Loin de Tous

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J’avais besoin de faire une pause.

Je me suis glissé à travers ma porte dans un mouvement fluide. Depuis le temps que j’étais là, je connaissais la place de chaque chose, chaque objet et je pouvais traverser le couloir sans rien percuter. Je suis rentré dans la salle de pause en poussant un soupir las. Je n’avais pas vraiment faim, ni envie de discuter avec des gens. J’avais juste envie de rentrer chez moi.

Au milieu de la salle de pause, les jambes repliées dans une position du lotus qu’elle seule pouvait tenir, Mia jouait avec des céréales. Les noisettes du muesli flottaient paisiblement devant elle, et elle tentait de les rattraper sans utiliser ses mains. Ce jeu semblait beaucoup l’amuser et elle n’a remarqué ma présence qu’assez tard.

-Ni hao !

-Salut Mia.

Mon ton sombre l’a immédiatement interpelée. Elle a cessé ses enfantillages, et s’est tournée vers moi.

-Ça ne va pas ?

-Ne laisse pas le muesli flotter partout, ça va encore surcharger le filtre à air.

Son visage s’est fendu d’une moue boudeuse et, d’un coup d’épaule habile, elle a gobé toutes les céréales en une bouchée.

-Tu sais que c’est dégoutant de manger tout ce qui flotte ?

Elle a lâché un petit rire amusé.

-Ce n’est pas « tout ce qui flotte », c’est mon muesli.

J’ai soupiré. Je ne pourrais pas raisonner avec elle, et je le savais. J’ai ouvert un placard à la recherche de quelque chose qui me ferait envie. Croque-Monsieur, Hachis Parmentier, Risotto, Poulet Basquaise... J’adorais tous ces plats en tant normal. Mais une fois qu’ils sont lyophilisés, ils perdent tout leur goût. Surtout quand on ne mange que ça depuis 3 mois.

J’ai refermé le placard sans rien prendre.

-Tu n’as pas répondu à ma question, a chantonné la voix fluette de Mia derrière moi, il y a quelque chose qui ne va pas ?

A quoi bon garder mon bluzz pour moi après tout.

- Il n’y a pas des moments où tu as envie de fuir ? Tu n’en as pas marre de tout ça ?

-Marre ? Marre de quoi ?

En me retournant, j’ai vu que ses yeux noirs brillaient plus fort que d’habitude. Elle était tellement heureuse d’être ici que c’en était presque beau à voir.

- Déjà de la bouffe pour commencer. Je donnerais un empire pour avoir une tranche de pain chaud, recouvert de beurre et de confiture.

Elle a soulevé un sourcil, perplexe.

-Si tu veux de la confiture et du pain il y en a dans le placa…

-Nan, l’ai-je interrompu en secouant la tête, tu ne comprends pas. Pas de la nourriture lyophile, vaguement réchauffée. Du vrai pain tout juste sortit du four, dont la croute croustille sous la dent. De la vraie confiture faite maison par ma grand-mère. De la vraie nourriture quoi.

Sa bouche s’est arrondie dans un « ho » de compréhension. Je voyais qu’elle cherchait quelque chose à dire pour me réconforter, mais elle ne trouvait pas. Ses mains trifouillaient le bas de son T-Shirt dans un geste nerveux.

On avait tous un peu le mal du pays, mais on essayait en général de ne pas trop en parler entre nous. Histoire de ne pas remuer des couteaux dans des plaies.

Je n’aurais jamais dû l’embêter avec mes problèmes.

-Désolé Mia, ai-je laché d’un ton maladroit, ce n’est pas à toi de…

-Gong Bao, a-t-elle murmuré dans un souffle.

-Pardon ?

Elle m’a regardé droit dans les yeux et a sourit faiblement.

-La nuit dernière, j’ai rêvé que je mangeais du Gong Bao. Exactement celui que me faisait mon père. J’avais le gout sur le bout de la langue. Juste là. Et puis je me suis réveillée.

Un silence pesant s’est installé entre nous. Son visage avait perdu toute l’espièglerie qui la définissait d’habitude. C’était étrange et très perturbant. Je n’avais qu’une envie, la prendre dans mes bras pour la réconforter.

-Tu sais ce que je fais quand ma famille me manque ?

Son ton était brutalement devenu enjoué et rieur. J’avais retrouvé la Mia de tous les jours.

-Suis moi !

Elle m’a emmené devant le hublot de la station. Celui qui donnait directement sur la Terre en dessous de nous.

-Je suis restée des heures à regarder la planète tourner, m’a-t-elle expliqué avec un ton de présentatrice de musée. Avec Dimitri on jouait à celui qui reconnaitrait le plus de pays. Ho regarde ! Il n’y a pas de nuages au-dessus de l’Australie ! Il doit faire beau là-bas !

-Personnellement l’idée de savoir que nous sommes au milieu du vide et si loin de toute ce qu’on connaît ne me réjouit pas autant que toi, ai-je grincé d’un ton cynique.

Ma phrase tranchante a semblé la blesser. C’était maladroit de ma part. Voir la Terre, les continents, les nuages, tout cela devait la rassurer, lui rappeler qu’on n’était pas seuls. Lui rappeler pourquoi on était là.

-Désolé.

Elle a haussé les épaules, faisait onduler ses longs cheveux bruns qui flottaient autour de sa tête.

-C’est tout ce que cela t’inspire ? Le vide intersidéral ?

-Oui, et que nous sommes aussi deux canards coincés dans une boite de conserve à plus de 400 km de hauteur !

Son rire franc m’a fait esquisser un sourire. Nous étions peut-être deux canards perdus, mais nous étions dans l’espace. Et ça, c’était le rêve de plus d’un million de gosses à travers le monde.

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