Quelques années plus tard, Mila et moi étions devenus inséparables. Je n’avais jamais osé prendre les choses en main pour qu’entre nous débute une relation. Avec le temps, mon attirance pour elle s’était plus ou moins endormie, elle me plaisait toujours mais je n’y pensais plus. Ma carrière d’écrivain était toujours au point mort. Plus rien ne m’inspirait, j’agissais de manière irresponsable pour m’attirer des ennuis et déclencher cette petite étincelle de dépression, unique moteur de mon talent. Je déclenchais bagarres sur bagarres, ivre dans des bistrots et finissais mes nuits au poste de police. Mila venait régulièrement m’y récupérer exaspérée de me voir agir de la sorte. Seul, sans talent, sans rien, ma vie était un véritable calvaire. Ceci aurait pu me suffire si au moins ma décadence avait été suffisante pour me permettre d’écrire. Il faut croire que j’étais irrécupérable. Malgré tout, depuis ma rencontre avec Mila, que je sais être une personne fort sérieuse et bosseuse quoi qu’un peu enthousiaste parfois, pas le genre à se laisser berner par de fausses légendes, je n’avais cessé de penser à ce livre, à l’intérêt que Mila lui portait et au mystère quelle lui trouvait. Un soir, je reçus un message téléphonique de la belle Mila.

« Hector, c’est Mila, il faut que je te parle. Rapidement serait le mieux. Peut-on se rejoindre ce soir à l’Atelier Lorrain vers 20h ? Je t’invite. Rappelle moi, bye. »

L’Atelier Lorrain était un restaurant assez chic que nous ne fréquentions qu’à de rares occasions. La voix de Mila était plus décousue que de coutume, avec une pointe d’excitation. Allait-elle enfin me déclarer sa flamme ? Bon, peut être pas, mais sans doute allait elle m’envoyer des signes flagrants pour que je saisisse l’occasion.

- Aller, prépare toi mon vieux, pensai-je. Quitte ce vieux maillot et enfile quelque chose de correct ! Mais non tu t’emballes, hésitais-je finalement

Puis la confiance revint

- Pourquoi voudrait-elle m’inviter si ce n’est pour m’expliquer que son cœur chavire ?

Je partais donc la rejoindre, vêtu de mon plus beau costume, avec des pièces de cuir sur les coudes, pour l’effet décontracté. J’étais aussi nerveux qu’un jeune puceau quand je la vis arriver, belle comme la nuit.

- Bonjour ma jolie, lui lançais-je confiant.

Elle me répondit par un sourire. Elle s’assit rapidement en prenant à peine le temps de retirer sa veste et son sac à main.

- Comment vas-tu Mila ? Tu avais l’air d’avoir quelque chose d’important à dire.

Elle avala un grand verre d’eau d’un trait.

- Oui. Te souviens-tu notre rencontre en 98 à l’Origami ?

- Euh oui oui, répondis-je d’un air détaché alors qu’évidemment je me souvenais de chaque instant et de chaque détail.

En gardant la tête froide, je jubilais en mon fort intérieur. Oui, notre première rencontre, elle avait feint de ne pas me regarder, elle était venue tous les mercredis dans l’espoir de me voir …

- Et bien j’ai retrouvé la trace du livre, me répondit-elle, interrompant mes divagations. Ce livre, à propos duquel je faisais des recherches : « Clavis Patientia ».

De la force de son sourire, elle me brisa en morceaux. De sa douce fraîcheur, elle éteignit la flamme de mon enthousiasme. Elle n’était donc pas venue me déclarer son amour.

Comment avais-je pu y croire ne serait-ce qu’un peu ? Puis, rapidement, la dernière phrase de Mila fit écho dans ma tête.

- Comment ? Tu as retrouvé le livre ?

- Mmh, mmh. Acquiesça-t-elle de la tête.

- Ou l’as-tu trouvé ? L’as-tu lu ? Est-il aussi mystérieux que tu le pensais ? L’as-tu avec toi ? …

- Je ne l’ai pas ! répondit-elle stoppant mon avalanche de questions. Il est recherché par plusieurs personnes en ce moment. Par des gens qui pensent que ce livre a des pouvoirs.

- Il a des pouvoirs ?

- Evidemment que non, mais certaines personnes sont prêtes à croire n’importe quoi !

- Et alors où est-il ? Quel genre de pouvoir ?

- C’est un genre de don, la connaissance absolue ou quelque chose comme ça ! Moi, j’avais plutôt dans l’idée qu’il s’agissait de quelque chose de maléfique. Bref, tout cela est très excitant.

- Oh mais où est-il ?

- Je ne sais pas. Pendant mes recherches, j’ai, par hasard, été conduite sur le chemin d’un ancien professeur, parti depuis cinq ans à travers le monde. Il était lui aussi à la recherche du livre et avait retrouvé sa trace. Certains religieux connaissaient son existence mais refusaient d’en parler. D’après les croyances, ce livre aurait … Tu m’écoutes ?

J’étais fasciné par son histoire. Et en même temps je fixais amoureusement ses pupilles, comme un tableau immobile, que j’avais la chance d’avoir quelques instants pour moi tout seul. Je fixais la commissure de ses lèvres, se coller puis s’ouvrir. La noirceur de sa bouche entrouverte, chaud nid douillet dans lequel je me serais laissé aspirer. Pas de doutes, mes sentiments n’étaient plus endormis.

- Tu m’écoutes ?

- Bien sûr, c’est incroyable ! Mais alors…rien de plus ? Tu ne l’as pas retrouvé.

- Non mais ces informations sont secouantes tu ne trouves pas ? Je ne sais pas si cela est vrai mais c’est une étape importante dans mes recherches.

Je laissais Mila s’enthousiasmer en acquiesçant jusqu’à la fin du repas. Finalement, en sortant du restaurant je proposai :

- Viens donc à l’appart, on va fêter ça dignement en ouvrant une bonne bouteille.

Mila plissa les yeux subtilement, j’avais parfois l’impression qu’elle me connaissait trop bien, qu’elle lisait en moi comme dans un livre ouvert. C’est parfois particulièrement gênant quand on a une arrière pensée coupable. Elle me suivit en précisant qu’elle ne rentrerait pas trop tard…