7 L'enfer
Les jours poursuivirent leur cours. Le printemps était là depuis quelques semaines déjà, la fin du lycée approchait et l’épreuve qui allait avec aussi. La vie était monotone, chaque journée ressemblait à la précédente et le monde semblait s’en contenter.
Olivia était plus proche de Camille. Elle n’était pourtant jamais retournée chez elle, et son amie avait préféré ne jamais évoquer sa dernière visite, sachant qu’une corde sensible avait été touchée.
Olivia n’avait rien entendu d’autre. Le voile troué face au piano semblait s’être recousu. Et la vie continuait de couler tel un cours d’eau imperturbable.
Ce matin-là, le professeur d’histoire rendait aux élèves leur dernière composition. Plutôt mécontent des résultats de la classe, il se sentit obligé de faire remarquer à tout le monde qu’une élève avait réussi brillamment – certainement afin de leur faire comprendre qu’il n’était pas impossible d’obtenir une bonne note à cette évaluation.
– Je suis très déçu, dit-il, la moyenne de la classe est de neuf ! Beaucoup d’entre vous ont eu moins de cinq ! Comment comptez-vous obtenir votre bac avec de tels résultats ? Cependant, Olivia, elle, a réussi à avoir la note de dix-huit et demi ! Félicitations !
À ce moment, une rumeur s’éleva des rangs. On pestait, on ne comprenait pas pourquoi on n’avait pas réussi l’évaluation, pourquoi Olivia avait eu la meilleure note. Un élève laissa échapper, plus fort que tous les autres :
– Connasse ! Elle entend rien mais elle se tape des dix-huit cette salope !
La remarque tonna comme un obus. Tout le monde se tut ; les amis du protagoniste rirent. C’est alors que Victor se leva brusquement de sa chaise, s’approcha de lui et le poussa violemment. Il s’apprêtait à lui asséner un coup de poing, mais le professeur et un camarade arrivèrent à temps pour le retenir. Immédiatement, il fut accompagné dans le bureau du principal.
Tout était allé très vite. Olivia n’avait rien remarqué. Tout ce qu’elle vit, c’est la mine ahurie de ses camarades. Comme le professeur enchaîna directement sur le cours, elle attendit la fin de l’heure pour demander des informations à son interprète. Cette dernière lui raconta tout dans les détails. Ébahie, Olivia prit quelques instants pour considérer ce qu’il s’était passé. On l’avait donc insultée à cause de sa note. Cela, elle s’en moquait. Vu qu’elle n’entendait pas les insultes, elle n’y prêtait pas attention. Ce qui l’interpellait était le comportement de Victor. Pourquoi avait-t-il pris sa défense, devant tous les autres, et d’une telle manière ? Il n’était pas revenu vers elle depuis la soirée d’anniversaire de Thomas. Même si elle l’avait surpris de nombreuses fois en train de la regarder, elle pensait qu’il ne s’intéressait plus à elle.
Alors pourquoi cette réaction ?
*
Fin de la matinée. Victor ne réapparut qu’à la sonnerie annonçant l’heure du déjeuner. Ses amis ainsi que d’autres curieux se jetèrent sur lui pour lui demander quelle serait la sentence de son emportement.
– C’est bon, c’est rien ; juste trois heures de colle où je vais devoir recopier le règlement intérieur. Comme j’l’ai pas frappé, ils peuvent rien me mettre d’autre.
Une fois les ragots récoltés, chacun s’éloigna et repris son chemin en direction du réfectoire. C’est le moment que choisit Olivia pour quitter Camille et se rapprocher de Victor. Il semblait l’attendre. Lorsqu’elle arriva face à lui, elle le trouva imposant, même intimidant. Il était plus grand qu’elle et il dégageait une aura presque charismatique. Pour la première fois, en le regardant dans les yeux, elle eut la sensation de braver un interdit.
Elle leva son index et tapa deux fois sa joue avec : « Pourquoi ? ».
– Tu veux savoir pourquoi j’ai réagi comme ça, hein ? commença-t-il. D’habitude, je m’en fous que quelqu’un se fasse insulter ou non. C’est pas mon problème. Mais cette fois-ci, c’était différent. Parce que j’ai vécu la même chose que toi, Olivia ! Au début du collège, mon surnom c’était l’intello. « Ah, l’intello va encore avoir vingt sur vingt à ce contrôle ! », « Eh l’intello, j’ai pas fait mon devoir-maison, passe-moi le tien que je recopie ! », « Pssst, c’est quoi la réponse à la deuxième question ? Fais pas genre tu sais pas ! », et j’en passe ; c’était comme ça à chaque fois ! Quand les profs disaient les notes de tout le monde à voix haute, j’en ai entendu des noms d’oiseaux qu’on me balançait à la gueule, comme ça, gratuitement ! J’étais un très bon élève, j’avais d’excellents résultats, mes parents et mes profs étaient fiers de moi, et moi, j’en avais honte ! Honte à cause de tous ces types pas foutus d’aligner deux phrases sans les bourrer de fautes de français, pas foutus d’apprendre la plus simple des leçons ou de faire le plus bête des exercices ! À un moment, j’en ai eu ras-le-bol, j’ai arrêté de travailler, je faisais exprès de répondre faux aux interrogations pour me taper des sales notes comme eux. Ça a été la pire erreur de ma vie parce que j’ai jamais réussi à me remettre dans le droit chemin. Aujourd’hui, je suis même pas sûr d’avoir mon bac. Les autres ont pourri mes capacités, et j’ai pas envie qu’ils fassent de même avec toi. Alors c’est pour ça que j’ai réagi comme ça. Ce con, en t’insultant, il a réveillé mes démons.
Un léger sourire se dessina sur ses lèvres lorsqu’il prononça cette dernière phrase. Mais son visage était blafard, ses yeux crachaient des flammes et son charisme avait fait place à une haine palpable. Il avait parlé avec tellement de rage et de fougue qu’Olivia n’avait pas très bien pu lire sur ses lèvres et comprendre tout ce qu’il disait.
Peu à peu, il reprit son calme. La clarté du regard d’Olivia toujours plongé dans le sien lui fit recouvrer ses esprits. Gêné de s’être confié si spontanément et si violemment, il passa sa main derrière sa tête et ajouta, moins assurément :
– Euh… J’en ai jamais parlé à personne de ça, ça me fait bizarre d’avoir tout lâché d’un coup. Mais ça fait du bien. Bon, allez, je rejoins mes potes pour manger. À plus tard !
Et il partit.
Troublée par ces confessions, Olivia resta là, en le regardant s’éloigner. Il y avait vraiment quelque chose d’étrange chez ce garçon. Tantôt mystère, tantôt livre ouvert. Une chose était sûre : la souffrance et les regrets faisaient partie de son histoire.
L’intérieur était bien loin de l’apparence solide et sûre de lui qu’il dégageait.
« L’enfer, c’est les autres. »
Annotations
Versions