Chapitre 14

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Les coups secs sur la porte voulaient tout dire, mais Arkes n’était franchement pas d’humeur. Il était simplement fatigué. Le contrecoup de la magie, bien-entendu, mais pas uniquement. Il avait passé une mauvaise nuit. Anaël tentait de s’enfuir. Il ne se contentait pas de dire qu’il voulait partir, il essayait réellement de le faire. Garder l’angelot en sécurité ne serait pas aussi simple qu’Arkes l’avait cru au premier abord.

Un bon Dominant ne montrait pas de signe de faiblesse et Arkes était réellement un bon Dominant alors il serra les dents, rassembla sa magie, se composa un visage neutre et ouvrit la porte. Il s’attendait à faire face au défenseur des droits angéliques ou peut-être à Veni et un groupe de sorciers plus importants que la dernière fois. Ce n’était pas eux.

Un sourire vint fleurir sur le visage d’Arkes, le surprenant lui-même. C’étaient ses amis Dresseurs, ceux-là mêmes qui avaient fait relayer son annonce pour trouver un soumis qui lui soit compatible.

- Salut Arkes ! Alors tu fais parler de toi ?
- Salut… Oui, on dirait bien. Vous voulez entrer ?

Lead acquiesça et franchit la porte en riant à moitié.

- Ah… Me voilà donc en enfer !
- Effectivement. Les nouvelles vont vite.

Un autre Dominant, Nedac, franchit sa porte à son tour et Arkes le sentit à l’intérieur même de sa magie. Visiblement, il avait fait son vœu en pensant un peu trop aux sorciers.

- Et si tu nous le montrais plutôt ?
- Qui donc ? répondit Arkes à Nedac, soudainement suspicieux.
- Et bien ton soumis ! Il parait que tu as passé un contrat avec un petit elfe et que tu l’emmènes même lors de tes séances de dressage ! Le grand Arkes qui trouve enfin chaussure à son pied. Pourquoi tu ne nous l’as pas amené à Academia ?
- Il n’est pas prêt, mais installez-vous. Je l’appelle.

Arkes était vraiment content d’avoir ses amis ici, c’étaient des gens de confiance, il le savait. Néanmoins son garçon n’était véritablement pas prêt à faire face à ces Dominants. Ils n’avaient pas les mêmes seuils de tolérance ou les mêmes définitions de « bêtises ». Pour Vikar qui était un as du maintien et de la présentation, cela allait être tout particulièrement désagréable. Pour Hui qui confondait soumis et canon de beauté également. Malgré tout, il alla jusqu’au bureau où se tenaient les deux soumis et ouvrit.

- Suis-moi, mon garçon.

Immédiatement, le petit elfe se mit en route sans un regard pour l’angelot et lorsqu’il se tient à deux petits mètres, son Dominant ajouta :

- Tu vas rencontrer mes amis. Sois obéissant.

C’était inutile. Il obéissait toujours à tout, mais Arkes l’aurait fait pour un autre soumis. Il l’aurait prévenu pour établir un cadre de confiance. Il lui aurait dit ce qu’il attendait de lui exactement pour qu’il n’y ait pas l’ombre d’un doute dans son esprit. Ce n’était pas parce que ça avait l’air plus facile avec son garçon qu’il ne méritait pas d’être en confiance. Au contraire. C’est pourquoi il ajouta, bien fort pour que tous l’entendent :

- Peu importe ce qui se dira. Seule mon approbation compte et je suis très fier de toi, mon garçon.

N’importe quel soumis aurait dû se gonfler sous la joie d’une telle déclaration, mais l’elfe resta en attente comme si cela glissait sur lui sans l’atteindre.

- Allez. Va saluer tout le monde.

Et Arkes l’observa s’approcher de chacun des invités, baisser un peu plus la tête pour effectuer une petite révérence tout en disant de manière parfaitement intelligible « Bonjour Maître ». Certains de ses amis l’arrêtèrent, lui tournèrent autour pour mieux l’observer. Lead saisit même son visage pour le lui faire remonter sans jamais parvenir à croiser son regard pour autant. Une fois que le garçon eut fini son tour, il revint se poster près de son Maître, en attendant l’ordre suivant.

- Sers-nous donc un thé, mon garçon.

Immédiatement, il obéit sous le regard de chaque Dominant de la pièce. Lead fut le premier à lâcher un mot.

- Arkes… Il est usagé ton soumis.
- En effet.

Arkes marcha jusqu’à la table où il s’assit tout en invitant ses amis à en faire de même, puis il ajouta tranquillement :

- Usagé, brisé, inapte au rôle de soumis dans notre type de communauté également.

Tout en parlant, il surveilla son garçon qui ne tressaillit même pas sous la description brutale.

- Vous êtes en contrat temporaire et tu vas bientôt le ramener d’où il vient c’est ça ?
- Nous sommes effectivement en contrat temporaire. Nous verrons à la fin ce que nous décidons de signer tous les deux.
- Mais… Tu l’as dit toi-même. Il est inapte. Tu ne peux pas te compromettre avec un soumis inapte. Personne… Personne ne ferait ça. Comment tu gères sans mot de sécurité ?
- Je bricole. Mon garçon ? Une démonstration s’il te plaît. Quand dis-tu « rouge » ?

L’elfe s’était sagement tourné vers lui, il reprit la position qu’il lui avait montrée avec les mains dans le dos et sagement récita les règles indiquant qu’il fallait dire « rouge » quand la peur ou la douleur atteignait un certain niveau sur une échelle de 1 à 10. Vikar était sans doute le Dominant le moins expérimenté d’entre eux alors il demanda :

- Mais du coup, il fonctionne ?
- Non, répondit Lead doucement.
- Non, confirma Artis.

Vikar passa chacun de ses amis en revu et tous répétèrent « non » même Artis qui était toujours si doux avec les soumis. Puis quand Vikar s’arrêta pour observer son ami Arkes, ce fut à son tour de répondre tranquillement.

- Un bon soumis varie ses codes pour les donner en fonction de comment il se sent par rapport à l’idée de poursuivre la séance. Un bon soumis peut donner son code simplement parce qu’il refuse une pratique. Tiens, prenons un exemple. Mon garçon ?
- Oui, Maître ? répondit doucement l’elfe qui ne semblait absolument pas affecté par la discussion qui avait lieu face à lui.
- Apprécies-tu le goût de l’urine ?
- Non, Maître.
- Désires-tu en boire ?
- Non, Maître.
- Et que dirais-tu si je te faisais boire l’urine de mes amis maintenant ?
- Si vous le désirez, Maître.
- Vert, Orange, Rouge. Tu dois me répondre avec l’un de ses mots. Que dirais-tu que je te transforme en urinoir pour mes amis ?
- Vert, Maître.

Arkes s’arrêta un instant et regarda certains d’entre eux qui semblait peut ragouté par l’idée alors que d’autres semblaient plutôt partant. Tous devaient néanmoins savoir que ce n’était ni dans ses habitudes ni dans ses fantasmes.

- Et si je te couchais et que je mettais un sort autour de ton visage, pour que l’urine qui s’échappe de ta bouche reste sur tes joues ?
- Vert, Maître.
- Et si je demandais à mes amis de recommencer, encore et encore, jusqu’à ce que tu te noies ?

La réponse qui résonna arriva dans un silence de marbre. Les autres Dominants retenant leurs souffles, incrédules, face à une proposition qui n’avait strictement rien de normal, mais la réponse les glacèrent un peu plus encore.

- Vert, Maître.
- D’accord, mon garçon. Réponds uniquement par « oui » ou « non » maintenant. Désires-tu mourir ?
- Non, Maître.
- Si nous te noyons, tu vas mourir, n’est-ce pas ?
- Oui, Maître.
- Très bien. Vert, orange ou rouge. Que dirais-tu à l’idée que nous te noyons ?
- Vert, Maître.

Et comme un couperet, Lead murmura :

- Complètement brisé. Tu ne pourras jamais rien en faire.
- En l’état non.

Arkes se pencha vers l’elfe et saisit son visage à son tour.

- Nous allons devoir reparler de tes réponses, elles ne me conviennent pas. Nous ne te noierons pas, mon garçon. Tu ne risques rien. Tu peux retourner préparer le thé.
- Merci, Maître.

Arkes se rassit et soupira. Il aurait tellement aimé que son soumis réussisse ce test… Ce n’était pas difficile en soi.

- Je limite ses réponses sinon il se contente de « je ne sais pas » ou de « je n’ai pas à prendre ce genre de décision » ce qui est pire encore. Disons que j’ai uniquement mis en place le strict minimum.
- Pourtant, il a bien un code dédié à la peur.
- Oui et il sait l’utiliser sur le coup, mais la question n’est pas la même en réalité. Je pense qu’il répond à une demande d’autorisation de ma part pour certaines pratiques… Or le Maître décide donc la seule réponse qu’il me donne c’est « vert ». Et en séance, il doit évaluer le niveau de sa peur et là, il peut dire « rouge ».

Nedac hésita un moment avant de lui demander ce qu’il comptait en faire et pourquoi il l’avait pris au départ. Arkes haussa simplement d’une épaule et Lead se mit à rire à côté d’eux.

- Tu aimes beaucoup trop les chalenges mon ami ! Et si tu nous parlais de ta dernière folie ?
- Anaël. Je suppose que vous avez été contacté ?
- Oui. Par le défenseur des droits angéliques.
- Et aussi le défenseur des droits sorciers, rajouta Miniha doucement.
- Et celui des droits lycanthropes, mais je n’ai pas trop compris pourquoi, j’avoue, compléta Artis.
- Et puis par le club l’Envolée aux Anges. Prestige, prestige ! ajouta Lead.
- Et aussi par le comité d’entreprise de Serphin’construction.
- Et par un vieux Dominant franchement pas sympa Distrin Goney, termina Vikar.

Arkes les observa et acquiesça tranquillement, absolument pas surpris par la manœuvre. Envoyer ses amis, un groupe de Dominant, pour le raisonner sans doute était la voix de la médiation la plus courante pour ne pas braquer un dresseur comme lui. Par contre, ils avaient été drôlement nombreux à faire pression sur eux, ce qui était plus surprenant en soi. À croire que chaque partie avait estimé que ses amis résisteraient.

- Je ne demande pas votre soutien.
- Oui, Arkes, on le sait. Tu es un grand garçon, un Dominant tout à fait capable et un foutu Dresseur plus que douer. On le sait ça. Ce que l’on veut savoir c’est pourquoi tous ces imbéciles viennent nous voir.

La question était légitime et ses amis méritaient une véritable réponse, alors Arkes tâcha de leur expliquer aussi simplement que possible le bourbier dans lequel il s’était involontairement mis.

- Avec mon garçon, je limite les scènes. Je prends surtout de nouveaux clients et je le fais participer peu à peu. J’ai donc pris des contrats moins intéressants peut-être, mais financièrement viables, auprès d’un gros club.
- L’envolée des anges, compléta Nedac.
- Oui. Ce club m’avait envoyé beaucoup de contrats potentiels dont un au nom d’Anaël Serphin pour un dressage en vue de la préparation de son mariage. Il était décrit comme rebelle, insoumis, désobéissant… Ils cherchaient quelqu’un pour le mater, le briser en faites.
- Contrat de merde, souffla Artis.
- J’ai refusé ce contrat, bien entendu, et j’en ai pris d’autres chez eux. J’y suis retourné plusieurs fois et lors de la dernière Anaël a réussi à s’enfuir de sa salle… Et il est rentré dans la mienne.
- Ne me dit pas que tu as alors décidé de le protéger au péril de ta vie, ricana Lead.

Arkes hésita une seconde et laissa passer un silence pendant lequel son garçon servit le thé. Il l’attira alors à ses côtés et le fit s’agenouiller contre lui.

- Je pense sincèrement que le défenseur des droits angéliques aurait dû intervenir pour mettre fin au dressage. Anaël a débarqué en posture guerrière.

Lead qui venait d’avaler une gorgée de son thé s’étouffa. Artis, le plus proche de lui, lui tapa dans le dos pour l’aider à reprendre sa respiration et dès que ce fut fait, Lead demanda :

- Quoi ? Comment ça en posture guerrière ? C’est un putain de soumis !
- Oui. Avec deux crochets de fers plantés dans les ailes, ils ont réussi à le pousser assez loin et assez fort pour qu’il choisisse de se battre. Très vite, des personnes ont débarqué en courant. Y’avait Denedail. C’est lui qui avait accepté le contrat.

Artis jura, il ne supportait pas ce Dresseur qui aimait faire dans le spectaculaire au détriment de la santé physique et mentale de ses soumis.

- Anaël s’est jeté sur mon garçon pour se cacher derrière en position défensive. C’est là que j’ai vu les crochets, mais ce n’était pas mon soumis, pas mon dressage et certainement pas ma responsabilité. Garçon ? Est-ce que tu veux bien raconter ce qu’il s’est passé ensuite ?
- Oui, Maître. Les Dominants ont avancé vers moi. J’ai dit « rouge ». Vous êtes intervenus.

Arkes lui caressa doucement les cheveux. Il avait cette façon si tendre de glisser ses doigts entre ses mèches pour venir masser son cuir chevelu que l’elfe en aurait presque fondu.

- Eh petit. Pourquoi tu as dit « rouge » ? demanda Lead.

Le garçon hésita un instant, la question lui sembla saugrenue et étrange.

- Parce que mon Maître me l’a ordonné, Maître.
- Et quel était exactement cet ordre ?
- Dire « rouge » si la peur atteint 8, 9 ou 10, Maître.
- Donc tu as eu peur ?
- Oui, Maître.
- De quoi ?

L’elfe resta immobile, comme figé, il cligna des yeux en cherchant désespérément la réponse. Il s’était retrouvé là, l’angelot était derrière lui et il sentait le sang. Il avait vu l’air sur le visage du dresseur. Cet air qui promet la mort. Oh, l’elfe savait bien qu’il n’était qu’un obstacle et que toute cette rage n’était pas envoyée contre lui, mais contre l’angelot. C’était ça qui l’avait terrifié. Presque aussitôt, il avait compris qu’il avait fait une erreur et il en fut mortifié. Arkes lui saisit la nuque et le pressa doucement, trop doucement pour faire plus que répandre une chaleur réconfortante.

- Tout va bien. Tu as bien agi. Je suis fier de toi, réponds simplement à Maître Lead.
- J’ai eu peur qu’ils ne cassent l’ange, Maître.
- D’accord, gamin, répondit Lead tout en lâchant véritablement l’affaire.

Ils soupirèrent de concerts. Dans la même situation, chacun d’entre eux serait intervenu. Ils n’étaient pas tous des Djinns pourtant. La majorité d’entre eux n’auraient pas pu l’emmener, ils n’auraient fait que s’opposer en vain. L’angelot avait eu de la chance.

- Bon, tu nous le montres et on décide ? proposa Artis, sachant très bien où tout cela allait les emmener.
- Vous n’êtes pas forcé de le faire.
- Tu sais bien que si.
- Il suffirait que vous vous désolidarisiez de moi.
- Mais bien sûr ! On allait te le proposer ! lâcha Lead, soudainement en colère.
- Tu n’as pas à décider pour nous. Et eux non plus, poursuivit Nedac.

Arkes acquiesça doucement. Il ne le dirait pas. Il ne le montrerait pas, mais il était heureux d’avoir des amis comme ça.

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