Crise de nerfs (13)
Retour en arrière dans le temps et donc dans le pays du fromage coulant : le conseil des ministres avait débuté depuis cinq bonnes minutes et pourtant personne n’avait encore osé prendre la parole. Et pour cause, Manuel Trèbon était d’une humeur massacrante. Pas parce que le ministre chargé d’éliminer les mouches en avait oublié une (elle tourbillonnait de temps à autre sous le lustre de crystal que plus personne n’admirait et dans ce contexte particulier, son léger vrombissement ressemblait à un orage sur le point d’éclater). Encore moins parce que le peuple s’était rendu compte de sa politique favorable aux plus riches et manifestait son mécontentement dans la rue (une frange de la population la plus touchée par cette crise appelée les chaussettes rouges s’était mise à occuper les ronds-points des pays et exigeait que le jeune président démissionne).
Non, l’origine de son irascibilité venait d’outre atlantique. Donald Moumoute le snobait. À plusieurs reprises Manuel Trèbon l’avait appelé et l’autre n’avait pas daigné lui répondre malgré les messages laissés à sa secrétaire.
Pour le nouveau roitelet de France l’idée qu’il soit insignifiant aux yeux du maître du monde ne l’effleurait pas. Selon lui, l’Américain n’avait pas digéré la défaite de la poignée de main et lui en voulait encore. Un moment, il avait cru qu’en insistant le mauvais perdant finirait par écouter son offre. Une offre incroyable qui valait son pesant de cacahuète !
Mais après plus d’une centaine d’appels dans le vide, il dut laisser tomber. Ce qui le mit dans une rage folle lui qui répugnait à baisser les bras (une attitude de looser dans son esprit).
Christophe Castagnette, ministre de l’intérieur et chouchou du moment prit sur lui de briser le silence de plomb qui plongeait le conseil dans une ambiance de deuil.
- Je pense qu’on pourrait aller plus loin dans la répression des chaussettes rouges. Par exemple proposer une loi qui autoriserait le tir à bout portant des flashballs et...
- Non ! rugit Manuel Trèbon comme si son subalterne lui avait demandé son poste.
Penaud, Castagnette regarda ses pieds, comme les autres. Le silence revint plus lourd qu’avant l’intervention du ministre de l’intérieur (même la mouche n’osait plus se manifester).
Les yeux plein d’éclairs, le teint pâle et les lèvres grelottantes, le président de la République parla enfin :
- Décidément, vous ne comprenez pas. Pourtant ce que je demande est clair ! Je veux que vous me proposiez des idées qui sortent de l’ordinaire. Je vous ai choisi pour ça. Parce que vous présentiez un profil singulier, un profil dont le peuple n’est pas coutumier. Je veux que vous m’étonniez. Que le ministre chargé de l’eau m’ajoute de la grenadine. Que celui responsable du coussin sur ma chaise en change. Et pourquoi pas change également la chaise ! De l’audace nom de dieu ! Je veux de la surprise ! Je veux du mouvement ! Épatez-moi ! Montrez-moi que je ne me suis pas montré ! Donnez-moi du rêve !
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