Chapitre 01

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C'était un soir d'hiver, le froid arrive tard comme chaque année, mais il semble rattraper son temps. Ce jour-là, le vent regorge de colère, parcours ces maisonnettes blanches jaunies par le temps. Il siffle amèrement, au coin de chaque rue, au bas de chaque porte, nous porte ainsi dans un chœur, jaillit d'un ciel vêtu d’un blanc ténébreux tout en émergeant nos corps d’étranges sortilèges. La pluie a commencé fine, mais la voilà renforcée à l'arrivée du cumulonimbus. On l’entend vanner durement sur les anciennes tuiles de ce petit café taciturne. Tout l’extérieur, se dessine en grisaille, par la buée soufflée sur cette vitre froide, sur laquelle je pose mon épaule. Seul, assis sur une petite table à deux personnes à moitié bois et pieds en fer. À l'intérieur de ce café qui porte le nom de l'histoire. Oui « histoire », n'est pas un nom que prend d’ordinaire un café. Ce qui fait de lui un endroit typique, qui incarne l'histoire elle-même. Le mythe de ce lieu est relié à ce rigide homme aux grosses moustaches noir, piqué aux deux extrémités des lèvres. Ses yeux larges et vifs reflètent un vide regard posé, armé de limpidité. Ce regard, énamouré et soucieux, diffuse et partage dans le café un instant d'une existence, un enchaînement de jours et de nuits, pleines de bravoures vaines. Comme témoignait chaque ride de son large front plat.
« Voici votre thé à la menthe, monsieur. » Dis le serveur, c'était un bon thé, trop chaud, sur une noire tasse ovale que j'ai siroté docilement tout en regardant par la vitre, des silhouettes moroses des gens qui défilent, sur un asphalte noirci par l’orage, dont le bruit s’excitait encore et encore. La chaleur stagnait s’évapore en déchirant à son passage l'odorat par son pétrichor. Une émanation jaillit des profondeurs, avec un arôme divin. Je n'avais pas de parapluie, j'avais qu'une seule petite valise ainsi qu’un billet de train que j'attends depuis une heure. Il ne va pas tarder à arriver. La gare est en face du café, une somptueuse église sans moine ni évêque, ou les gens exercent leur foi de voyage. Comme un fier soldat, elle se tenait majestueuse avec son architecture pittoresque. Deux vieux wagons rouillés décolorés, en brun-rouge posé à la cour extérieure. J'entends le sifflet du train, il est à cent mètres ou bien loin. Cette trompette m'a chassé de ma somnolence, encore quelques sifflets m’incitent à me lever, payé mon thé et sortir du café au moment où le bruit du roulement du train, vibre dans l'espace.
J'ai pris un siège devant la vitre, le train file, le monde défile en célérité sous mes yeux et ma vie avec.
On se croirait dans une toile de Vermeer. Douce, éblouissante, prodigieuse et blonde. D’où jaillit une lumière imperceptible, une inscrutable créature. Un archange, qui s’est échappé à un dieu qui a trop négligé sa beauté. Avec des gestes doux, elle se tenait prestigieuse et exalte son sourire héroïque face au miroir, à tailler ses longs cheveux ancrés de noir. en laissant esquiver parfois un venin regard perçant dans ma direction, accompagné d’un bref sourire. Quelques rayons, venus d’un soleil agonisant, surgissent d’une fenêtre à moitié ouverte. Comme un flambeau au milieu des ombres, ils dessinent ses traits et les rendent plus nets, plus féminins. Ses grands yeux marron, encerclés d’une couche de noir, s’allument, face aux lumières et bercent l’atmosphère limpide de cette chambre de nulle part.
Ce n’est qu’un rêve. Oui un rêve monotone que je manipule à ma guise, dont je me sers comme la seule vraie réalité qui existe. Et qu’à cet instant, je me retrouve dans le Nulle Part près d’elle, allongé à ses côtés à la contempler. Et j’oublie totalement que je suis assis dans ce siège bleu devant la fenêtre dans cette machine à mille roues. Oui je suis conscient que ce n’est qu’un rêve, que j’édifie tout lentement, de ma gloire, face à l’injustice de ce monde. Le fantasme me réussit, car je le contrôle, c’est mon autre réalité où j’existe autrement, où j’écris mon destin où je me contrôle facilement, où je suis mon propre dieu. Mais toutes mes aventures, toutes les routes que je prends et je reprends, me mènent à Elle, L’inconnue aux cheveux noirs. Qui es-tu ? Pourquoi tu es là ? Si proche de moi à me sourire à me regarder, à me torturer ! … Hélas, c’est ce que je me force à lui dire, mais les mots ne sortent jamais, la phonation ne marche plus. La chose que j’ai perdue dans cette autre réalité, est bien la parole, j’aurais aimé au moins être un bug et répéter les lettres mille fois s’il le faut, je sais qu’elle m'attendra et elle comprendra.
D'un coup ferme je me suis levé, j'ai pris une cigarette et une allumette. L'odeur lourde qui émane de cette petite tige de bois après la friction, se bloque au bout de mes narines. Les bougies au chevet de leur mort, fondues sur elles-mêmes, me rappellent cette toile de Rembrandt, où un vieux philosophe à la fin de sa vie, qui essaie toujours de percer les mystères de l’évidence et les reflets de mysticisme. Son front éclairé par une lumière Vermeer, ce front éclairé est probablement son sort. Oui son sort, guidé vers les lumières comme l’était jadis le mien dans le bon sens avant qu’il ne déraille. où peut être sa sagesse, lumineuse, intangible et increvable, même tout près de l’agonie. La femme aux cheveux noirs était accroupie sur le lit et ses petites mains maintiennent ses genoux. Son ombre se dessine fantastiquement en noir, sur un arrière-fond ambré. Je contemplais l'ombre qui ne change pas de forme, même si sa propriétaire bouge. Il était plein d’oisiveté d’où jaillit un souple effroi, je ne vois aucune constellation en lui, mais il m’est apparu plus concret et presque palpable. On s'est salué et fait connaissance mutuellement, il semblait bien comprendre le désarroi que sa maîtresse a avivé en moi. Son ombre, était réelle, il n’appartenait plus au domaine du contrôlable. Il est là, assis à côté de moi, sur ce siège Bleu de ce train qui monte vers nulle part. Désormais, elle parlait toujours, on l’écoute ensemble. Moi et son ombre dans le noir, en silence, comme un rite funéraire.
C’est la première station, la route est encore longue jusqu’à Kalibri, la montagne ou devrait habiter la femme de mes rêves. J’ai décidé de la retrouver, de la Chercher. Ce visage et ces traits sont plus humains qu’autre chose. Elle devrait exister quelque part dans ce petit monde, son sourire m’appelle, ses lèvres me soufflent des mots, une élégie que je ne saurais jamais traduire. Est-elle en danger ? Son regard est plus insistant ces derniers temps, elle me sourit rarement. Elle s’enferme dans cette petite chambre sinistre et ne m’invite qu’à la contempler sans jamais la caresser. M’aime-t-elle ? Oui, elle a besoin de moi à ses côtés même en silence, même en larmes, même en rêves.
J’ai décidé alors de commencer ma quête et de me plonger dans le noir pour la trouver. Pour cette recherche je n’avais en main que le positivisme comme la seule méthode à suivre. Et d’insérer le rationnel dans le fantasme. Le train n’est que le début de la partie pratique de cette enquête.
Une enquête ? Oui, ça l’est, c’est une criminelle que je recherche, celle qui me torture à chaque rêverie et me drogue de beauté et vole mon temps et ma vie, j’ai peur de flancher vers son Monde et ne jamais me retrouver. J’ai commencé donc à observer son monde, mon premier objectif était de bien m’assurer qu’elle est humaine et qu’elle est d’ici et non d’ailleurs et elle s’est égarée par malchance ou par chance dans l’Ailleurs.

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