Lever du soleil
Le soleil se lève, il est l’heure d’aller à l’école. Je prends quelques vêtements et une serviette, direction la douche. L’eau chaude enveloppe mon corps et le réconforte, tandis que mon esprit pense. Que dois-je accomplir pour aujourd’hui ? C’était quoi déjà le devoir à remettre pour vendredi ? Dix minutes se sont déjà écoulées, je dois sortir. Je monte en haut sur la pointe des pieds, mes parents dorment, je les envie. Des œufs et du pain pour le petit-déjeuner, ça ne change pas, c’est la routine. Mon ventre se remplit, tandis que mon esprit pense. C’est sur quoi déjà mon prochain examen ? À quelle heure passe le bus ce matin ? L’assiette est vide, je dois y aller. Je brosse mes dents, je prends mon sac, direction l’arrêt de bus. Les arbres sont gelés et les branches tremblent de froid. La neige blanche recouvre la route pour la maintenir au chaud telle une couverture. Tout est si blanc, il a beaucoup neigé hier. D’ailleurs j’ai fait quoi moi hier ? Arrivé dans le bus, il ne reste plus beaucoup de place. Je m’assieds à côté de ce vieux monsieur. D’un air apaisé, il a le regard fixé sur le soleil qui s’élève toujours plus haut dans le ciel. S’habituer à être en vie, c’est l’être un peu moins, me dit-il. Il se tut, puis son regard s’attarda sur l’horizon, là où le soleil continuait son ascension.
Je ne savais pas quoi répondre. Peut-être n’y avait-il rien à dire. Juste écouter, simplement être là. Comme j’étais resté silencieux, il s’est retourné vers moi et m’a parlé. Il me racontait que chaque matin, sa femme et lui avaient l’habitude d’admirer le soleil se lever comme si c’était leur première fois. Une tasse de café dans une main, la main de sa moitié dans l’autre. Elle adorait le café et lui détestait ne serait-ce que l’odeur. Pourtant, il s’assurait d’en préparer chaque matin, deux sucres pour la dame disait-il avec un sourire. Malheureusement, un jour sa femme a regardé le soleil pour la dernière fois. Depuis, il a arrêté de boire du café. Mais, il a tout de même gardé le rituel matinal. Lorsque le soleil s’élève dans le ciel, son âme s’élève au paradis. Pendant quelques instants, il peut revoir sa douce femme, celle qui l’a accompagné si longtemps et, qui maintenant, l’attend. Alors chaque matin, il entame le rituel en espérant qu’un jour son âme s’élève et ne redescende plus jamais.
Je suis admiratif envers ces personnes âgées si lucides face au destin auquel nul ne peut échapper. Les rides marquent leurs visages et témoignent de ces années passées à aimer, à sourire, à pleurer. Chaque sillon est une trace laissée par le temps, un souvenir gravé dans la peau. Racontant les espoirs partagés et les adieux murmurés. Ces rides ne sont pas des marques d’usure, mais des preuves qu’ils ont vécu pleinement, malgré les blessures, malgré les absences. Chacune de leurs paroles témoignent de leur sagesse et de leur compréhension de la beauté de la nature mortelle de l’homme. L’enfant apprend à vivre, l’aîné à mourir. Les deux observent le soleil, l’un pour la première fois, l’autre pour la dernière fois. Enfant, on est émerveillé par ce nouveau monde mystérieux qui n’est qu’à découvrir. Arrivé à un âge avancé, on est à nouveau émerveillé par ce monde dont on avait oublié la beauté, on le regarde comme si c’était la dernière fois. On s’en fait alors un doux portrait qu’on emportera avec nous nul ne sait réellement où.
Peut-être qu’apprendre à mourir est une façon de se réconcilier avec la vie. De profiter des derniers instants et partir léger, malgré l’énorme quantité de souvenirs. Mais, il faut d’abord atteindre un certain niveau de conscience. Lorsqu’on est jeune, on apprécie pas forcément le lever du soleil parce qu’on se dit qu’on va le voir demain ou après demain. Alors que lorsqu’on vieillit, on le regarde chaque matin comme si c’était le dernier, NOTRE dernier. Car oui, le soleil se lèvera toujours, mais peut-être que nous ne serons plus présent pour l’admirer. S’habituer à être en vie, c’est l’être un peu moins.
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