XXI. Cannibale
La dernière note pressée, Marion ôta les sangles de son accordéon, qu'elle déposa à ses côtés sur le lit. Le trac avait rendu ses mains glissantes, plaqué ses mèches rebelles sur son front huileux. Sans oser la confronter du regard, elle attendit timidement le verdict de sa petite amie, assise en tailleur sur la chaise du bureau.
Pamela n'était pas mélomane pour deux sous. La musique ne lui servait d'ordinaire qu'à se déhancher, qu'à se défouler. Si elle devinait qu'un travail monstre se cachait derrière les accords alignés studieusement par sa compagne, elle était bien incapable d'en cerner les subtilités. À dire vrai, les torsions incessantes des doigts qui couraient sur les claviers l'impressionnaient davantage que la mélodie, qu'elle remettait à peine. Bien évidemment, une telle souplesse l'émoustillait.
Les grands discours ne lui réussissaient guère et, après une prestation aussi appliquée, elle ne voulait pour rien au monde risquer de froisser Marion ; ce à quoi la naïveté spontanée de ses impressions aboutissait une fois sur deux. Dès lors, Pamela opta pour la plus brute des franchises : elle se leva d'une traite, se précipita au-devant de la musicienne en proie à son jugement, lui saisit le visage à deux mains et, pour unique compliment, lui roula la pelle la plus longue toute de sa vie de séductrice. Au-delà du louange, sa langue habile répétait sans un mot : « J'veux te bouffer. J'veux t'engloutir sans préliminaires. »
Étonnement plus fourni et subtil que son vocabulaire, le langage corporel de la Barbie ne laissa aucun doute possible sur ses dispositions. Alors que leur bouches se disjoignaient, déjà haletantes, pour reprendre leur souffle, Marion s'empressa d'y répondre :
— J'ai envie de toi.
— T'es sûre ? insista la belle blonde, un sourire charmeur déjà tiré au coin des lèvres.
— Ça fait des semaines que j'en suis sûre. Tu aurais pu me sauter ce jour-là, dans les toilettes, je t'aurais laissé faire...
— Ça c'était hors de question, princesse. Je voulais faire les choses bien.
Pamela lui offrit un nouveau baiser, sa pulpe onctueuse s'attardant, sensuelle, sur les gerçures de la binoclarde. Puis elle s'écarta, recula jusqu'au centre de la pièce où elle se figea dans une pause de mannequin. Sa petite robe, à peine décolletée, lui tombait jusqu'aux genoux. Marion avait eu beau lui reprocher un million de fois son style provocateur, en cet instant, elle maudissait le tissu qui lui interdisait les cuisses sveltes et la naissance des seins que jamais, songeait-elle, elle ne se lasserait de palper. Sans cesser de la dévorer du regard, le canon croisa les bras dans le dos.
— Moi aussi, j'tenais à te faire un cadeau spécial. Mais j'ai pas d'talent, comme toi. J'ai qu'mon physique pour moi, comme on dit...
Alors qu'une de ses mains remontait vers son cou, Pamela s'immobilisa à nouveau.
— Qu'on soit claires, princesse : c'que je fais là, j'ne l'ai jamais fait pour personne avant. T'es une vraie VIP. Et surtout, c'est parce que j'te fais confiance à cent pourcent.
À ces mots, la bimbo dévoila son présent. Sa main défit d'un coup franc la fermeture dorsale du vêtement, qui lui tomba élégamment le long du corps, révélant dessous la guêpière corsetée. Affriolantes, les dentelles sculptaient sa taille voluptueuse et lui bombaient les seins ; les lignes élancées des porte-jarretelles accentuaient la longueur effarante de ses cuisses athlétiques.
Marion demeura scotchée sur le lit, sans voix devant pareil effeuillage. Rendue à essuyer nerveusement ses mains, plus moites que jamais, sur son jean rêche, elle ne sut que balbutier :
— Tu as... été dans un... sexshop ?
— Ouais, c'était plutôt exotique comme virée. J'ai d'mandé à Sisi d'm'accompagner, parce que j'flippais qu'on m'réclame mes papiers. En fait, les gars s'en foutaient. Ils m'ont vendu ça sans poser de question.
— Simone m'a aidée aussi, pour arranger ma reprise. Le comble, c'est qu'elle passe sûrement sa Saint-Valentin toute seule... Je culpabilise presque, de ne penser qu'à la façon dont je vais te retirer ton string.
— Presque ?
La blonde sexy ponctua sa question purement rhétorique d'un clin d’œil appuyé. Le déballage soudain de ses atouts ressemblait étrangement au début d'un porno. Marion en avait vus quelques uns, en secret, et avait même eu tendance à se figurer que la vie sexuelle trépidante de sa compagne devait y ressembler.
Elle quitta le lit et vint au-devant du mannequin qui posait, presque ingénu, au milieu de sa chambre. Laissant glisser ses mains sur les hanches courbées, elle approcha timidement son visage de l'épaule et sema un baiser dans le cou, juste au-dessus de la bretelle qui, déjà, s'échappait. En remontant, le bout du nez sans cesse surpris par la douceur de la peau soigneusement hydratée, la binoclarde rencontra les lèvres qui, sans attendre qu'elle s'y risquât, lui dérobèrent une embrassade déchaînée.
Pamela crevait la dalle. Elle ne se rappelait pas avoir déjà eu à ce point envie de quelqu'un. Sa bouche happait littéralement la figure de Marion, bien décidée à la dévorer sur place. Les mains sur ses fesses, elle la pressait au plus près d'elle. Contre elle. En elle, espérait-elle.
Par imitation, les paumes de son hôte glissèrent sur son cul, enrobant sa croupe jusqu'à l'élastique qui marquait, symboliquement seulement, l'infranchissable limite. Gagnée par l'appétit vorace de Pamela, Marion prenait toutefois le soin de déguster. Après d'interminables caresses, ses ongles courts délaissèrent le postérieur et ripèrent le long des cuisses, flirtant avec les sangles du porte-jarretelles. Elle n'y laissa ses empreintes que par effleurements, d'abord par appréhension puis, lorsqu'elle remarqua que sa partenaire la suppliait de tous ses muscles d'y aller plus fort, cette retenue devint volontaire, voire vicieuse.
Sans oser la brusquer, la Barbie en guêpière endurait moins la frustration qu'elle s'en délectait. Ses jambes se tordirent, comme elle tentait de contenir le flux de luxure qui s'écoulait sans fin. Jamais de sa vie elle n'avait mouillé comme ça. Jamais aucun désir lancinant ne lui avait filé l'impression d'être une nympho, une bête, une cannibale.
Son souffle se pétrifia. Enfin, les doigts de Marion cheminaient sous le maigre triangle qui lui couvrait la chatte. Le simple contact de ces extrémités froides lui tira un gémissement. Jamais elle n'avait... Les lèvres torrides de sa petite amie étouffèrent ses pensées. La main appuyée contre son pubis, la première de la classe la poussa contre le bureau. Ses ongles glissèrent dans la voie lustrée qui menaient à son sexe.
— Attends, tempéra la bimbo sans relâcher son emprise.
La binoclarde l'interrogea du regard. Tendrement, Pamela lui rendit son baiser et inversa le mouvement, la guidant à reculons jusqu'au matelas. Là, elle lui ravit les lunettes qu'elle déposa sagement sur la table de chevet.
— On s'ra plus à l'aise sur le lit, sourit-elle. Et surtout sans tout ce...
Les mots se muèrent en grondements, tandis qu'elle se débattait avec ses sous-vêtements. Marion l'arrêta. Elle la fit basculer, allongée entre les draps, puis lui ôta une à une, avec une extrême minutie, les pièces de son costume. Encore un coup à la faire languir...
Tout en se débarrassant à la hâte de ses propres vêtements, la novice scrutait la vulve maculée de la star échouée sur son lit.
— Je peux te lécher ? demanda-t-elle.
— Tu... oui, bafouilla Pamela, surprise (d'ordinaire, c'était à elle de réclamer pareilles gâteries). Mais tu risques de t'noyer. Te sens pas obligée, si t'aimes pas...
— Ça ne me gêne pas.
Joignant le geste à la parole, Marion plongea dans l'entrejambe de la belle et lança sa langue à l'assaut de son con. La maladresse baigna les premières secondes. D'abord, le frôlement presque imperceptible engagea Pamela à exposer un drôle de cours d'anatomie. Soudain redressée, elle écarta ses lèvres pour indiquer à son amante la position précise du clito embusqué. Bonne élève, Marion en prit note et, au coup de langue suivant, c'est transie de spasmes que Pamela l'implorait de freiner ses ardeurs. Flattée par les papilles qui se dévouaient entre ses cuisses, la belle blonde retenait le rire béat qui lui cognait aux lèvres. Elle pouffait en sourdine de sa propre ignorance, effarée de découvrir qu'elle était capable de jouir sans nulle pénétration.
Le menton dégoulinant de Marion reparut face à elle. Sa mine satisfaite la rassura car, bien qu'incapable de deviner pourquoi, l'ancienne bombe du lycée sentit qu'elle n'était pas la seule à avoir pris du plaisir. Mieux, l'autre en redemandait. Sans lui laisser le temps de reprendre son souffle, les doigts agiles de l’accordéoniste revinrent à la charge. Cette fois, nul besoin de lui donner de leçon. Aussi cliché cela put-il paraître, la dextérité de Marion n'était pas à prouver. Pour sa part, la néophyte découvrait avec surprise la chaleur et la mollesse des chairs qui lui gobaient les phalanges sans résistance. Avant d'avoir eu le temps de compter, voilà qu'elle déployait presque l’entièreté d'une main dans le vagin, appelée toujours plus profondément par la membrane glissante, incroyablement douce. Les cris à peine contenus de Pamela l'encourageaient dans son va-et-vient intensif et, quoi qu'un vilain fourmillement lui gagnât l'avant-bras, la jeune femme préféra se complaire dans l'onction libidinale de ce bas-ventre surexcité.
Crispées l'une contre l'autre, les deux amantes esquissaient sans arrêt des tentatives affectueuses. Pamela stimulait du bout de sa longue manucure le cuir chevelu de sa partenaire puis, prise de court par l'orgasme, s'accrochait furieusement à ses seins. Marion, en retour, l'embrassait avec fougue. Dans sa lutte contre le tiraillement qui menaçait d'interrompre leurs ébats, elle s'arc-boutait pour noyer son museau dans la poitrine opulente, dont elle n'hésitait plus à mordre les tétons roidis.
Alors qu'elle manœuvrait pour nicher encore sa paume dans le sexe insatiable, son pouce s'englua dans les sécrétions denses et termina sa course contre l'alvéole farouche gardée par le sphincter. La bimbo de Saint-Anne s'était déjà fait prendre par derrière, Marion en avait la certitude. L'un de ses mecs avaient forcément prétendu s'être trompé de trou.
— Vas-y, si tu veux, murmura Pamela. J'ai rien contre.
À peine avait-elle consenti que la Barbie se dilata, accueillant avec ferveur le doigt solitaire dans son antre reculé. Ainsi logée dans les entrailles hospitalières de la beauté fatale, Marion se trouva plus à son aise pour la percuter, encore et encore, jusqu'à ce que l'autre s'accroche à elle à bout de souffle.
— Arrête...
La musicienne se retira en douceur, en prenant garde à ne rien déranger.
— Je m'y suis mal prise ? s'inquiéta-t-elle.
— Non, suffoqua Pamela. J'ai jamais... aussi longtemps... Putain, c'est quoi cette endurance ? J'avais jamais joui plus d'deux fois d'affilé...
— Tu as joui ? s'étonna sincèrement la novice.
— Mais oui, espèce d'idiote. Plein de fois.
Si l'euphorie de Pamela se teintait d'irritation, en cet instant, c'était par simple nervosité. Elle doutait à présent de pouvoir rendre à Marion le quart de l'extase que cette dernière lui avait prodigué.
— Je veux savoir ce que ça fait, l'encouragea l'intello.
Pamela déglutit. Pour elle aussi, tout cela ressemblait à s'y méprendre à une première fois. Face aux cheveux en bataille, aux lèvres pincées et aux petits seins fermes de sa bien-aimée, elle n'était capable que de la tendresse la plus pieuse.
— J'y vais doucement alors, chuchota-t-elle en glissant une main fébrile entre les jambes de la pucelle, étendue sans pudeur sur le flanc auprès d'elle.
Bien vite, Pamela découvrit avec le même enthousiasme la chaleur humide qui avait plus tôt subjugué sa compagne. Elle réalisa aussi que, pour l'heure, rien n'exigeait qu'elle égalât les prouesses de Marion, et qu'il valait mieux même ne pas s'y acharner. Car cette dernière n'avait ni sa sauvagerie, ni sa voracité. Deux doigts suffisaient à la faire vibrer. En lui extorquant le plus adorable des gémissement, Pamela fut saisie par l'envie d'entreprendre avec elle mille expériences obscènes. Mais elle n'en tenta rien, déjà comblée par la frimousse épanouie que lui offrait alors son improbable âme sœur.
Les premières lueurs de l'aube dormaient encore quand la frénésie invraisemblable d'un de ses rêves lubriques tira Alix de ses songes. Puis c'est l'amer agacement qui la maintint éveillée : celui de n'avoir aucun visage dont coiffer ses fantasmes.
Mue par l'espoir candide que Gazoline aurait fait les frais de semblables rêveries, elle se traîna en baillant jusqu'à l'ordinateur. Sa correspondante ne risquait pas d'être matinale ; son dernier message remontait à tout juste quatre heures du matin. Heure à laquelle, sans doute, elle avait pris le chemin du sommeil. Elle y présentait ses excuses quant à son absence de la veille et son peu d'attention pour la Saint-Valentin. En compensation, elle lui avait enregistré une piste .mp3 jointe dans la foulée. Ainsi la journée s'amorça sur une reprise acoustique du Eat you alive de Limp Bizkit. Seule la guitare sèche soutenait la voix ferme de la chanteuse qui lui répétait, encore et encore, qu'elle la dévorerait vivante.
Quand bien même Alix savourait ses mots, et se réjouissait d'ailleurs de l'égard qui avait poussé l'autre à opter pour l'un de ses groupes préférés, il lui fallait reconnaître que ce choix de chanson était curieux, même pour Gazoline. Celle-ci avait pris le soin de travestir le « man » de la chanson en « woman », mais n'avait pas jugé nécessaire de modifier les surnoms de sa dulcinée. Alix connaissait pourtant le putain de nom d'Hélène ; elle ne se pensait ni trop bien pour elle, ni capable de détourner le regard le jour où elle la croiserait. Alors pourquoi lui chantait-elle son désir carnassier de faire sienne une amante qui la méprisait ? De quel mépris Alix s'était-elle rendue coupable ?
Elle eut beau y réfléchir toute la journée en enduisant de nouveaux murs de sous-couche, ses erreurs lui demeuraient un mystère. Le soir même, elle posa donc directement la question à l'intéressée, qui prétendit niaisement :
— Je n'ai pas fait attention à ça. Je voulais juste laisser parler mon côté animal.
— En me rappelant que je me comporte comme une garce prétentieuse ?
— Vois ça comme un avertissement. Si tu veux vraiment être avec moi, m'ignorer ne sera pas une option. Jamais. Ni devant les inconnus dans la rue, ni devant tes amis, ni devant ta famille.
— Je sais tout ça, Gaz. Et toi, tu sais tout de moi. Je suis une petite garce, oui, et je regrette souvent d'agir comme telle. Mais je veux m'améliorer. Je veux être moi-même. Je veux être fière de me tenir à tes côtés. Crois-moi. Jamais ne te t'ignorerais.
— Tu m'en fais la promesse, Phoque ?
— C'est promis. Tu n'as qu'à me dire quand tu veux venir.
— Bientôt.
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