Chapitre 3 (repris)

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Kader fut accueilli en héros lors de son entrée « chez Ginette ». José avait déjà raconté à tout le monde leurs mésaventures à la Gendarmerie. En fait, les gendarmes, lors de leur ronde, l’avaient déposé non pas devant chez lui à Saint-Sixte, mais non loin du champ d’actinidias où ils travaillaient le matin. Il avait enfourché sa bonne vieille bleue et s’était naturellement dirigé vers Saint Jean de Thurac. Il avait trouvé le café en pleine ébullition suite à cette histoire de cadavre retrouvé sur les bords de la Garonne. Cette excitation était encore montée d’un cran quand il leur avait raconté que Kader avait été écroué. Certains revenaient de la chasse et, l’apéritif aidant, avaient même parlé d’aller le délivrer. Heureusement, Ginette avait réussi à calmer un peu les esprits. Ceci expliquait l’accueil triomphal qu’il reçut en rentrant dans le café.

— Une tournée à la santé de Kader ! cria José en le serrant dans ses bras. Ce lieutenant parisien est complètement loco ! Emprisonner Kader ! Et pourquoi pas Ginette aussi tant qu’on y est !

— Pourquoi moi ? dit Ginette, j’y étais pas, moi, sur les rives de la Garonne ! fit-elle, outrée des insinuations de José.

— Je sais, mais c’est histoire de dire comme il est cinglé ce gendarme, répondit José.

— Mais non, il a juste fait une erreur. Ça peut arriver à tout le monde, répondit Kader que José venait de lâcher et qui reprenait son souffle après cette étreinte.

— Alors qu’est-ce que je vous sers, Monsieur Kader ? lui demanda la patronne.

— Un thé s’il vous plaît, Ginette.

C’était vraiment la seule chose qui pouvait lui faire du bien. Il lui avait expliqué l’art de préparer le thé à la menthe, comme en Kabylie, lors de son aménagement au-dessus. Il lui avait appris à faire gonfler les feuilles du théier avec de l’eau bouillante, à jeter la première eau, combien de feuilles de menthe et de sucre mettre dans la théière, et la façon de mélanger le tout en versant plusieurs fois dans la tasse. Il lui avait même trouvé des verres adaptés venant d’Algérie sur un marché d’Agen. Depuis, chaque fois qu’il buvait cette boisson ici, il avait l’impression, durant quelques instants fugitifs, de se retrouver dans son beau pays. La sensation du liquide brûlant contre ses lèvres, sur sa langue, puis dans sa gorge. La fraîcheur de la menthe, ce goût indescriptible, et l’odeur en simultané. Un petit bout de Kabylie à Saint-Jean-de-Thurac, Lot et Garonne, France...

Il s’isola complètement dans ses pensées tout en savourant son breuvage. Il se demandait si le corps allait pouvoir être identifié. Sans cette étape, ça n’allait pas être simple d’élucider ce crime. Heureusement que les grands moyens semblaient avoir été mis en œuvre avec cette brigade spécialisée et les TIC.

En plus, cette jeune fille avait pu être jetée à l’eau des kilomètres en amont. Avec les conditions météo, pas moyen d'établir l'endroit précis. Puis, quelle importance ? Après tout, il n’était plus flic, juste un simple ouvrier agricole. Pourtant, il ressentait la même chose que lors de son activité dans la police criminelle d’Alger : le défi qui s’offrait à lui par un meurtre sans mobile apparent, avec un cadavre non identifiable à première vue et pas le moindre indice. Surtout, le plaisir de relever ce challenge et de trouver le coupable. Cette excitation d’avancer petit à petit dans la résolution de l’énigme, puis la conclusion avec l’arrestation du coupable… Il fut troublé dans ses réflexions par l’arrivée de Ginette qui tenait une lettre :

— C’est pour vous, Monsieur Kader, c’est arrivé ce matin pendant que vous étiez à la gendarmerie. Ça vient d’Algérie. Sans doute vos parents ?

— Merci Ginette, oui certainement, il ne me reste plus qu’eux là-bas.

Chaque fois qu’il avait ce genre de pensée, une tristesse infinie l’étreignait. Il ne reverrait plus jamais sa femme et ses fils, plus jamais… Il fallait qu’il chasse ces idées noires. Il ouvrit l’enveloppe en se servant d’une petite cuillère comme coupe-papier et déplia le papier. Il reconnut immédiatement l’écriture appliquée de son père, avec des pleins et des déliés. Celui-ci, sachant que son fils était en France, ne lui écrivait plus qu’en français, pas en tamazight et encore moins en arabe. « Ça me permet de ne pas perdre la main dans la langue de Molière », lui disait-il en se justifiant.

Mon cher fils,

Avec ta mère, nous espérons tous les deux que tu vas bien. Je n’arrive toujours pas à comprendre, comment toi, un homme érudit, tu te retrouves maintenant dans les champs avec des ouvriers. Tu mérites mieux que ça, mon fils. On dirait que tu cherches à te punir de quelque chose.

Il n’avait pas compris que Kader avait juste besoin de se vider la tête, de ne plus réfléchir, de ne plus penser. Les travaux agricoles le laissaient suffisamment fatigué le soir pour qu’il soit emporté par un sommeil de plomb, sans rêve.

Ta mère et moi nous allons bien et il n’a pas trop fait froid ces derniers temps. Les fleurs ont été assez nombreuses dans les oliviers. La récolte devrait être donc bonne cette année.

Son père aussi, avait définitivement mis de côté un pan de sa vie. Lui qui avait été un des membres fondateurs du FLN, il s'était éloigné de toute vie politique une dizaine d’années plus tôt et était désormais oléiculteur à plein temps à Akbou en Kabylie, chez lui, dans le berceau de la famille Benslimane. Il avait aussi pris la tête de la milice anti-GIA d’Akbou depuis 1996. Il n’allait pas permettre à ces fous saccager SA Kabylie !

Les mots sur lesquels son regard tomba ensuite le poussèrent à replier rageusement la lettre et à la ranger dans sa veste. Son père lui parlait encore de Liamine. Lui ! Kader n’avait plus de frère depuis que celui-ci avait décidé de rejoindre le GIA et de se faire le complice de ceux qui avaient assassiné lâchement les siens. Sans s’en rendre compte, il serrait les poings et les mâchoires. Son regard, devenu noir comme l’encre, fixait la table.

Il fut heureusement tiré de ces sombres pensées par trois anciens qui cherchaient un quatrième pour une belote. Se disant que ça lui occuperait l’esprit, il accepta et changea de table pour rejoindre ses partenaires de jeu.




Du côté de la gendarmerie, c’était l’effervescence. Le capitaine venait d’apprendre que sa brigade était officiellement chargée de l’enquête sur ce cadavre trouvé au bord de la Garonne. Après un faux départ, ça allait être l’occasion rêvée pour lui de se faire un nom dans la famille des gendarmes enquêteurs, et pourquoi pas d’en profiter pour rentrer sur Paris.

Il fallait qu’il rentre rapidement à Paris. Son épouse Ghislaine ne se faisait ni à la vie en caserne – pour des questions de praticité, il avait préféré ne pas chercher une maison et s’installer dans un logement de fonction, dans la caserne d’Agen – ni à la vie à la campagne. Agen, même étant une préfecture, pour une parisienne pur jus comme sa femme, c’était la cambrousse. Le cumul des deux la rendait déprimée. En réalité, ce que Ghislaine supportait de moins en moins, c’est que son capitaine de mari se comporte avec elle comme avec ses hommes. Toujours à lui intimer ce qu’elle devait faire, dire, porter comme vêtements….Bref, il voulait régner sur sa vie comme il entendait régner sur ses gendarmes. Il se rendait juste compte qu’elle était malheureuse, mais attribuait cette déprime au fait d’avoir quitté la région parisienne et aussi ses amies d’enfance. Il ne pensait pas en avoir la moindre part de responsabilité. C’était donc pourquoi la responsabilité de cette enquête tombait à point nommé pour Brice de Kermadec.

Il rassembla donc sa brigade dans la salle d’honneur de la caserne :

— Nous venons d’être officiellement chargés de cette enquête par le juge d’instruction Marceau, d’Agen. Je compte sur vous, sur nous tous, pour faire honneur à la gendarmerie et résoudre rapidement cette affaire. Nous y mettrons tous nos moyens disponibles et ce sera notre priorité numéro un jusqu’à nouvel ordre.

Le pauvre ne savait pas que le juge d’instruction avait choisi de saisir la gendarmerie plutôt que la police d’Agen, juste parce que sa femme était partie deux mois plus tôt avec l’adjoint du commissaire d’Agen. À quoi tiennent les choses… Il faut également ajouter que le cadavre avait été découvert en « zone gendarmerie », ce qui avait facilité l’attribution de l’affaire à la BRDIJ.

— Vous avez reçu les résultats de l’autopsie ? demanda Jeandreau.

— Non, adjudant, pas encore. Je pense que nous les aurons demain matin.

Il avait insisté lourdement sur le « adjudant ». Décidément, il ne supportait pas qu’on ne l’appelle pas par son titre. Ce n’était pas la peine d’avoir fait St-Cyr si personne n'utilisait son grade pour s'adresser à lui. Non mais alors ! Elle comprit bien le message :

— D’ici là, mon capitaine, on oriente nos recherches vers quoi ?

— Tâchez de trouver quelqu’un dans les environs qui a vu la victime !

— Mais on ne sait même pas qui c’est, mon capitaine ! s’exclama celui qui avait interrogé José.

— Enfin, Baglione, des jeunes filles noires, dans le coin, il n’y en a pas des centaines. Interrogez tout le monde, les commerçants, les médecins, les chauffeurs de cars, tout le monde ! Et particulièrement dans les communes en bordure de la Garonne.

— En amont du point où elle a été repêchée, notre secteur est un peu limité, mon capitaine, observa le lieutenant Jacquier, adjoint de Kermadec. Nous pourrions peut-être demander un coup de main à nos collègues de Valence d’Agen ?

— En dernier recours, Jacquier, seulement en dernier recours. Je ne veux pas qu’ils fourrent leur nez dans notre enquête. C’est à nous qu’elle a été confiée, s’enorgueillit-il en gonflant le torse, et c’est nous qui allons la mener. Bon, Jeandreau, vous prenez trois hommes et deux voitures, ensuite vous faites la rive sud, un rectangle entre le Tarn et Garonne, Caudecoste et Sauveterre. Vous, Jacquier, vous en prenez trois aussi et deux voitures puis vous faites la rive nord, un rectangle entre le Tarn et Garonne, Puymirol et Lafox. Moi, je resterais avec Baglione pour assurer la permanence et guetter l’arrivée éventuelle du compte-rendu d’autopsie. Rapport tous les soirs à dix-neuf heures. Naturellement, suppression de tous les congés, jusqu’à nouvel ordre !

Ça faisait une sacrée surface à couvrir, à huit gendarmes, surtout avec aussi peu de renseignements, pas loin de cent kilomètres carrés ! Sans aucun congé pour s’en remettre ! Dire qu’ils avaient été nombreux à être heureux de la découverte de ce cadavre, enfin, heureux, n’exagérons rien, mais un peu de changement dans la routine de la caserne leur semblait bien venue. Personne ne pensait que ça prendrait des proportions pareilles. Ils commençaient sérieusement à déchanter.

Bientôt on entendit un concert de portes en train de claquer dans la cour de la caserne, puis les quatre Clio bleu marine s’élancèrent à l’assaut de la campagne de la vallée de la Garonne, à la pêche aux informations.




Une fois la soirée belotte terminée, Kader avait regagné son meublé, avec un sérieux mal de crâne. Le café était assez mal ventilé et, comme toujours après une soirée belotte, un nuage de fumée occupait les cinquante premiers centimètres sous le plafond. Il fumait sans doute trop, lui aussi. C’était cependant le seul plaisir qu’il s’autorisait encore, même s’il savait que ce n’était pas bon pour la santé.

Il se posa sur son lit et commença à se déchausser quand un papier tomba de sa veste : la lettre de ses parents. Il se rappela qu’il ne l’avait pas lue en totalité et la déplia.

Il reprit la partie sur le fait qu’il ne comprenait pas ce que Kader pouvait bien faire dans les champs, le passage sur la future récolte d’olives, deux mots sur des amis d’enfance de Kader et puis arriva le point qui l’avait énervé : Liamine

Son père lui expliquait que son cadet était trop gentil pour devenir un islamiste. Il lui rappelait leur complicité – malgré leur écart de treize ans - quand ils étaient jeunes. Il se souvenait de leurs énigmes et comment son petit frère était doué, avait l’esprit vif. Enfin, il faisait noter à Kader qu’il était le chef de la milice anti-GIA d’Akbou et que lui, il savait reconnaitre ces fous de Dieu. Son plus jeune fils n’en était pas un ! Il en aurait mis sa main à couper !

Kader soupira, las. Toujours le même discours... Le seul point où il ne pourrait jamais être d’accord avec son père. Ancien flic, et qui plus est dans les Forces Spéciales de la police, il en avait vu des islamistes Quand on s’est radicalisé, on le reste ! Il le savait bien, lui l’ancien capitaine Benslimane que le seul moyen de quitter ces fanatiques c’est de se faire exploser ou d’être tué par les forces spéciales ou les milices comme celles de son père. Il n’y avait pas d’autre moyen de les quitter !

Un PS qu’il n’avait pas vu lors de la première lecture attira son attention :

PS : ton frère serait en France et chercherait à te retrouver.

C’était comme si tout son sang était descendu dans ses jambes. Lui ? Ici ? Il n’avait vraiment aucune décence ! Il s’imaginait que Kader allait lui ouvrir les bras ? Les poings serrés, il se dit qu’il allait lui faire payer ce qu’ils avaient fait à Raïssa, Slimane et Hacène. Puis brutalement, la colère qui l’avait envahi disparut. Il était épuisé. Pourquoi toute cette haine était-elle revenue ? Il pensait avoir tourné cette page définitivement. Visiblement il aurait encore du chemin avant d’être en paix avec tout ça…




Le quadrillage et l’enquête de voisinage lancés par de Kermadec n’ayant rien donné, les gendarmes allèrent voir tous les commerçants, tous les médecins - cinq au total -, firent la tournée de toutes les sociétés de transport. Rien ! Pas la moindre jeune fille noire aperçue dans la région. La seule femme de couleur qui avait été retrouvée par les gendarmes l’était uniquement par l’absorption d’une quantité abusive de vin de Cahors…Encore, elle était plutôt rouge, rouge foncé mais rouge quand même, pas noire. Bref, chou blanc !

Le rapport d’autopsie ne révéla par ailleurs rien de cette jeune fille et rien de plus que les observations réalisées sur place, en dehors d’un seul point : une marque étrange était imprimée sur son cou, comme si une chaîne avait été arrachée. Rien sous les ongles, pas le moindre grain de terre, si ce n’est un mélange de vase de la Garonne et du Tarn, et avec cette crue, on ne pourrait rien en tirer... La jeune fille, dont l’âge avait été estimé par le médecin légiste à dix-sept ans, souffrait de malnutrition. Un moulage de ses dents avait été envoyé à tous les dentistes de la région. C’était la seule possibilité d’identification restante.

Les gendarmes firent également le tour de tous les fournisseurs d’acide chlorhydrique dans le département. Cette recherche sur les produits chimiques leur prit plus de deux semaines, sans aucun succès non plus.




Pendant ce temps, l’activité avait repris dans les champs d’actinidia et autres fruitiers. La dernière taille d’hiver arrivait à son terme. Petit à petit, l’émotion et la frénésie amenées par la macabre découverte de Kader retombaient. Tout le monde ne parlait plus que du dernier marché au gras de Valence d’Agen qui était pour bientôt, de la saison de rugby, de l’été qui allait venir et qui serait chaud. La pauvre fille trouvée dans la Garonne était tombée aux oubliettes. Elle n’intéressait plus personne à part Brice de Kermadec, les gendarmes de la brigade et Kader. Même le juge d’instruction qui avait ouvert l’affaire avait été muté dans le Nord, après avoir tenté d’agresser le commissaire adjoint d’Agen alors que celui-ci se promenait en ville avec sa future ex-femme à son bras. Il ne faisait pas le poids, le petit juge. Il était parti avec un bras dans le plâtre et un œil au beurre noir. Une fois par semaine, de Kermadec allait voir son chef de groupement départemental, le colonel Millet et devait admettre devant lui qu’avec sa brigade, ils n’avançaient plus.




Un matin, lors d’une de ses réunions avec son colonel, de Kermadec se résolut à lui demander son accord pour aller solliciter la brigade de Valence d’Agen, dans le département voisin du Tard et Garonne. Millet appela son homologue de Montauban et transmis son autorisation au chef de la BRDIJ. Il allait pouvoir leur demander un coup de main. Il avait horreur de ces prétentieux. Ils « possédaient » une centrale nucléaire sur leur secteur, eux ! Ils se sentaient impartis d’une mission de la plus haute importance avec ça, alors qu’ils en profitaient juste pour aller boire un café de temps en temps au poste d’accès principal et pour faire quelques photocopies… pas chères. En plus, c’était un officier proche de la retraite qui dirigeait cette brigade, un local. De Kermadec vérifia une dernière fois l’état de son uniforme. Il voulait être impeccable. Pas question que l’on puisse lui faire la moindre remarque !

Il prit une Clio, la plus récente, dans la cour de la gendarmerie, et partit voir ses collègues du département voisin.

L’accueil à Valence fut loin d’être chaleureux. Le commandant de la brigade, un « simple » lieutenant, lui fit comprendre, comme il s’y attendait, qu’ils avaient beaucoup de travail, à cause du marché au gras, de la centrale nucléaire… Mais que s’ils avaient un moment, ils ne manqueraient pas de faire un tour sur les berges, en amont de l’endroit où avait été découvert le cadavre. De Kermadec lui demanda s’il avait connaissance de la présence d’une jeune fille noire dans les environs de Valence. Son collègue lui promit aussi - lorsqu’ils auraient le temps, à cause de la surveillance de la centrale …- de se renseigner. Ce « petit lieutenant » valencien le prenait vraiment de haut. Il lui faisait bien sentir qu’il ne connaissait pas la région ni son histoire, tout capitaine qu’il était. Cette référence constante à la centrale commençait sérieusement à agacer de Kermadec qui devait faire des gros efforts pour rester poli.

Il quitta la brigade de Valence d’Agen sans se faire trop d’illusions sur les informations qu’il obtiendrait de leur part. Il voyait s’envoler ses espoirs de résolution rapide de cette affaire… Et de sa rentrée sur Paris. Ghislaine allait encore devoir supporter la vie dans le Lot et Garonne quelque temps…

Son retour à la BRDIJ ne fut pas triomphal. Il essaya de montrer un peu d’enthousiasme auprès de ses troupes quant aux résultats escomptés en provenance de leurs collègues du Tarn et Garonne, mais ne fut qu’à moitié convaincant. Ceux-ci en effet ne furent pas dupes. Plus tard, une fois que le capitaine les eut quittés, Jacquier et Jeandreau restèrent pour parler de cette enquête qui n’avançait pas beaucoup :

— Alors, tu as une idée, Marie? demanda le lieutenant.

Il savait qu’elle avait un instinct incroyable pour ces enquêtes criminelles. C’était elle qui avait réussi à faire des liens sur plusieurs affaires en suspens l’année précédente et permis ainsi l’arrestation d’un tueur en série.

— Pas vraiment Michel, je crois que tout le monde patauge…et je ne suis pas très optimiste au sujet de l’aide qu’on peut attendre de Valence.

— Quoi que s’ils peuvent se faire mousser et démolir de Kermadec, ils ne vont pas se gêner.

— C’est sûr, toutefois je ne pense pas qu’ils trouveront quoi que ce soit. S’ils cherchent un jour, ils ne verront pas la moindre trace exploitable sur les berges. Surtout qu’il y a plein de chasseurs en ce moment.

— Peut-être que par eux, ils obtiendront quelque chose ?

— C’est vrai, on ne sait jamais. Cela dit, pas la peine de se faire des illusions.

— Tu as raison, en plus, ils ne sont pas très malins nos collègues…

— Eh oui, mais heureux, beati pauperes spiritu[1]…

— Pardon ?

— Heureux les pauvres d’esprit… Ces citations latines, c‘est une habitude que m’a donnée mon mentor quand je suis arrivée à la BRDIJ. Tu l’as connu, toi, Mercier ? Il devait être adjudant avant de partir à Puymirol comme commandant de la brigade territoriale.

— Non, je n’ai pas eu cette chance… Comment tu dis beati pau… ?

Beati pauperes spiritu.

Elle partit d’un grand éclat de rire en regagnant son bureau.




[1] Locution latine : heureux les pauvres d’esprit.

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