d’éléments ?
Non, il n’en avait pas besoin... mon protégé avait disparu des radars et avait été retrouvé mort.
Je regarde pour la dernière fois, le nom sur le dossier et sourit à mon tour. Cette fois-ci, c’est certain, cela ne se passera pas de la même façon.
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