Le Temple des Etoiles Rouges
Trempés mais saufs, les deux aventuriers de fortune firent une pause à l’ombre d’un saule. Ils savaient que le Temples des Etoiles Rouges se trouvait à quelques heures de marche. Après tant d’adrénaline, il leur fallait reprendre leur souffle. La journée touchait à sa fin et ils dressèrent un camp pour la nuit. D’un commun accord, ils alternèrent les tours de garde jusqu’au petit matin.
Aux lueurs de l’aube, l’imposante Canine Sanglante surplombait la forêt, menaçante et éternelle, rendue écarlate par les rayons timides du soleil. L’elfe et l’homme, impatients de se remettre en route, enfilèrent leur matériel et suivirent le sentier de roche en pente douce. Peu à peu, le chemin caillouteux se transforma en route dallée de pierres lisses et glissante. Hazu remarqua avec étonnement que les dalles semblaient moins usées au centre de la voie, comme si personne ne les avait foulées depuis leur installation.
« Regarde, le chemin des Morts, déclara-t-il à son acolyte, l’index en direction des pierres centrales.
- Le chemin des quoi ?
- Des Morts ! Enfin je crois… Dans l’ancien temps, les visiteurs d’un lieu de culte marchaient sur la gauche du sentier, et ceux qui retournaient à leur quotidien après leurs prières, empruntaient le côté opposé, leur gauche aussi du coup. Tant est si bien que le centre du chemin fut appelé le chemin des Morts, car ce serait là que les esprits marcheraient pour un ultime voyage, avant de se dissoudre en particule d’énergie et réintégrer l’Eternelle.
- Hmm, grommela Warren, indifférent. »
Hazu leva les yeux au ciel et un sourire taquin aux lèvres poussa son ami. Celui-ci perdit l’équilibre et dévia sa marche plus au centre du chemin. Avant que l’homme ne réplique une remarque bien sentie, l’elfe haussa les épaules :
« Il parait que n’importe quel vivant marchant sur le chemin des Morts, serait puni à un exil de cent ans dans le monde des esprits ! Au lieu de me faire la sourde oreille, écoute mes histoires de temps en temps, Maître, ça pourrait un jour te sauver la vie ! Rustre… ponctua-t-il sa tirade. »
Le mercenaire regarda le chemin d’un regard nouveau, et prit soin de ne pas fouler les pierres centrales. Au loin, une arche de bois rouge indiquait l’entrée du temple. Autour d’eux, des libellules grosses comme leur main, zigzaguaient dans l’air comme des éclairs colorés. Un oiseau goba l’une d’elles de son bec biscornu, avant de s’envoler. Ses ailes carmin voilèrent le ciel quelques instants et les deux aventuriers restèrent interdits devant tant de majesté.
Par-delà l’arche de bois sculpté, le temple ne payait pas de mine, solitaire et minuscule, posé sur un îlot lacustre. Des lotus en fleur recouvrait l’intégralité du lac. Une tortue venait parfois briser le calme de l’eau et Warren aperçu quelques poissons blanc et orange sauter en arc de cercle parfait, avant de replonger parmi les fleurs. Un pont de bois reliait le chemin et le temple, et tout comme les pierres du sentier, les lattes centrales semblaient presque neuves. Warren s’engagea sur le pont.
« Hey ! Warren, vient voir ça !
- Quoi, en-co-re ? s’exclama le mercenaire d’une voix exaspérée «
Son compagnon s’adonnait au tourisme et folâtrait sur les berges du lac. En quelques pas, Warren fut à ses côtés.
« On dirait toi ! »
L’elfe pointait du doigt un crapaud, dont le corps plat contrastait avec ses yeux globuleux. Il fut pris d’une hilarité extrême et mimait l’animal de façon grotesque. Les larmes aux yeux, il se tenait le ventre pour se contrôler, tant sa blague l’amusait. Soudain, le crapaud ouvrit la gueule et cracha un mucus violet en direction du bruyant énergumène qui venait le déranger. Warren qui jusque-là était resté silencieux, ricana et donna une bourrade à son ami :
« Effectivement, on dirait moi, mais moi au moins, quand je crache mon venin contre toi, je fais pas de trou dans ta chaussure ! »
La salive de l’amphibien fumait encore sur le cuir de la botte de l’elfe, qui s’empressa de l’enlever et de la rincer dans l’eau. Warren retourna sur le chemin de pierre quand son regard fut attiré par le bois sculpté de l’arche rouge. Il n’avait pas fait attention en entrant dans le domaine que parmi les gravures florales, des noms avaient été taillés, sans doute au couteau. Son pouce traça quelques-unes des lettres et des échardes se plantèrent dans sa chair. Etrange. Pourquoi défigurer ces belles sculptures ? Certains noms dévoilaient un bois clair, encore non terni par le temps, d’autres presque illisibles tant les années les avaient érodés. Hazu l’appelait au loin, et l’aventurier retourna auprès de son ami, non sans avoir scruté les alentours, ses sens en alerte.
Une fois le pont traversé, les deux hommes se figèrent, le vent se tut et tout paru immobile, comme gelé dans l’instant. Une femme leur tournait le dos, le visage vers le ciel, au centre de la petite cour de gravier. Son kimono sombre lui habillait le corps jusqu’aux cuisses et révélait des jambes puissantes dont les chevilles se cachaient dans des chaussettes de laine assortie. L’inconnue se retourna, un soleil dans le dos. Sa silhouette se découpait dans les rayons comme une déesse des temps anciens. Autour d’une de ces cuisses à la peau étrangement épargnée par le soleil, un ingénieux tissage maintenait une petite dague. Des écailles de bois laqué noir maintenues par des lacets rouge sang formait une armure qui lui couvrait l’estomac, la poitrine et l’épaule droite. Sur la gauche reposait une immense épée, presque aussi large qu’elle.
Une fois l’éblouissement passé, les deux visiteurs observèrent avec appréhension la guerrière s’approcher d’eux. Sa longue chevelure noire retenue par un nœud de soie bordeaux volait derrière elle malgré l’absence de vent. Lorsqu’elle fut assez proche, elle dévoila un visage de porcelaine, aux yeux en amande aussi noir que ceux d’Hazu, sa bouche et sa mâchoire cachées sous un masque. Deux imposants crocs ornaient une gueule démoniaque tel des défenses de sanglier couverts de sang séché là où le fantasme aurait imaginé des lèvres charnues et sensuelles.
« Voyageurs, entrez donc, et soyez les bienvenus. »
Sa voix mélodieuse, grave et chaude comme un thé, envoûta les deux hommes auparavant méfiants.
Guidés par ces hanches rondes et cette taille marquée d’une tresse de corde écarlate, Warren et Hazu découvraient le temple d’un œil désintéressé. Des milliers de lanternes peuplaient les coursives latérales. D’or, d’argent ou de simple bronze, une lumière rouge pulsait dans chacune d’elles, comme autant de cœurs prisonniers. La maîtresse des lieux les entraina à travers la cour secondaire, elle aussi décorée d’une multitude de lanternes de pierre. La mousse recouvrait les plus anciennes dont la lumière faible s’éteignait par moment, d’autres brillaient de mille feux, fraîchement sculptées de décoration uniques et singulières.
La femme ôta ses sandales de bois avant de grimper sur la terrasse du temple. Aussitôt, des serviteurs vinrent lui chausser les pieds de délicats souliers de soie vermeil. Lorsque Hazu et Warren firent de même, le bois du parquet siffla comme un oiseau. Leurs pieds furent eux aussi habillés de soie. Puis, la guerrière se remit en marche. Aucun de ses pas ne faisait de bruit, comme si elle ne touchait pas le sol dans sa démarche féline. Le chant du parquet résonnait dans le silence à chaque foulés des deux visiteurs. Face à leur étonnement, elle haussa les sourcils et déclara :
« Du parquet chantant, une ancienne pratique pour détecter les intrus. ».
Sans poser plus de question, les deux hommes pénétrèrent dans la salle principale. Trois serviteurs déjà affairés à la préparation de rafraîchissements, s’effacèrent à l’approche de leur maîtresse, tête baissée, échine courbée à s’en rompre les vertèbres.
« Dame Yokūbo » dirent-ils en cœur, avant de se retirer à reculons.
La dame fit s’assoir ses deux invités en face d’elle et de ses mains graciles leur servit une tasse de thé. Puis, elle ôta son armure qui tomba sur le sol de tatamis dans un bruit étouffé. Son kimono s’entrouvrit sur une poitrine généreuse que les deux hommes eurent du mal à ne pas regarder. Leur malaise les empêchait de parler et ils restèrent ainsi en silence, à boire leur tasse fumante.
« Je m’appelle Yokūbo et je suis l’Ancienne en charge de garder le Temple des Etoiles Rouges. Comment êtes-vous arrivé jusqu’ici, voyageurs ? »
Warren, la langue soudain déliée par cette voix suave, expliqua le rêve, la forêt, les Runes Labyrinthe, le Mariok et le Palgus. Au cours de son récit, sa gorge se faisait sèche et il dut boire du thé à plusieurs reprise, thé que leur hôte s’empressait de lui servir, un sourire charmeur aux lèvres. Hazu, quant à lui, ne pouvait détacher ses yeux des jambes charnues de la femme. Pris d’un rêve éveillé, il s’imaginait planter ses doigts dans cette peau laiteuse, attraper à pleine main ce corps si sensuel. Au diable Warren, au diable l’aventure, il avait trouvé sa raison de vivre.
Son compagnon continuait son récit et, contre toute prudence, mentionna le Tout. Le nom de l’artefact flotta dans l’air, une bulle de savon échappée par inadvertance. Warren, les yeux globuleux comme son acolyte le crapaud, regarda leur hôtesse soudain intéressée d’en savoir plus. Le visage de l’homme traduisait le conflit intérieur qui l’animait : rester sur ses gardes ou profiter de cette délicieuse compagnie ? La guerrière s’immisça alors dans l’espace entre les deux hommes et son parfum sucré embauma l’air et grisa leurs sens. Hazu à sa gauche et Warren à sa droite, elle se pencha à l’oreille du mercenaire et lui murmura quelque chose. Puis, elle se mit à quatre pattes pour susurrer d’autres secrets dans l’oreille opposée, son corps souple frôlait le torse de l’homme déjà séduit. Hazu regarda avec envie le kimono remonter sur des fesses rondes comme la lune, à peine surpris d’entrevoir le fruit de sa convoitise, mouillé et offert, si proche de son visage. Il secoua la tête pour reprendre ses esprits, et de ce mouvement soudain renversa son thé sur la cheville délicate de Yokūbo. D’un cri strident et monstrueux, la gardienne se retourna d’un bond et la tasse de Warren roula sur les tatamis. Furieuse, l’Ancienne laissa échapper une injure en vieux elfique avant de reprendre son visage doux et séducteur.
« Ne vous inquiétez pas, ce n’est que du thé ! Restez cette nuit, et autant de nuit que vous le souhaitez ! »
La première nuit, elle rendit visite à Warren et toutes les lanternes s’allumèrent de carmin au rythme de ses cris d’extase. La deuxième nuit, ce fut Hazu. Pour la troisième, la succube les invita tous les deux et leur passion dura jusqu’au petit matin. La nuit suivante, l’ensemble de ses serviteurs, hommes et femmes confondus, rejoignirent le cortège pour des heures de luxure à en faire rougir le ciel.
Ainsi les jours passèrent et les deux hommes ne montraient plus aucune intention de poursuivre leur mission. Au bout d’une semaine, Warren et Hazu confièrent le Tout à Yokūbo pour qu’elle le mette en lieu sûr. Ni l’un, ni l’autre ne se rappelaient pourquoi l’artefact était en leur possession, ni même ce qu’ils devaient en faire. Les nuits étaient longues au Temple des Etoiles Rouges, ainsi leurs journées consistaient à dormir et reprendre des forces pour leurs aventures charnelles du soir. Le thé si délicieux éveillait toujours autant leur sens et leur virilité, même après un mois. Pendant cette période de plaisirs tous plus excitants les uns que les autres, jamais leur belle n’avait ôté le masque devant eux. Dans le noir de leur nuits blanches, ils voyaient la silhouette de son visage nu avant que sa bouche chaude ne vienne les dévorer avec délice. Alors, ils n’étaient que sensations et perdus dans ce tourbillon enflammé, masque ou pas, elle décidait de leur sort à coup de langue.
Un soir, alors que le ciel sombre et dépourvu d’étoiles recouvrait le temple comme un linceul, elle ne put les rejoindre. Hazu et Warren peuplèrent leur nuit de caresses sur leurs corps qui n’avaient désormais plus aucun secret l’un pour l’autre. Un des serviteurs au visage tatoué de rune les rejoignit au détour d’une de ses rondes nocturnes. Les trois hommes brûlèrent leurs désirs dans des râles graves et sonores. Après cette nuit, le serviteur s’échappa régulièrement de ses devoirs pour venir satisfaire leurs envies et pulsions, quand la maîtresse des lieux vaquait à ses occupations.
Puis, l’homme cessa de venir. Après quelques jours, il disparut du temple et les deux hommes ne le revirent plus jamais. A un détour d’une promenade dans la cour aux lanternes, Hazu remarqua une lanterne fraîchement sculptée. Le motif familier le perturba pour le reste de la matinée sans qu’il ne puisse en percer le secret. Yokūbo passait plus de temps avec Warren, dont elle appréciait la virilité sauvage. Seul dans sa couche, l’elfe continuait de penser à cette lanterne quand le tatouage de son amant lui revint en mémoire. Il sortit de sa chambre, sauta sur les lattes de parquet avec agilité pour ne pas faire chanter le bois et retourna auprès de cette lumière rouge si vive dans cette nuit si triste. Il n’avait jamais su le nom de cet homme mais les lettres gravées à la base de la lanterne lui parurent comme une évidence. Dans un élan de folie, il passa la main dans la lanterne et se saisit de la lumière. La chaleur pulsait dans sa main et il ressentit l’amour de son amant. Il ouvrit sa paume vers le ciel et l’éclat s’échappa en rubans rouge avant de disparaître à jamais. Conscient que son geste ne passerait pas inaperçu, Hazu retourna dans sa chambre et tenta en vain de dormir, bercé par les orgasmes répétés de leur geôlière.
Le lendemain matin, le premier soleil à peine levé, L’elfe s’éclipsa de ses quartiers pour rejoindre le hall des serviteurs. Discret comme une araignée, il observa longuement les allés venus de ses pairs : du lac, ils puisaient de l’eau claire dans d’immense jarres qu’ils déposaient avec diligence dans le jardin privé de leur maîtresse. L’assassin Kiro subtilisa une jarre et l’amena en cuisine afin de préparer lui-même le thé pour son hôte et son ami, encore endormis dans la chambre de ce dernier. Les serviteurs n'y virent aucun inconvénient.
Agenouillé devant la paroi de papier, il signala sa présence à ses deux amants. Il attendit quelques secondes et décida d’ouvrir le panneau coulissant. Yokūbo repositionnait son masque, ses yeux d’encre comme des abysses mortels le toisèrent avec indifférence. Sa chevelure ne cachait rien de sa nudité quand elle se leva pour quitter la pièce dans son plus simple appareil. Hazu garda la tête baissée quand elle passa à sa hauteur et chuchota :
« Laissez-moi vous combler ce soir, ma dame, vos chairs me manquent et ma soif ne peut disparaître que sous la fontaine de votre plaisir.
- Très bien, elfe, mais amène ton humain car ses doigts sont aussi divins que sa queue. »
Elle ondula des hanches et se retira dans ses quartiers, sa peau blanche baignée par les rayons du deuxième soleil levant. Hazu, respira une grande goulée d’air et pénétra la salle encore désorganisée. Il réveilla Warren d’une secousse et lui intima de se taire d’un doigt sur les lèvres. Dans un murmure audible par son compagnon et lui seul, il lui dit :
« Boit ce thé, on nous observe. »
Les deux hommes finirent leur tasse et une serviteuse vint les débarrassées à peine le thé avalé. Puis, elle revint avec une nouvelle théière et la déposa sur la table basse avant de rejoindre ses pairs. Warren s’empara d’une seconde tasse et Hazu lui sauta au cou. La boisson gicla hors de son contenant et brûla la peau couverte de cicatrices de l’aventurier. Son compagnon étouffa son cri de douleur d’un baiser aussi passionné que soudain. Leurs regards se croisèrent et Warren joua le jeu. Les mains sur la croupe de son ami, il le souleva sans effort et le plaqua contre une poutre.
« Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? lui chuchota-t-il à l’oreille.
- On fait comme si de rien n’était, comme si nous avions bu ce thé maudit, répondit Hazu d’une voix échauffée par le désir.
- Tu es sûr ? gronda Warren, son torse plaqué contre celui de l’elfe.
- Oui. »
Ils firent l’amour comme jamais ils ne l’avaient fait, en pleine possession de leurs moyens, sans aucun sortilège pour guider leurs envies. Quand Hazu jouit pour la première fois, il prononça des mots en elfiques que Warren n’avait jamais entendus mais dont il devina sans peine la signification. Moi aussi, Hazu, moi aussi.
Le soir vint et leur gorge douloureuse comme du papier de verre, ils rejoignirent Yokūbo dans ses quartiers. La migraine leur vrillait les tempes mais leur visage n’en laissait rien paraître. Ils s’adonnèrent aux désirs de leur géôlière, pourtant, chaque coup de langue, chaque coup de rein, n’était que supplice. Une odeur de mort remplaçait le parfum sucré de son intimité et sa bouche autrefois si douce et chaude, devenait dangereuse sur leur virilité. La gardienne sombra enfin dans l’inconscience et les deux hommes restèrent immobiles dans l’obscurité. Ils rassemblèrent leurs habits et fouillèrent la chambre à la recherche de leur artefact dont ils se souvenaient désormais.
« Mais où l’a-t-elle mis, cette démone ? » souffla Warren, au bord de la nausée.
« Le masque ! » s’écria Hazu, un peu trop fort dans ce silence pesant.
A tâtons, ils cherchèrent le masque dans ce noir d’encre. Terrifiés à l’idée de toucher le corps de leur séquestratrice, ils prenaient leur temps, usaient des précieuses minutes de répit que la nuit leur offrait. Enfin, Warren trouva le masque, la main si proche de la bouche de Yokūbo qu’il en percevait l’haleine humide sur sa peau. Il réprima un frisson à l’image de la gueule d’un Palgus sur le joli visage de l’Ancienne. A l’arrière du masque, logé dans le creux d’une défense de sanglier, le Tout. Warren l’extirpa avec difficulté.
Pendant ce temps, Hazu avait disparu dans une salle adjacente, restée jusque-là inexplorée. Il revint haletant et saisit son ami par le bras. Il fallait partir, maintenant ! En silence, les deux fugitifs sortirent dans le froid de la nuit, leurs habits encore dans les bras. Leur équipement se trouvait dans l’aile des serviteurs, mais le temps leur était compté. Le parquet chantant resta silencieux sous leurs bonds experts et avant que l’aube ne coupe court à leur échappée, une servante les attendait avec leurs affaires et un sac de provisions. Ils reconnurent la femme du thé matinal et d’un hochement de tête respectueux, s’emparèrent de leurs armes et habits de voyage qu’ils enfilèrent en hâte.
Les lueurs de l’aube teintaient le ciel d’un rouge menaçant. Warren et Hazu traversèrent la cour aux lanternes, passèrent le premier portique et cavalèrent sur le gravier glissant de la cour principale. L’arche rouge les narguait, si proche et pourtant inatteignable. Plus leurs jambes s’épuisaient, plus la porte semblait aspirée loin d’eux, l’espace qui les séparait distordu, étiré à l’infini.
« Le chemin des Morts ! » s’écria Hazu, soudain transpercé d’un éclair de lucidité.
En effet, leur course les avait menés sur les pierres centrales du chemin et déjà leurs chevilles perdaient de leur substance. L’elfe sauta hors des dalles sacrées et son corps cessa d’être translucide. Warren tenta d’en faire de même, mais la terreur de voir son enveloppe corporelle s’évaporer le cloua sur place, tétanisé. Un raclement de métal ponctua la panique des deux fugitifs. Yokūbo, nue, les cheveux fous, apparue nimbée du rouge de l’aube. Sa bouche gigantesque s’ouvrit comme un vortex de dents en lame de rasoir et une longue langue visqueuse et putride claqua l’air comme un fouet. L’épée démesurée de l’Ancienne traînait sur le gravier.
« Fuis, imbécile ! Sauve-toi ! »
Warren entaillait déjà sa paume. Hazu hésita une seconde et reprit sa course. Derrière lui, la lumière du Tout remplaça le soleil levant et dans un cri de rage, son ami usa des Runes de sang. Une onde de choc fit tomber Hazu à terre, projeté avec violence contre le gravier. Il osa regarder en arrière et vit avec horreur, les corps inertes de Warren et Yokūbo, l’arme de l’Ancienne plantée dans une lanterne de pierre dont s’échappait des rubans lumineux familiers. L’elfe ravala ses larmes. Il se leva et courut de toutes ses forces jusqu’à la sortie. Ses pensées n’avaient de cesse de lui envoyer l’image du corps sans vie de son compagnon.
Annotations
Versions