Un président jeune et fougueux (1)
Inquiets, les ministres s’installèrent à leur place dans la salle. Cette réunion n’avait pas été prévue et aucun n’en connaissait le sujet. Tandis que chacun conjecturait dessus à mi-voix, le président de la République entra, droit comme une canne à pêche de compétition. Il était beau et lumineux. Sans doute venait-il de faire du sport dans la salle de musculation spécialement construite à côté de son bureau dans l’Élysée ? En tout cas, il pétait la forme comme à son habitude ! À tel point qu’il s’était mis à coacher son coach personnel au bout de deux semaines ! Un temps record !
En prenant le chemin le plus direct, il rejoignit le bout de table et dit solennellement :
- Vous pouvez vous asseoir.
Tout le monde s’exécuta en élève obéissant et fixa le chef avec des yeux épris et canins. Il faut dire, il y avait de quoi. L’homme était le plus jeune président de la République de France. Depuis qu’il était né, tout lui réussissait. Du moins, c’était ce que rapportaient les médias. À un an, l’homme savait déjà lire et compter. Il passa son BAC à son dixième anniversaire puis suivit des études supérieures avec brio. Professionnellement, il grimpa très haut dans le milieu de la banque puis dans l’appareil d’État. Secrétaire général, ministre puis enfin président de la République ! Le parcours sans faute et cela à la vitesse d’un tweet de trois caractères ! De quoi susciter l’admiration des journalistes qui ne tarissaient pas d’éloges sur sa personne. Pour une grande majorité, il incarnait la perfection, le renouveau, l’infini. Un véritable dieu en d’autres termes qui allait prendre en mains les rênes du pays et le hisser à hauteur des grandes puissances qui font ce qui leur chantent. Lui-même y croyait dur comme fer tant il s’aimait d’un amour absolu. Dans pas longtemps, il ferait un coup d’éclat sur la scène internationale qui le grandirait autant que les trois-quatre grands de ce monde.
- Une idée. Il me faut une idée ! clama-t-il aux ministres qui l’admiraient en silence (surtout celui de l’éducation et celui de l’économie).
- Sur quoi, Sire ? interrogea le ministre de la transition écologique et solidaire tandis que le ministre des armées remplissait d’eau le verre du président.
Dès qu’il avait été élu, Manuel Trèbon avait remis au goût du jour certaines coutumes de la monarchie. Ses subalternes devaient l’appeler « Sire » et se plier à l’étiquette. Ainsi, tous les ministres devaient être présents au lever et au coucher du président de la République. Suivant leurs mérites et les humeurs du souverain, ils obtenaient certaines tâches à accomplir. Comme nous venons de le voir, le ministre des armées avait à charge d’hydrater le chef d’État. Le ministre de la santé devait lui ouvrir les portes et celui de la culture les fenêtres quand il avait trop chaud et le ministre de la justice avait pour mission d’essuyer son visage à l’aide d’un mouchoir (bien sûr ces rôles pouvaient changer du jour au lendemain)...
La question du ministre du transition écologique et solidaire fit sourire discrètement tous ses confrères. Quel nigaud ! pensèrent-ils en se réjouissant. Même si cette interrogation allait de soi, mieux valait s’abstenir de la formuler pour ne pas s’attirer les foudres du grand patron. En effet, celui-ci avait horreur qu’on le questionne s’il n’en avait pas lancé l’invitation.
Manuel Trèbon fixa dans les yeux le gaffeur et l’on aurait certainement entendu une mouche voler si le ministre de l’Europe et des affaires étrangères ne les avait pas toutes éliminées une heure auparavant.
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