Chapitre 25
La tête basse, Anaël se sentait un peu triste. Il avait froid, mais pas à cause de la température ou du manque de vêtements. Il avait beau être totalement nu, il avait parfaitement conscience que ce froid venait de l’intérieur. Il allait tester un nouveau Maître, ou plutôt, il allait être testé par un nouveau Maître et ressentir encore tellement d’appréhension le désolait réellement. La dernière séance avait été tellement dure… Il avait fallu l’arrêter en urgence et c’était totalement de sa faute, car le Maître s’était avéré particulièrement respectueux.
Cette fois-ci, Maître Arkes avait commencé à le soumettre dans cette pièce, comme pour essayer de le mettre dans le bon état d’esprit, mais ça ne fonctionnait pas. Il se sentait seulement un peu moins capable d’être satisfaisant.
Lorsque la porte s’ouvrit, il sursauta et fit de son mieux pour ne pas fixer celui qui entrait. À la place, il se redressa pour adopter une posture d’attente plus correcte, faisant de son mieux pour faire honneur à Maître Arkes qui se tenait toujours dans un coin de la pièce avec son garçon. Le nouveau venu ne s’intéressa pas immédiatement à lui, préférant saluer l’autre dominant.
- Bonjour, Maître Arkes.
- Maître Workian. J’espère que vous avez fait bonne route ?
- Oui… Oui. Ce n’est pas ma zone de prédilection comme vous le savez. Je n’aime pas m’éloigner de ma communauté, mais l’invitation était trop précieuse pour être déclinée.
Comme beaucoup de lycanthropes, il avait tendance à vivre en autarcie avec les siens. Arkes avait dû faire appel à tous ses contacts pour réunir des profils potentiels, en plus de ceux qui avaient choisi de se proposer et celui-ci était l’un des derniers qu’on lui avait rapportés.
- Je n’ai que deux heures, c’est cela ?
- Oui. Anaël n’est pas encore prêt à des séances longues.
- Mais avec de l’entraînement, vous pensez que ce sera possible ?
- Oui. Cela ne m’inquiète pas.
Le Dominant acquiesça tranquillement. Le type de soumission qu’il pratiquait supposait une grande endurance, aussi bien physique que mentale, mais il connaissait la réputation de ce dresseur et lui faisait confiance en matière d’évaluation. Chercher un soumis capable de répondre à toutes ses fantaisies dès le début serait sans doute faire preuve d’une exigence excessive. Workian posa les yeux un instant sur le garçon qui se tenait sagement derrière le dresseur, un elfe usagé lui avait-on dit, et un seul regard le lui confirma. Quel choix étrange ! Heureusement, Anaël ne lui était en rien semblable.
L’angelot avait encore des marques évidentes de meurtrissures aux ailes, mais ça avait été signalé. Ce n’était pas une surprise. Les dommages seraient camouflés par la pousse de nouvelles plumes, ce qui allait prendre du temps. Beaucoup de temps. Qu’importe, Workian ne comptait pas l’emmener en démonstration. Il n’avait jamais apprécié ce type de représentation. S’il aimait les choses spectaculaires, le voyeurisme et l’exhibitionniste n’avaient strictement aucun intérêt à ses yeux.
Le soumis était nu comme il l’avait demandé. C’était ainsi qu’il aimait débuter ses séances. Malheureusement, le dresseur et son propre soumis resteraient dans la pièce, pour rassurer Anaël. Une mesure pénible qui l’empêcherait de découvrir pleinement le soumis, mais une mesure de transition qu’il avait acceptée, car il parvenait à la comprendre. Le dresseur n’était pas là pour évaluer ses goûts, sa technique ou son travail. Il était là pour servir d’assurance au soumis et le rassurer. Si jamais le dossier de Workian était accepté, alors Anaël devrait apprendre non pas à se passer de filet de sécurité, mais que ce serait lui, son nouveau filet. Workian tenait à être un Dominant de confiance pour tous les soumis qui lui étaient confiés et dans le cadre de son métier au sein de sa communauté, c’était une chose qui arrivait souvent.
Il n’avait pas l’habitude de traiter avec des soumis anges par contre, alors il se prit à faire le tour de ce corps offert pour l’admirer sous toutes ses coutures. Anaël se tenait bien droit, ses mollets étaient joliment galbés, son dos semblait tonique, ce qui était sans doute nécessaire pour porter d’aussi grandes ailes. Au niveau du haut de ses hanches, deux petites fossettes très mignonnes entouraient sa colonne. Si le Dominant eut envie d’y glisser les doigts, il se retient. Aujourd’hui, il essaierait de ne pas trop le toucher. Les contacts physiques pouvaient être particulièrement impressionnants pour un jeune soumis inquiet et leur différence de gabarits, plus que marquée, n’aiderait en rien.
Il s’arrêta finalement devant lui, observa son visage au regard bas qui reflétait une tristesse qui le surprit. L’angelot n’avait pas du tout l’air d’avoir envie d’être là.
- Bonjour Anaël. Je suis Maître Workian.
Anaël hésita un instant avant de bredouiller un « bonjour, Maître » tout en faisant de son mieux pour ne pas gigoter sur ses jambes. Montrer son malaise n’était pas une jolie soumission. Durant quelques minutes, Workian prit simplement le temps de vérifier qu’ils soient d’accord sur les codes employés et ce que cela supposerait.
- Durant la séance, je vais t’attacher. Si tu utilises un code, je couperais mes cordes, mais nous devons nous mettre d’accord sur une chose très importante : ce ne sera pas immédiat. Je te demanderais de rester calme et immobile pour ta sécurité. Je préfère que tu emploies un code intermédiaire en cas de doute. Aujourd’hui, je ne ferais rien de complexe, rien de dangereux, mais je veux que tu prennes de bonnes habitudes dès le début. Est-ce que tu as compris ?
- Oui, Maître.
- Qu’est-ce que je veux alors ?
- Que j’utilise un code intermédiaire si je ne suis pas sûr… et que je reste bien immobile le temps que vous me délivriez…
- Oui, c’est très bien.
Workian hocha de la tête, satisfait. Ce n’était presque rien et ce n’était même pas réellement pour lui inculquer les règles -même si elles étaient importantes- qu’il lui disait tout ça. Pour le moment, il voulait seulement évaluer la possibilité d’avoir un échange avec ce soumis. Le dresseur Arkes l’avait prévenu. Anaël n’était pas évident. Il était très sensible, facile à braquer et une fois en autodéfense, il avait des réactions particulièrement exacerbées. Il n’hésitait pas à prendre une posture guerrière. L’idée même faisait frémir le Dominant, après tout, c’était d’une rareté terrible et ce que ça impliquait en termes d’émotions pour le soumis… Le lycanthrope espérait vraiment ne jamais voir une telle aberration. Heureusement, sa communauté avait mis tout un système en place pour que leurs soumis n’en arrivent jamais là.
- J’aime l’aspect graphique du bondage… et que mon soumis s’abandonne entre les cordes. Ton rôle sera donc de trouver comment te détendre. La majorité du temps, ce sera tout. Est-ce que tu as des questions ?
- Non, Maître.
- Parfait alors. Commençons.
Le ton de Workian, jusque là très doux, claqua un peu plus fort alors qu’il ordonnait :
- Assis-toi.
Anaël sursauta, ne put pas s’empêcher de jeter un coup d’œil en direction de Maître Arkes comme pour s’assurer qu’il était toujours là, puis, avec un léger temps de retard, il obéit. Maître Workian ne sembla pas en prendre ombrage.
- Mets tes pieds devant toi. L’un contre l’autre.
Anaël fit de son mieux pour obéir et fut surpris de voir le Maître s’éloigner, mais c’était seulement temporairement. Il revient avec plusieurs jeux de cordes particulièrement longues. Le soumis frémit. Une fois attaché, il serait totalement impuissant, à la merci de ce Dominant… Heureusement, Maître Arkes était là et il n’aurait donc pas à se défendre.
Sans dire un mot, Workian vient toucher sa cheville, le faisant sursauter. Le contact était pourtant doux et le Maître enroula lentement une corde autour de lui. Anaël observa les gestes et fut rapidement pris dans la contemplation. Chaque mouvement semblait avoir été répété. C’était comme une danse ou plutôt un rituel. La manière dont il passait ses doigts sur les cordes était toujours la même. La tension semblait parfaitement maîtrisée, elle aussi. Doucement, il tressa la corde autour de son pied pour former un motif complexe d’une étonnante régularité.
Anaël ne vit pas le temps passé et étrangement, il se sentit petit à petit plongé dans un état second, comme hypnotisé. Ce n’était pas réellement sa zone, pas encore, mais il en approchait. Ses chevilles furent nouées l’une à l’autre et Workian s’arrêta pour admirer son œuvre un instant. Il le saisit par le menton, leva son visage et l’observa un instant. S’il n’était pas totalement parti, le soumis était bien plus détendu qu’au début de la séance.
En douceur, le Maître lui fit écarter les genoux, tirant davantage sur les cordes et dévoilant l’ampleur de sa nudité. Anaël se laissa manipuler, se redressa quand ce fut demandé et posa ses poignets de sur les cordages, paumes vers le ciel. Le contact des cordes était comme une caresse douce, les doigts du Dominant n’étaient jamais rudes et tous ses gestes étaient toujours aussi soignés. À un moment donné, le nœud complexe qui entourait son bras comme la plus jolie des pièces d’art fut terminé. Les doigts du Dominant glissèrent sur sa peau, puis s’éloignèrent. Anaël frémit de la perte de ce contact, mais les cordes étaient trop présentes pour qu’il se sente abandonné. Il ne remarqua pas vraiment le Maître qui tournait autour de lui, lentement, comme pour l’admirer, mais il frémit lorsque des doigts vinrent caresser ses ailes sensibles. Ce n’était que des contacts doux, il n’y eut pas le moindre ordre, mais Maître Workian parvient à ce qu’il les lève et les étende, prenant une envergure impressionnante. Ce n’était pas une posture guerrière. C’était autre chose. Plutôt comme s’il planait.
Le Dominant observa le spectacle un long moment en se reculant légèrement sans les lâcher pour autant. Il n’avait pas les connaissances nécessaires pour les lier sans risque, mais s’il travaillait à nouveau avec ce soumis, il faudrait qu’il apprenne. C’était bien trop joli pour les laisser libres. Malheureusement la séance commençait déjà à se faire assez longue et il était temps de s’arrêter. Pas que le soumis montre des signes évidents de fatigues et Workian pouvait dire qu’il avait pleinement plongé juste à la courbure des muscles de ses épaules, totalement détendues, mais il ne fallait pas abuser des bonnes choses et il valait mieux s’arrêter sur une réussite.
Anaël regarda les doigts qui revenaient sur lui. Un léger sourire vint fleurir sur ses lèvres avant qu’il ne comprenne, vaguement, que les cordes se retiraient. Un gémissement de pure frustration lui échappa et Maître Workian y répondit en lui caressant gentiment la joue. Le soumis ferma les yeux pour savourer un peu plus le contact et se perdit totalement dans ses sensations. La corde fut entièrement enlevée et les endroits où elles étaient installées furent massés. Maître Workian le manipula pour qu’il se redresse et le suive jusqu’à un fauteuil proche. Le Dominant s’installa et le fit venir à cheval sur ses genoux, l’attirant dans une étreinte douce. Là, Anaël glissa la tête dans le cou du Maître et profita simplement de sa chaleur et de son odeur. Il n’avait pas eu conscience d’avoir froid, et d’ailleurs, il ne s’en rendit pas vraiment compte, mais sa peau chaude lui fit du bien. Les bras de Workian s’étaient noués autour de lui et il lui caressait doucement le dos. Anaël ferma les yeux et se laissa aller un peu plus loin encore, jusqu’à s’endormir.
Workian n’avait pas l’habitude d’avoir des spectateurs. C’était assez perturbant. Il avait pour coutume de partager un long moment silencieux avec son soumis après sa séance, mais au bout d’un certain temps, il fit l’effort de parler, d’une voix particulièrement basse pour ne pas réveiller l’angelot qui s’était endormi entre ses bras.
- Je m’attendais à une séance plus difficile.
- Vous avez fait du bon travail avec lui… jugea tranquillement Arkes.
Workian acquiesça, il ne recherchait pas spécialement son appréciation. En réalité, il n’y avait qu’une approbation qui importait, c’était celle de l’angelot.
- Il s’est très bien soumis, mais je ne suis sans doute pas le premier avec qui il est aussi … charmant.
- Je lui demanderai ce qu’il a pensé de la séance. Nous avons encore un Maître que j’aimerai qu’il teste pour pouvoir faire un choix avec un peu plus de recul. Votre domaine de prédilection n’est pas de ceux qu’il apprécie le plus… mais je pense qu’il pourrait y trouver une grande satisfaction.
Workian hocha de la tête, pensif.
- Je n’ai pas d’autres soumis en vue actuellement. Je peux attendre un petit moment.
Le Maître continua de câliner l’angelot tendrement, lui laissant un peu de temps avant de le réveiller en douceur. Anaël se figea alors entre ses bras, un peu perdu. Il lui fallut quelques secondes pour réunir ses souvenirs. Lentement, la constatation s’imposa à lui. Il ressortait d’une séance où il avait plongé vraiment très profondément. Une main douce, mais ferme lui caressait toujours le dos, comme pour accompagner cette brève remontée.
- Comment te sens-tu ? demanda le Maître.
Anaël n’avait mal nulle part, mais il se sentait un peu perdu. Il mit un instant avant de répondre, en bredouillant.
- Terre, Maître…
- C’est très bien. C’était une excellente séance. Tu peux être fier de toi.
- … me-merci.
L’angelot se sentit un peu rougir sous le compliment direct, puis la main chaude quitta son dos, pressa gentiment son bras avant de l’aider à se redresser. Anaël resta là, debout, un peu perdu. Il tourna un regard quémandeur à Maître Arkes qui était toujours là, immobile, et le Maître le sauva immédiatement en lui ordonnant de rejoindre son garçon. Rejoindre son ami, même si ce n’était que pour se mettre en position d’attente près de lui fut un véritable soulagement. Il n’en revenait toujours pas d’avoir coulé aussi facilement et il se sentait encore un peu ailleurs.
- Au revoir, Anaël, souffla le Maître le faisant frémir.
- Au revoir, Maître…
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