Chapitre 2 - Délivrance - Partie 8
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Nella avait du mal à dissimuler son anxiété. Elle ne pourrait plus être mère ; la nature en avait décidé ainsi. Cette réalité renforçait son désir de protection de son fils, Santo. Comme pour conjurer le sort, elle avait assisté et accompagné plusieurs séances d’accouchement. Cependant, celle de sa jeune protégée approchait. Elle avait suivi de près l’évolution de sa grossesse depuis plusieurs mois. Défine avait totalement accepté cette proximité avec Nella. Elle avait intégré rapidement tous les enjeux et futurs devoirs. Pourtant, Nella avait toutes les peines du monde à retenir la fougue de la jeunesse.
Le sas laissa filer les trois jeunes à l’extérieur de la bulle de vie. Après quelques poussées efficaces de leurs membres inférieurs, ils allumèrent presque à l’unisson leur propulseur individuel. Comme à chaque fois, Défine prenait une bonne longueur d’avance et Santo et Abi mettait toujours quelques minutes avant de la rejoindre. C’était une évidence, les Poisseux portaient en eux les améliorations nécessaires pour évoluer avec facilité en milieu aquatique. La différence se faisait sentir, peut-être trop, au goût de Flat qui s’était définitivement éloigné d’eux. Malgré tout, Défine s’était pleinement intégrée. Avec Nella et Louis Troval comme protecteurs, personne n’avait fait perdurer la phase acceptable de curiosité. Logiquement, une forte amitié était née entre les trois jeunes.
La mort de Mirka avait durement touché Santo, et l’ensemble de la population de Vitanova. C’était un personnage apprécié et dont l’utilité au sein de la communauté ne faisait aucun doute. La culpabilité avait habité Santo quelque temps. Mais ce fut le centurion Louis Troval, la cible des critiques. Il devrait encore en porter le fardeau durant le restant de sa vie. La navette Poisseux avait rejoint les abysses comme son aura. Pourtant, peu à peu, sa notoriété se reconstruisit d’elle-même. Il avait entrepris d’autres sorties pour rapporter le corps de leur défunt compagnon. Certains le moquèrent et y virent une fuite en avant ridicule devant la probabilité faible de retrouver Mirka. Ce fut quelques jours plus tard que le petit groupe qui avait accepté de suivre le centurion revint avec le corps. La cérémonie permit à la communauté de faire le deuil de leur compagnon et de retrouver sérénité et unité.
Nella avait prononcé un énième sermon concernant la sortie que s’apprêtaient à effectuer Abi, Défine et Santo. Mais la propension de la jeunesse à chercher l’aventure semblait trop forte. Pourtant, Défine approchait de son neuvième mois de grossesse et était sous étroite surveillance. Heureusement, le fœtus se portait bien et la mère aussi. Son ventre s’était arrondi tardivement, faisant prendre finalement conscience à Défine l’imminence de la naissance. Malgré tout, le trio continuait ses sorties, mais dans une fréquence moins élevée et à moindre distance, et point non négligeable, pas en surface. Ensemble, ils avaient un but en commun : faire des trouvailles. Cependant, celui de Défine allait plus loin. Elle avait dans l’idée de tomber sur quelques objets Poisseux pouvant refaire surgir son passé.
Les projecteurs de leurs puissants propulseurs découpaient l’obscurité. Équipés de compenseurs Poisseux, les trois jeunes plongeurs n’avaient pas à craindre les dangers liés à la pression des profondeurs où ils évoluaient. Mais comme tout matériel, ils avaient leurs limites. Prenant en compte l’état de Défine, Abi et Santo avait choisi d’évoluer dans un endroit relativement sécurisé. Différents capteurs, positionnés lors d’une précédente sortie, avaient mis en lumière des mouvements importants au sein des déchets.
Santo approcha d’un premier amas de plaques et de restes d’installations diverses. Prudemment, il plongeait sa lampe pour scruter les recoins. Les rares animaux, ressemblant à des méduses, qui n’avaient pas encore fui, nageaient placidement autour des jeunes. Abi se tenait derrière lui, prête à récupérer et analyser les potentiels trésors dénichés par son ami.
Ce fut le trop long silence de Défine qui l’inquiéta en premier lieu. D’ordinaire, la jeune Poisseux montrait une certaine impatience avec des « alors ? », des « et si… » ou encore des « peut-être ». Défine s’appuyait contre une plaque, même si la majorité de son visage était dissimulé sous le matériel de plongée, l’expression de ses yeux ne laissait aucun doute. Elle souffrait.
« Santo !
— Quoi ? Attendez un peu, j’y suis presque, répondit Santo.
— Santo ! Défine…
— Quoi ? s’exaspéra le jeune homme, avant de rester coi devant la scène se déroulant sous ses yeux.
— Défine ? Ce ne sont pas des contractions habituelles.
Un mouvement négatif de la tête de la future mère glaça le sang d’Abi.
— Bordel ! Il faut retourner à la bulle et fissa.
Un nouveau mouvement négatif de la main de Défine décida de la marche à suivre.
— Santo, fonce vers la bulle. Il nous faut une petite navette d’urgence. C’est notre seule chance. Je reste avec Défine.
— OK ! J’y vais », acquiesça le jeune homme.
Le propulseur de Santo n’avait jamais été poussé dans de tels niveaux de puissance. Abi le vit disparaître dans l’obscurité des eaux troubles de la déchèterie. Elle enlaça Défine assaillie de douleurs. Il faudrait tenir et lutter ensemble contre la nature.
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