Kharkov

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Revenons à ce fameux mois de mai 1942, un printemps qui rend nos routes, pour éviter de dire nos chemins, praticables. EIles sont sablonneuses quand il fait sec et gluantes quand il pleut, mais ce récit n’est pas destiné à être lu. Sinon ces considérations me mèneraient soit dans un bataillon disciplinaire ou soit, loin à l’est, pour mourir d’épuisement pour blasphème contre l’idéal du régime.

Le Petit Père des peuples, émoustillé par le miraculeux recul devant Moscou de la horde infâme, grâce à la supériorité de l’ « Homme communiste » mais aussi grâce à un hiver considéré comme le plus rigoureux depuis quarante ans. Un hiver déjà anticipé par les anciens, non mobilisables, qui avaient remarqué que les insectes s’étaient enfouis bien en avance, a décidé, fort de sa supériorité démographique et conscient du niveau de souffrance que le peuple russe était en mesure de supporter, incomparable avec le reste du monde, de frapper un grand coup.

Sur tous les fronts, depuis la Baltique jusqu’à la Mer Noire.

Son absence d’humanité, qui aveugle par la même son sens commun l’a rendu sourd aux injonctions de prudence de ses généraux, miraculés des purges précédentes. En face de professionnels en devenir, il a imposé une puissance, aux antipodes du réalisme soviétique, pour servir ce qui mène toujours à la défaite en matière de stratégie militaire : le symbole avant la réalité comptable. Comptable par ses moyens efficaces, comptable par sa réelle capacité d’action.

Moi, petit frontovik, absorbé par le chaos hiérarchique, donc dépourvu d’une autorité souveraine et, peut-être rassurante, dans l’immense fragilité de ma vie, toujours à la recherche d’une combine, d’un chapardage qui me permettrait de rajouter des calories, bien venues à des besoins qui me paraissaient plus essentiels que la défense de la « Mère Patrie », j’ai été mené, au sud de Kharkov à coup de crosse et de knout, admirablement servis par les sbires d’un régime qui leurs donnait une légitimité aussi fallacieuse qu’irrévocable. Mis en condition par les porte-voix des Politrouks qui faisaient de l’affrontement à venir le produit de l’intelligence de cette STAVKA, outil personnel du râblais et grêlé géorgien, le coup de butoir ultime de l’armée des paysans et des ouvriers vers l’achèvement de la guerre à la fin de cette fameuse année 1942.

Nous fûmes conduits, à marche-forcées, et littéralement déversés dans des tranchées construites à la hâte. Tous les régiments se mélangeaient mettant les officiers, supposés nous commander, face à une gestion des effectifs absolument inefficace, insoluble… La chaîne de commandement, du haut vers le bas, s’exprimait par un transfert de responsabilité qui se révélait avec ce même principe de "gravité" : du commandant de front, en passant par le commandant d’armée, de corps, de division, de bridage, de régiment, de bataillon, de compagnie jusqu’au plus petit sous-lieutenant ; l’incapacité opérationnelle du commandement suprême accablait, tyranniquement, à coup d’ultimatum et de menace de peloton d’exécution, les plus dépourvus de pouvoir décisionnel. En dernier recours c’était la troupe, nous les frontoviki qui en faisions les frais. Une manière magnifique pour nous tordre les tripes, déjà vides, et ôter, pour la plus part, tout désir d’héroïsme.

A ce moment, la seule chose qui nous unissait, petites fourmis vêtues de kaki virant au jaune, était notre culture de la souffrance, de l’endurance face à l’absence d’humanité.

Vers le Nord, à 80 kilomètres, se trouvait Kharkov. 150 kilomètres plus haut, se trouvait un autre front. Notre objectif : nous rejoindre à l’ouest de Kharkov.

Ce que nous ne savions pas c’était que le géorgien n’avait pas prévu la prochaine offensive des porcs fascistes ; ce n'était plus Moscou. Le gros de leurs forces se trouvait justement dans le secteur de notre offensive. Encore une incompétence, de renseignement cette fois-ci. Une "Maskirovska" qui faisait la fièrté de la spécificité russe.

Mais surtout, la peur intangible qui paralysait les futurs professionnels de la guerre à dire, les yeux dans les yeux, au locataire du Kremlin, que son offensive était vouée à l’échec…

Les fourmis ne tarderaient pas à s’en rendre compte. Dans leur esprit et dans leur chair…

A suivre…

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