Chapitre 3 - Remontée - Partie 1
Il régnait au sein de l’immense salle du centre décisionnel du Markind Fomalhaut un calme trompeur. Celui qui précède les moments importants, les décisions radicales. Au centre se tenait l’objet de l’attention de la nuée de subordonnés. La plupart étaient installés confortablement dans leur siège, observant les indications servies par leur pimplant. Les rangées concentriques s’orientaient toutes vers un même point focal, le même foyer : la responsable de l’ensemencement, Bianca Solgarde.
Les rapports de peuplement s’accumulaient depuis plusieurs mois et dessinaient sensiblement les mêmes courbes et graphiques. Malgré tous les efforts entrepris pour faciliter l’installation des colons sur Fomalhaut-Ae, la population des Bas-Niveaux déclinait. Pourtant, Bianca, avec l’appui des centurions dédiés aux questions de peuplement, avait lâché du lest sur certaines mesures. Parmi celles-ci, ils avaient renforcé et favorisé la formation assistée de couples pour procréer. Le taux de natalité s’en trouva rapidement augmenté.
Pourtant, un chiffre retenait l’attention de Bianca Solgarde : celui de l’incompatibilité fœtale à l’humaniformation. Comme si la nature voulait défier la jeune colonie ; elle ne se laissait pas dompter aussi facilement que sur la planète colonisée précédemment, Vertis. Il fallait réagir ; l’ensemencement de Fomalhaut-Ae ne pouvait pas végéter en un début de phase « Trois » pendant encore des générations. Malgré la réticence de certains centurions, elle avait pris sa décision. Les graines du Markind Fomalhaut seraient déployées et iraient fonder d’autres grappes de bulles de vie. Les centurions incompatibles avec son projet, tel Inmar Baldon, furent habilement écartés. Elle en était convaincue. Il lui fallait un soutien sans faille.
Le silence renforçait le caractère important du moment. Dans les quelques minutes qui suivraient, l’ordre de déployer deux des trois graines serait donné. La procédure qui serait mise en œuvre fut le fruit de trois mois de travail d’une centurie au complet. Elle en serait l’artisane et l’outil. Deux centuries comprenaient un panel de toutes les spécialités nécessaires à l’élaboration de nouvelles grappes de bulles de vie. Ces colons s’établiraient sur d’autres gyres situés à des milliers de kilomètres d’où avait plongé le Markind Fomalhaut des décennies auparavant. Néanmoins, il était prévu des rotations de navette pendant toute la durée des phases « Un » et « Deux » de leur déploiement. Avec pour objectif d’en accélérer l’arrivée à la phase « Trois » compatible avec un peuplement standard, c’est-à-dire la naissance d’une nouvelle génération.
Bianca Solgarde avait délégué cette lourde tâche à deux de ses plus proches centurions, Denis Rickword, un homme au tempérament indéfectible, et Claire Montville, une femme aussi calme qu’impalpable. Évidemment, ils partageaient la même vision de l’ensemencement que la responsable : une colonie homogène, facile à tenir et à diriger vers une harmonie commune.
Mais un autre problème tenait Bianca Solgarde. Quelques « dissonances », comme elle les appelait, lorsqu’on l’interrogeait sur le sujet. Pourtant, la rumeur d’une colonie alternative gonflait. Bianca la voyait comme une excroissance involontaire. Ses prédécesseurs, et elle-même l’avaient laissée trop longtemps se développer. Bianca reconnaissait son erreur mais n’en laissait rien paraître que ce soit en public ou en privé. Il fallait y mettre un terme. Les derniers chiffres montraient une situation qui échapperait, tôt ou tard, à tout contrôle. Lorsqu’une des subordonnées lui présenta des chiffres non officiels, Bianca s’avisa que l’écart de peuplement s’avérait bien pire que ce qu’on lui avait remonté. Ce fut comme un électrochoc. Devant le visage courroucé de la responsable de l’ensemencement, la pauvre subordonnée dut réintégrer la nuée dans un mutisme imposé par le seul regard de Bianca.
À cela s’ajoutait un autre phénomène. Les colons, dans leur ensemble, se montraient de moins en moins dociles. Malgré tous les efforts liés à la diffusion d’une propagande progressiste et d’une amélioration du confort dans les Bas-Niveaux, des voix s’élevaient pour demander l’assouplissement de quelques règles. Bianca attribuait ce résultat à une oisiveté nocive, un individualisme exacerbé. Elle les considérait comme des enfants ingrats peu soucieux des sacrifices passés et inconscients de ceux à venir. Quelques mois auparavant, Bianca Solgarde fut particulièrement touchée par le meurtre d’un biologiste par une décurion dont les états de services étaient prometteurs. La fugitive, une certaine Sunita Ailurus, avait laissé sur le carreau deux agents de sécurité. Ce cas de figure venait entacher ses projets et montrait une certaine faiblesse. Le pire pour Bianca, c’est que cette jeune femme avait participé à son projet. Décidément, elle avait eu la main trop douce. Désormais, la situation nécessitait de montrer plus d’autorité et de prendre un virage sécuritaire.
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