Chapitre 3 - Remontée - Partie 6
Samo Gheki scrutait en permanence les données et relevés que le pimplant lui proposait. D’une simple pensée, il repoussa un graphique. Il parcourut la liste non exhaustive des habitants de Vitanova. Un ramassis de bons à rien, songea-t-il. D’une autre réflexion, il traça la future évolution de sa décurie à travers les mailles serrées des ruelles de la bulle de vie où la fugitive avait trouvé refuge. Les habitants de Vitanova, Samo Gheki, ne s’en souciait guère. Ils n’appartenaient pas à la colonie, s’en étant exclus de fait ou par la volonté de leurs parents. Ce qui importait au décurion, en qui, selon lui, Bianca Solgarde avouait une confiance aveugle, c’est que l’ordre soit rétabli, les coupables jugés et châtiés. Il n’y avait pas de place pour une anarchie qui mènerait tôt ou tard la population à la déchéance.
Après avoir rassuré la jeune mère sur la situation de son fils, Rama, Nella passa la main sur le bras de Sunita pour remonter la manche de sa combinaison.
« On va devoir faire ça à l’ancienne, déclara la grande femme tenant un injecteur dermique. Une véritable relique.
— Ça va faire mal ? demanda la jeune femme.
— Oh non. Peut-être juste une sensation de froid due à la pression. De toute façon, en quelques secondes tu vas plonger, lui indiqua la biologiste de Vitanova.
— Necko, tout est prêt de ton côté ?
Le petit homme s’affairait dans des allers-retours incessants entre le siège, légèrement abaissé, et son pupitre principal.
— Necko ?
— Oui, oui, oui. Laissez-moi encore quelques secondes pour vérifier les flux.
La petite danse burlesque reprit de plus belle. Enfin, il tapa deux fois dans ses mains.
— C’est bon ?
Necko acquiesça et s’approcha de la jeune Poisseux.
— Dé… Sunita. Il va falloir que tu me guides. Les pimplants sont compliqués à modifier, ton modèle, encore plus. Mais, on a une chance de le désactiver pour de bon. Je vais m’immiscer dans le code primaire pour ouvrir une boucle infinie. Mais pour ce faire, il faut passer de porte en porte jusqu’à ce que ton rêve te semble enfin naturel.
— Naturel ? Plus de symboles ? lui demanda Sunita, trahissant une légère incompréhension.
— Oui, en quelque sorte. De toute façon, tu t’en rendras compte aussitôt. Le plus compliqué sera de nous le faire savoir, concéda Necko.
— Et je devrai faire une action particulière ?
— Ah, non. Le reste, je m’en charge, conclut le petit homme affichant un petit sourire accompagnant ses grands yeux plissés.
— Ne perdons pas plus de temps, proposa Nella les rappelant à l’ordre devant l’urgence de la situation.
— OK, OK. Mais surtout. Préviens-nous. De n’importe quelle manière, insista-t-il.
— Plus de symboles ?
— Plus de symboles », confirma Necko.
Nella attrapa la main de Sunita et de l’autre appliqua l’injecteur dermique chargé d’un cocktail chimique savamment dosé. Aussitôt, le corps de la jeune Poisseux se détendit et ses globes oculaires basculèrent vers le haut, dans le monde des songes.
Le conseil avait été organisé en toute hâte. D’ailleurs, tout le monde n’était pas encore présent au forum quand Louis Troval, le centurion le plus en vue de Vitanova pénétra dans le plus large bâtiment de la bulle de vie. Il remarqua tout de suite que l’ensemble des regards qu’on lui portait n’étaient pas exempts de reproches, voire donnaient des signes d’une certaine hostilité. La mort de Mirka, lors de l’investigation de la navette Poisseux, avait laissé des traces.
Cette instance de neuf personnes se réunissait rarement et essentiellement en cas de crise ou d’événements assez importants pour mettre en difficulté l’ensemble de la communauté. Les membres étaient désignés, chaque année, à bulletin secret. Chaque habitant, même mineur, pouvait inscrire le nom de son futur représentant. Ainsi, il n’était pas rare de voir un enfant proposer son parent.
« Installe-toi Louis, lui proposa un des membres.
— Merci, répondit Louis Troval en s’asseyant sur un siège disposé de façon à faire face aux neuf.
L’attente des retardataires dura assez pour faire s’impatienter le centurion.
— Ne me dites pas que les deux autres finissent leur partie de Lockace, proféra-t-il.
— Mon cher centurion, je vous demanderai un peu de retenue dans vos termes. Ils ont été prévenus, il y a seulement quelques minutes.
— Mais, le temps presse. Les Poisseux seront ici-même d’un moment à un autre.
— Il n’y a aucune urgence. Vitanova n’a rien à craindre des colons des Bas-Niveaux. La fille et son enfant devraient d’ailleurs les rejoindre, coupa une voix forte venant dans le dos du centurion.
Cette intervention fit se retourner Louis Troval. Les deux retardataires venaient de pénétrer dans la grande salle du forum. Ils passèrent à côté du centurion, le plus proche lui lança un regard de défi, puis ils s’installèrent.
— Pardon ? Vous voulez livrer Sunita et Rama à ces brutes ? tonna Louis en se levant.
Son interlocuteur se retourna, s’installa confortablement dans son siège et esquissa un sourire, devant la sortie attendue du centurion.
— Des brutes ? Vous êtes prompt au jugement, Troval. Vous pensez la connaître assez bien. Pourtant, vous devriez bien comprendre que les colons des Bas-Niveaux ne se déplacent pas pour rien. Encore moins pour une personne souhaitant rejoindre une des bulles de vie de la déchèterie.
Louis Troval s’assit de nouveau, ne trouvant rien à rétorquer. Profitant de ce silence de quelques secondes, Kanti Prajit se leva et fit trois pas pour faire le lien entre Louis Troval et les huit autres membres du conseil.
— J’ajouterai que cette Sunita, que nous avons accueillie au sein de notre communauté, à qui nous avons offert notre protection, a omis de nous faire part de quelques menus détails la concernant, commença l’homme en s’adressant à l’assistance.
Il se tourna vers Louis Troval.
— Je suis d’ailleurs terriblement étonné et même déçu que vous n’ayez pas effectué quelques recherches la concernant, centurion. Il en va de la sécurité de notre frêle bulle de vie.
— J’ai une totale confiance en Sunita. Elle s’est parfaitement intégrée à notre communauté. Elle a d’elle-même sollicité Necko lorsqu’elle a senti son pimplant s’éveiller, tenta d’argumenter Louis Troval.
L’évocation du pimplant déclencha aussitôt une vive réaction de ses auditeurs. On pouvait y relever les termes de “marqué”, “balise”.
— Rassurez-vous. Selon Necko, les données envoyées sont parcellaires et l’état de son pimplant ne permettait pas l’envoi des marquages, expliqua le centurion.
— Quelle nouvelle ! Nous voilà rassurés ! ironisa Kanti Prajit en levant les bras et en tournant sur lui-même. Vous le serez moins en sachant que la responsable de l’ensemencement actuelle, Bianca Solgarde, nous envoie son décurion de sécurité personnel : Samo Gheki.
Une nouvelle fois, le son des discussions enflammées des membres du conseil remplit la grande salle. Kanti Prajit tapa des mains pour faire revenir le silence.
— Pour votre gouverne, mes semblables, vous serez ravi d’apprendre que depuis quelques mois nous hébergeons une brute… et même pire une tueuse.
— D’où tenez-vous ces informations Prajit ? tonna une nouvelle fois Louis.
— De moi-même, centurion Troval », claqua une voix parvenant d’une des entrées du forum.
Samo Gheki, épaulé de deux membres de sécurité armés, pénétra dans la grande salle. Il s’arrêta à deux mètres de Louis Troval.
« Mon père m’a beaucoup parlé de vous, décurion Troval. Je vous voyais plus grand », le toisa le jeune homme au regard fixe.
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