10 Brûlure
Le secret d’Olivia pesait à présent bien trop lourd sur ses épaules. La simple note entendue n’était pas difficile à cacher. Mais dorénavant, elle savait qu’elle pouvait entendre la musique, quand celle-ci provenait d’instruments face à elle. Elle avait essayé la radio, les disques, mais ils restaient encore et toujours silencieux. Seule la présence d’instruments perçait sa surdité. Cela, elle ne pouvait pas le garder pour elle-même.
À qui en parler ? Certainement pas à ses parents. Ils s’empresseraient de contacter le psychologue et elle savait la pression que tous les spécialistes lui infligeraient. Ils ôteraient la magie. Quant à Camille, elle avait peur qu’elle ne la croie pas. Car, après tout, cette situation était tout simplement incroyable.
Il ne restait alors plus que Victor. Elle savait que lui, la croirait. Il était le seul à savoir qu’Olivia n’avait pas toujours été sourde. Camille l’ignorait, et c’est pour ça qu’elle craignait sa réaction si elle lui faisait part de cette histoire. Victor serait peut-être étonné, mais il la croirait. Et il la soutiendrait. Peut-être trouverait-il les mots pour la convaincre d’en parler à ses parents. Puis à ses médecins. Et, peut-être, grâce à ça, retrouverait-elle un jour l’ouïe.
*
Tendu, Victor attendait la venue d’Olivia. Elle avait quelque chose d’important à lui raconter. Même si elle ne pouvait de toute façon pas le lui dire de vive voix, il lui avait proposé qu’ils se voient car il se doutait qu’elle allait avoir besoin de soutien immédiat. Il sentait en ses messages un trouble profond.
Il était nerveux. Depuis leur baiser, ils ne s’étaient revus qu’en coup de vent au lycée. Ils n’en avaient jamais reparlé lors de leurs conversations textuelles. Elle n’y avait jamais fait allusion, et lui n’osait pas aborder le sujet. Comme il se sentait stupide de l’avoir embrassée ! Il avait fait ce geste sans réfléchir. En sortant de chez elle, il avait eu, soudainement, une irrésistible envie de le faire. Il n’avait pas su résister à sa pulsion. Il ne le regrettait pas le moins du monde. Il avait tant aimé cette tendre parenthèse. Et comptait bien la recommencer.
Trois coups frappés à la porte le sortirent de sa rêverie. Il alla ouvrir et son visage s’illumina lorsqu’il vit la fille aux cheveux roux. Il l’invita à entrer et elle lui sourit timidement. En tremblant, il lui prit sa veste et l’accrocha au porte-manteau. Il lui proposa à boire ou à manger, et elle secoua la tête pour refuser. La gêne était palpable entre les deux jeunes gens. Au bout de quelques lourds instants, il lui fit signe de la suivre et ils se dirigèrent vers sa chambre. Il ne cessait de repenser à leur baiser. Il regardait ses lèvres et rêvait d’y redéposer les siennes. Elle vit son attitude étrange. Aussi décida-t-il de briser la glace :
– Olivia, je… À propos de la dernière fois… Quand je t’ai embrassée… Je suis désolé qu’on en n’ait pas reparlé. Je ne sais pas ce que tu en as pensé, si ça t’a gênée, ou même si ça a créé de la distance entre nous, mais… Moi j’ai beaucoup apprécié. Voilà. Je tenais à te le dire.
Elle sembla réfléchir. Pendant un court instant, elle regarda dans le vague. Puis, elle scruta ses yeux et ses iris verts firent frémir le jeune homme. Elle fit un pas vers lui. Puis un deuxième ; un troisième. Leurs visages n’étaient à présent séparés que par quelques centimètres.
Elle déposa un baiser sur ses lèvres.
Il la regarda à nouveau, et l’étincelle de ses yeux alluma un feu en lui. Brusquement, il saisit ses hanches et l’embrassa fougueusement. Peu à peu, il resserra son étreinte, rapprochant son corps du sien, et sa bouche de son cou puis son décolleté. Il remonta une main le long de son dos et la passa dans ses doux cheveux de flamme. Sa deuxième main, il la glissa sous son pull où il découvrit avec ardeur le contact de sa peau. Puis il ôta le vêtement, ainsi que le sien. Elle posa ses mains sur son torse, augmentant ses tremblements et sa chaleur. Toujours en l’embrassant, il l’allongea sur le lit et, en enlevant d’autres vêtements, continua à découvrir son corps. Chacun de ses gestes la faisait frissonner, mais il voyait surtout le sourire qu’elle arborait, les yeux clos. Il fit glisser ses lèvres sur sa peau sucrée et lui transmit sa chaleur.
Depuis le début, son visage le fascinait mais à présent, c’était son être tout entier qui le faisait brûler lorsqu’il la contemplait. Et quand la dernière pièce de tissu fut enlevée, le feu du plaisir le consuma.
*
Allongés côté à côte sur le lit, Olivia et Victor se regardaient. Il y avait quelque chose d’inconnu dans l’œil du jeune homme. Elle le remarqua mais n’y prêta pas attention. Ce qui venait de se passer était un nouveau secret, un nouveau lien entre eux. Elle avait encore du mal à réaliser. Elle continuait à se plonger dans ses yeux noirs, qui la regardaient toujours avec ferveur. Au bout d’un moment, il les ferma et semblait dormir, paisible. Il était beau. Il lui sembla même entendre son souffle.
Et puis, soudainement, elle se rappela pourquoi elle était venue. Rien de ce qui était prévu ne s’était encore passé. Il fallait pourtant qu’il sache. Que quelqu’un sache. Avec anxiété, elle posa sa main sur son épaule, pour que ses paupières s’ouvrent. Il lui fit un faible sourire. Elle se rassit, saisit son portable et commença à écrire les incroyables épisodes du piano et du violon. Assis lui aussi, il attendait patiemment qu’Olivia achève son récit. Elle sentait son regard qui parcourait à nouveau son visage et son corps, mais ne se laissa pas distraire. Elle n’était pas venue pour ça.
Lorsqu’elle eut terminé, elle soupira et lui tendit le téléphone. Il lut la longue note avec attention. À présent, c’était elle qui le regardait, guettant une réaction. Il finit par poser l’appareil et tourner la tête vers elle, sans certitude.
– Je… je sais vraiment pas quoi répondre à ça, Olivia.
Elle ne s’y attendait pas. Comme elle avait placé des espoirs en ces aveux, elle se sentit soudainement vide, ébranlée. Les événements de ces derniers mois lui revinrent en mémoire. Une larme finit par couler sur sa joue.
Impuissant, Victor la prit dans ses bras et embrassa le sommet de sa tête. De toute évidence, il ne pouvait rien faire pour aider la fille aux cheveux roux et au regard étranger.
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