Une Promenade

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 C’est le bruit d’un livre tombé sur le sol qui vient mettre fin à l’instant. Un livre dont la couverture marquée par le temps indique qu’il n’a pas connu qu’une seule lecture. Un livre de Stefan Sweig, Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, venu frapper le carrelage et ramener ces deux âmes sur la rive des vivants. Un livre tombé du sac d’Isabelle et que Serge connait bien. Un livre avec lequel il s’endort chaque nuit depuis près de sept années. En voyant le visage de Serge s’illuminer tandis qu’elle ramasse son livre, Isabelle interroge :

 « Vous aimez Stefan Zweig ? Je crois pour ma part qu’en termes de nouvelles, je n’ai jamais rien su trouver de plus prenant que celle-ci. »

 Serge entame de bafouiller quelques mots de manière inintelligible, puis s’arrête un instant. Il l’observe un temps puis, comme l’eau jaillissant de la source, il se met à lui raconter son histoire. La perte de sa femme, le départ de ses enfants, la perte de sens à l’existence, la mélancolie d’une vie à jamais disparue. Et ce livre. Ce livre offert par celle qui l’aimait plus que tout et qu’il n’a jamais su prendre le temps de lire. Ce livre et les regrets qui y sont attachés. Et à mesure qu’il raconte, à mesure qu’il se livre, leurs corps se rapprochent, comme attirés par une force les dépassant tous deux.

 Lorsque Serge termine son histoire, il n’est plus qu’à quelques centimètres d’Isabelle. Ils se sont retrouvés à mi-chemin, juste devant le comptoir dont une partie a été relevée pour leur permettre cette proximité. Ils ont déjà oublié comment ils se sont retrouvés là où ils se trouvent. Seule domine la certitude d’être à leur juste place.

 Isabelle fait le premier geste vers lui. Le plat de sa main vient trouver le dos de celle de Serge. Un frisson oublié parcourt son bras jusqu’à l’épaule. Il y a maintenant sept ans qu’aucune femme n’a posé la main sur lui. La sienne vient s’approcher du visage d’Isabelle, ses doigts pénétrant sa chevelure d’or. Elle le saisit par le poignet, il approche son visage du sien et leurs bouches viennent se coller l’une contre l’autre.

 Pour un instant seulement. Le carillon vient de se faire entendre à nouveau, et Mme. Bruyère est venue chercher sa boite d’œufs habituelle. Gênés, leurs deux visages se teintent de pourpre tandis que leurs corps s’éloignent à regret. Isabelle le remercie et s’échappe rapidement, oubliant la raison première de sa présence dans la fromagerie.

 Une rencontre. Un chemin l’un vers l’autre. Une promenade main dans la main. Un instant au parfum d’éternité. Voilà ce qu’a laissé le passage d’Isabelle. Voilà ce qu’elle conserve de Serge. Elle reviendra c’est sûr. Elle n’a jamais autant manqué de crème fraiche qu’aujourd’hui.

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