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LA GUERRE
Où nous en sommes
Evidemment, le lecteur, devant presque tous les communiqués, et par conséquent devant presque tous les commentaires que les communiqués inspirent, a une petite surprise.
Cette surprise, toute petite, consiste... à ne pas être surpris.
« C’est toujours la même chose! » est tenté de se dire le lecteur, quand il est d’humeur sévère ou mélancolique.
Non. Ce n’est pas toujours la même chose. Nous progressons. Nous poussons l’ennemi dehors, en le grignotant. Mais cela ne va pas vite, cela ne peut pas et ne doit pas aller vite.
Il faut se rendre un compte exact de la forme qu’affecte la guerre actuelle.
Jusqu’à présent, les batailles avaient toutes été coulées dans le moule de la tragédie classique.
Pour dire: « Une grande bataille », on lisait: « Une grande journée ».
Aujourd’hui, une grande bataille, c’est un grand mois, quelquefois davantage.
Le lieu de la bataille si longue, qui se livre EN FRANCE et un peu en Belgique, est lui même démesuré... De la mer du Nord à la Suisse!
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Trois grandes batailles sont désormais acquises à l’histoire, depuis le commencement de septembre:
La BATAILLE DE LA MARNE; la BATAILLE DE L’AISNE, qui a montré l’impuissance d’une armée réputée invincible; la BATAILLE DE L’YSER, celle qui prend fin par une retraite allemande qui a tout à fait la couleur et l’allure d’une débâcle.
L’ennemi qui, on se rappelle, avait pris pied avec tant de fanfaronnade sur quelques mètres de la rive gauche de l’Yser, est forcé de se replier sur la rive droite et abandonne prisonniers, blessés, quantité de matériel, sans compter vingt-et-une pièces d’artillerie absolument intactes.
EN BELGIQUE et EN RUSSIE, la défaite des Allemands est aussi parfaitement caractérisée.
Eux-mêmes, qui sont sans conteste les plus grands menteurs du monde, n’opposent plus à une telle évidence qu’une faible et mourante dénégation.
Aussi nos lecteurs liront-ils avec satisfaction un télégramme du général Joffre au Grand-Duc Nicolas:
« Nous avons reçu avec un vif plaisir toutes les nouvelles de marche triomphante des armées russes au cours de ces quinze derniers jours et la nouvelle de l’avance qui vient de les amener à proximité de la frontière allemande.
« Je tiens à adresser à votre Altesse Impériale mes meilleures félicitations.
« De notre côté nous avons arrêté les furieuses attaques allemandes et, par une action énergique et incessante, nous cherchons à détruire les forces ennemies qui nous ont été opposées.
« Notre situation est bonne et nos efforts combinés amèneront bientôt, je l’espère, le succès final. »
JOFFRE. »
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