Le destin
Les vitres vibraient, la couette volait et les rideaux dansaient comme s'ils étaient vivants. Une aura bleutée entourait la silouhette imposante du mage légèrement en lévitation au dessus du vieux parquet. Ses cheveux d'un brun sombre étaient dressés sur son crâne et ses yeux noirs brillaient d'une lueur inquiétante. À ses pieds, l'elfe était toujours prisonnier, spectateur de son exécution imminente. Il suppliait, pleurait, tentant en vain de s'extraire des liens qui le maintenaient fermement au sol. La magie saturait l'air et l'assassin Kiro ferma les yeux, résigné. Il y eut une puissante onde de choc et les étaux magiques libérèrent ses poignets. Sans tenter de comprendre ce qu'il se passait, l'elfe se remit sur pied et se pressa vers la fenêtre grande ouverte. Dans sa course il trébucha sur un objet et s'étala lourdement.
La pièce était de nouveau plongée dans la pénombre nocturne et toutes traces de magie avaient déserté les lieux. L'humain gisait inconscient. Il respirait par saccades, comme prisonnier d'un cauchemar et une flaque noire se formait sous sa main. L'elfe ne chercha pas à comprendre et il profita de ce moment de repis pour identifier la raison de sa chute : une étrange balle de métal, couverte de sang.
Impossible, pensa l'elfe.
Il oublia l'urgence de la situation et s'empara de l'objet d'une main timide afin de mieux l'observer.
Les douze faces pentagonales formaient un solide parfait et sur la surface souillée d'hemoglobine, il reconnut les Runes de son peuple. Celles-ci étaient gravées avec style sur l'entièreté de l'objet. L'elfe examina chacune des inscriptions et se rendit à l'évidence. Cet humain avait en sa possession le Tout, le Dodécaèdre de la Quintessence, l'artefact le plus puissant jamais créé. Les questions envahirent son esprit encore sonné et l'empêchèrent de réfléchir correctement.
« Si je rentre avec ça, je suis nommé à la Cour illico. Mais si je le fais, je suis sûr que l'humain va me poursuivre pour le récupérer... Le temps que j'atteigne le Glacier aux mille larmes, il m'aura déjà rattrapé et qui sait ce dont il est capable... »
L'elfe frisonna à l'idée d'être torturé par un mage humain et il eut un haut le coeur en s'imaginant dépecé par des Runes sanguinaires. Plongé dans ses scénarii macabres, il ne faisait plus attention à son ennemi, qui avait doucement reprit conscience.
***
Warren Hymet ouvrit des yeux embués de magie. Encore une fois il avait échoué à dompter les Runes. Ses souvenirs s'entremêlaient mais une chose était sûre, il se trouvait à même le sol, dans une pièce sommaire. Son corps tout engourdi, il réussit difficilement à tourner la tête et constata qu'il avait de la compagnie. Ami, ennemi, il n'aurait su le dire. La plaie de sa main le faisait atrocement souffrir et les élancements de douleur remontaient le long de son bras jusqu'au cou. Soudain, il réalisa que l'objet avait disparu. Pris de panique, il se releva d'un bond. L'elfe ne s'attendait visiblement pas à ce qu'il reprenne vie car il poussa un cri strident, les yeux écarquillés d'effroi.
« Où est-il ? Où est l'artefact ? Réponds ! »
Sa voix rauque lui rapait la gorge et il s'empara des épaules de l'inconnu.
« Mais parle, bon sang ! »
Il secouait le Kiro de toutes ses forces restantes.
« Je ne sais pas de quoi vous parlez enfin ! Lâchez-moi !
- Tu mens ! Rends-le moi ! Où est-il ?? »
Il remarqua enfin l'objet dans la main de son interlocuteur et lui arracha d'un geste. D'une caresse possessive il dessina les lignes de Runes en murmurant dans sa barbe.
« Ecoute, elfe. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé entre nous, ni ce que tu fais dans ma chambre, ni pourquoi j'ai utilisé la magie. En revanche, je sais reconnaitre un assassin Kiro quand j'en vois un. Parle. »
La confusion se lut dans le regard de l'elfe. Il reprit aussitôt contenance dans une toux nerveuse.
« Mon nom est Hazu. Je suis effectivement un Kiro mais je ne suis pas un assassin... Tout du moins pas encore. Cette nuit était mon examen final. La mission était simple : infiltration, assassinat, exfiltration. Sauf que je me suis trompé de chambre. Je vous ai pris pour cible par erreur. Lorsque ma lame a touché votre gorge, vous m'avez attaqué.
- Je me suis défendu, tu veux dire.
- Oui... Défendu... Bref, peu importe. Vous avez utilisé la magie pour me bloquer au sol et vous alliez me tuer. Puis, vous vous êtes effondré, inconscient. »
L'elfe fit une pause dans son récit, regardant discrètement en direction de la fenêtre.
« Et cela justifie-t-il que tu me voles ce que j'ai de plus précieux ? »
Warren rafermit sa prise, prêt à disloquer les épaules du Kiro.
« Non, non, non ! repondit celui-ci, pris de panique. J'ai voulu m'enfuir, mais j'ai... glissé dessus.
- Glissé dessus ? Tu te moques de moi !
- Loin de moi cette idée mais c'est vraiment ce qu'il s'est passé ! J'ai couru et j'ai accidentellement marché sur le Tout. J'ai même failli m'ouvrir le crâne ! Regardez, j'ai une bosse grosse comme un oeuf de Dyop !
- Le Tout ? le coupa Warren, soudain interressé.
- Oui, le Tout, le Dodécaèdre de la Quintescence si vous préférez, l'ultime artefact elfique jamais forgé que vous avez étrangement en votre possession. »
L'elfe lui lança un regard réprobateur avant de se couvrir la bouche, conscient d'en avoir trop dit.
« Voilà qui est très heureux ! Hazu, je crois que l'on va bien s'entendre tous les deux, ricana Warren, le regard malicieux. Tu as les informations, j'ai l'objet. Tu vas venir avec moi, nous allons au Glacier aux mille larmes.
- Et si je refuse ?
- Eh bien, je te coupe une jambe. »
L'elfe déglutit bruyamment et Warren éclata d'un rire franc.
« Aller, ne tire pas cette tête, voyons ! Dans mon immense bonté je vais quand même te laisser un choix.
- Ah oui ? Quel grand seigneur vous êtes... ironisa Hazu
- Tu viens avec moi en tant que prisonnier ou en tant que serviteur, à toi de choisir. »
Le Kiro grinça des dents, blessé dans sa fierté et s'appreta à répondre par une pique acerbe, mais se ravisa.
« Très bien, mais si je viens avec toi, j'aimerai savoir ton nom.
- Appelle-moi Maître, ce sera amplement suffisant. »
Hazu serra furieusement les poings, agacé par l'arrogance de cet humain détestable. Si seulement il avait su utiliser les Runes, il aurait déjà cloué le bec à cet énergumène.
« Aller, Hazu, sois mon serviteur et si ça ne te plait pas, dis-toi que c'est le destin.
- Destin mes fesses, ouais, marmona l'interessé. »
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