Chapitre 4

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Une image noire recouvrait le voile de sa conscience. Elle ne pensait plus à rien, pourtant le traumatisme de ses blessures l’avait blessé physiquement et psychologiquement. Elle avait assisté à la pire mise à mort, mais la chance avait tourné et elle était bien vivante. Son corps n’avait pas tenu face au cocktail d’émotion dont elle fut prise, et avait décidé pour elle de redémarrer, une défense naturelle face à l’horreur vécue. Cependant, le calme de son repos fut remplacé par un élancement dans son crâne qui la fit sortir de son sommeil. Ses yeux s’ouvrirent, étonnement, elle n’était plus au fin fond de cette crypte, mais bien dans une chambre. Son regard se posa en premier sur un homme en armure qui paraissait faire les cent pas en compagnie d’un plus jeune chevalier dont le plastron brillait grâce au reflet des rayons du soleil passant par les petits carreaux de la fenêtre.

- Sullys ?

L’homme se tourna rapidement, soulevant les bouts de tissus de sa tunique accrochés aux parties métalliques de son armure et vint tout de suite auprès d’Anna qui sortait de son état comateux.

- Votre Altesse, comment vous sentez-vous ?

Celui-ci l’aida à s’asseoir, c’était le seul de tous les gardes à pouvoir être aussi tactile avec elle, ils avaient franchi cette frontière de l’étiquette depuis qu’il lui avait appris certaines disciplines lors de son enfance.

- Avez-vous déjà eu l’impression qu’un marteau frappait votre crâne à répétition monseigneur ?

Un trait amical se dévoila sur son visage, il fut soulagé que ce ne soit qu’une simple migraine.

- À de multiples reprises Altesse, buvez beaucoup d’eau ce sera mon seul conseil.

Anna regarda alors l’autre chevalier au fond de la pièce et le vit rougir. Elle comprit soudainement qu’elle ne portait plus ses habits, mais bien une simple toile de coton blanc lui recouvrant le corps. Prenant le drap pour se couvrir, elle lui fit comprendre par un méchant regard qu’il se devait de ne plus la regarder comme il le faisait. Celui-ci s’exerça immédiatement et leva le menton en fixant le plafond.

- Je vous présente sir Minaz Khaskan, c’est lui qui vous a trouvé en premier et qui vous a porté jusqu’à votre chambre en m’avertissant. Il a veillé à votre sécurité jusqu’à maintenant.

Minaz, s’avança d’un pas et la salua d’un geste de la tête. Anna le regardait toujours avec méfiance, mais ses prouesses vinrent l’apaiser. Le chevalier dont le nom était inconnu d’Anna, possédait sa propre armure d’acier. Il ne portait pas de heaume ni de gant et avait posé l’une de ses mains sur une épée dont le manche finissait par une tête d’ours. Elle se rappela subitement que la plupart des blasons arborant cet animal venaient des contrées sud de la seigneurie de Nirmidill, le royaume du milieu comme on l’appelait souvent. La princesse sût immédiatement qu’il ne venait pas d’une grande famille, car celui-ci n’avait pas les marque de l’étiquette et étaient comme la plupart des jeunes chevaliers à peine adoubés par leurs pères, en quête d’aventure. Cependant, Minaz n’arborait fièrement aucun blason familial et de plus comme le voulait la tradition, ne possédait aucune gravure sur sa cuirasse argentée. Anna ne lui devait pas la vie, mais un simple remerciement devait lui être donné, car sans lui, elle serait sûrement restée tout au fond de cette maléfique crypte.

- Je vous dois des remerciements messire chevalier.

Elle s’attendait à ce que celui-ci lui fasse un éloge, mais le sir Khaskan ne semblait pas inspirer à lui répondre comme la plupart des chevaliers dont l’égo démesuré aurait poussé leurs exploits bien plus haut que toutes les tours du donjon.

- Je n’ai fait que mon devoir Madame et le referait sans hésiter.

Simple, mais terriblement effectif. Anna lui sourit en retour et observa Sullys dont les traits commençaient à se durcir. Elle avait l’habitude de ce regard, mais quelque chose de bien plus grave abritait la conscience du capitaine. Il devait lui dire quelque chose d’important, la jeune femme l’avait compris. Celui-ci alors à genoux auprès d’Anna, se leva et avança vers la fenêtre puis pris un temps de réflexion avant de frotter le bas de sa barbe blanche.

- Quelque chose vous tracasse capitaine. Est-ce par rapport à hier soir ? Lui demanda-t-elle tandis qu’il fixait de ses yeux d’aigles l’intérieur de la cour.

- Vous n’êtes pas en sécurité ici, aucun de nous d’ailleurs. Les évènements mystérieux lors de votre trouvaille ont dépassé les murs de la forteresse et votre Oncle, le seigneur Adevart, vient de renforcer la sécurité de la cité. Il se tourna vers elle et déposa sa main contre l’un des piliers de bois du lit en baldaquin. Je l’ai vu madame, ce matin. Il a envoyé un faucon en direction du Sud-Est avant de rappeler sa garde à l’intérieur du palais.

Anna ne comprenait pas où Sullys voulait en venir. Elle ne l’avait pas vu aussi anxieux depuis des années.

- Peut-être tient-il à notre protection depuis qu’un assassin m’a pris pour cible ? Il n’y a plus de raison d’avoir peur, je vais bien, et maître Igor s’occupe de mon père.

- Là est aussi le problème Altesse, votre père est depuis hier dans un état bien plus instable. Sa mystérieuse maladie s’est aggravée dans la nuit après votre découverte. Igor a fait appeler un ancien ami de votre père afin qu’il vienne l’aider. Je sais que je ne devrais pas vous inquiéter madame, mais la situation semble devenir critique et tant que l’homme en question ne viendra pas, elle ne risque pas de s’arranger.

Le silence s’installa dans la pièce. Anna ne savait pas quoi penser de l’annonce du capitaine de la garde. De plus, l’effroi qu’elle avait ressenti hier pendant la scène horrifique, revenait dans sa conscience au galop et rouvrait les cicatrices endurées. Elle ne pensait plus, son regard perdu sur le drap lourd la recouvrant. Tout allait si vite et le choc était toujours présent. Un fracas dehors se fit entendre et l’on frappa à la porte. Khaskan regarda Sullys qui lui fit un signe de la tête et alla ouvrir. Devant, un homme portant une simple tunique et un petit chapeau à plumes chuchota quelques mots au chevalier qui après quelques secondes, referma la porte de bois.

- Le roi s’est réveillé. Il vous demande en urgence Madame.

La jeune femme s’était habillée comme hier. L’élégance des robes ou des pantalons de la cour avaient été délaissés pour des bottes assorties à un pantalon lourd et à une veste noire, dont le haut en cuir rapproché les ouvertures du col par des cordelettes de mêmes couleurs. Elle marchait en compagnie de Sir Khaskan, du capitaine Sullys ainsi que de cinq gardes du corps Northnahs. Ils montèrent tous un grand escalier menant aux étages supérieurs où avait été placé Aorka alors souffrant. Au loin dans un grand couloir, tous les autres gardes du corps avaient été disposés d’une telle façon qu’aucun étranger de la maison du roi ne puisse passer sans se confronter à eux. Mais dès lors que la princesse se montra à l’entrée du lieu, les gardes s’écartèrent en chœur, laissant l’espace à son passage et à celle de sa troupe. Au niveau de la grande porte menant à la chambre protégée, les deux épées du roi dont les âges respectifs équivoquaient avec celui du capitaine de la garde. Les deux chevaliers aux armures identiques et aux capes de mêmes couleurs, vinrent ouvrir chacun le côté d’une lourde double porte de bois sombre. Entrant dans la chambre éclairée par quelques bougies, une odeur mystérieuse caressa les narines d’Anna qui fut immédiatement frappé par cette puanteur digne d’un charnier en décomposition. Le roi avait été placé dans un grand lit caché par des draps blancs suspendus autours. Les portes se fermèrent après son passage et elle marcha silencieusement vers son père. Elle ne pouvait le voir et fit le tour du lit à la recherche d’une ouverture. Soudain, elle aperçut maître Igor derrière une table concoctant un quelconque remède dont émanait une nouvelle odeur bien plus nauséabonde. Celui-ci lorsqu’il l’aperçut s’avancer. Déposa le récipient et un large morceau de bois dont il se servait pour broyer les ingrédients, puis vint à sa rencontre toujours en silence.

- Je suis heureux de voir que vous vous portez bien… j’ai eu si peur lorsque j’ai appris qu’on avait attenté à votre vie.

- Je vais bien Igor. Elle se tourna vers le lit et continua. Comment-va-t-il ? J’ai appris que son état avait empiré…

- Effectivement madame. Il joignit ses mains comme s’il parlait déjà d’un mort. Les soins de votre père doivent être prodigués par un porteur de lumière, pas par un simple apothicaire.

Anna se retourna vers lui et vint prendre ses mains, elle avait senti la tristesse et la déception qu’il portait en son cœur.

- Vous êtes bien plus que cela maître, votre place ici est bien plus légitime que n’importe quel médecin de l’Empire.

Il effaça une larme et reprit son sourire tandis que le maître regardait les mains élégantes d’Anna qui serraient les paumes des siennes. L’homme d’une cinquantaine d’année avait toujours été présent pour la famille royale. Ses livres qu’il avait fait publier servaient d’exemples pour toute la médecine nordique bien qu’il n’ait jamais pris une place de ministre au conseil du roi. Igor était réputé pour l’évolution des traitements qu’il arborait, et beaucoup pensait que son art lui avait été donné par la lumière, car beaucoup de ses remèdes naturels avaient sauvé de nombreuses vies.

- Votre père n’est plus exactement celui que vous pensez. Son état dans la nuit a subitement chuté et la noirceur dans ses veines ne fait que grandir. Il a gardé son esprit et sa conscience vacille entre l’éveil et le sommeil. Si jamais le roi commençait à dire des choses qu’il ne penserait pas naturellement, écartez-vous de lui et appelez-moi. Je serais derrière la porte avec mon apprenti.

Écoutant les instructions, elle hocha de la tête bien qu’une frayeur s’installa dans son corps, car elle ne savait ce qui se trouvait précisément derrière ces draps. Cela pouvait donc être son père, ou un tout autre homme meurtri par une maladie mystérieuse. Igor quitta la pièce et laissa alors Anna seule au milieu de la chambre. Le silence s’était installé, mais elle pouvait entendre le son de la respiration irrégulière du roi. Avançant, elle écarta de la main l’un des draps et découvrit son père allongé tel un corps inanimé, recouvert d’une simple couverture.

- Anna… Ma Anna… Je t’ai attendu si longtemps…

Ses paroles se muaient à un râle profond, car prononcé, elles lui causaient des tourments que la jeune femme ne pouvait imaginer. Anna vint s’agenouiller à ses côtés, sans inquiétude, elle prit la main de son père et la serra délicatement. Ses yeux imbibaient de peines, montraient la souffrance de voir celui qui l’avait toujours aimé, dans un tel état physique. Aorka, le géant à la hache, le corbeau noir, ne pouvait plus porter ses noms de légendes. L’homme avait perdu la plupart de ses longs cheveux noirs. Ses pommettes creuses et sa corpulence fine et rongée par la maladie, lui donnait l’apparence d’un squelette de chair. Ses yeux étaient vitreux, sa bouche sèche et brisée. La seule chose qui ne correspondait pas à ce théâtre funeste, était ses veines obscurcies qui tels des serpents, parcouraient l’entièreté de son corps.

- Je suis là père, je suis toujours là…

Aorka regardait le panneau qui recouvrait le lit et était supporté par quatre piliers en bois gravés. Son front était recouvert d’un linge trempé et sa respiration s’était calmé alors qu’elle lui tenait la main. Son sourire vint se former sur un visage déconstruit par la douleur, et il tourna la tête. Mais ses mots ne furent pas ce qu’attendait Anna tandis qu'elle le scrutait avec désespoir.

- Je l’ai ressenti… dans les entrailles du chaos… elle était là… Je suis désolé, tous ces secrets, toutes ces vérités… ma pauvre Anna tu ne peux pas rester ici.

- Père qu’est-ce qui vous arrive ? Qu’est-ce que je suis censé faire ?

Elle ne comprenait pas, tout cela allait bien plus loin qu’une maladie. Anna avait compris pendant son enfance le pouvoir qui lui avait été donné en échange d’une contrepartie. Était-ce sa mort prématurée qu’on lui avait donné ? Mais celui-ci ne lui répondit pas, il continua ses dires sans s’arrêter.

- Retourne à la capitale, fuis Bélême, ici tu n’as pas d’ami et nulle part tu en auras. Ceux qui arrivent voulaient ma mort, je te lègue l’empire, je te lègue mon trône, ne laisse pas notre nom être détruit par nos ennemis.

Son cœur s’était mis à battre de plus en plus fort. Aorka avait resserré ses serres sur la main de sa fille et avait plongé son regard presque aveugle dans celui de sa fille. Elle se demandait si celui-ci délirait comme l’avait prévenu Igor, mais elle voyait l’inquiétude dans ses traits, ce ne pouvait qu’être vrai.

- De qui parlez-vous père, qui sont nos ennemis ? Qui voudrait mettre fin à votre paix ?

- De l’ombre derrière la montagne ! Trouve Illias de Sembdart, lui seul pourra te protéger de nos ennemis. Dis-lui… dis-lui qui tu es et quoiqu'il t’apprenne crois-le. Je suis désolé Anna, je suis désolé pour tout ! Va-t'en ! Fuis Bélême et ne revient pas !

Aorka se releva de moitié et avec un dernier élan d’avertissement, il attrapa la nuque de sa fille dans un mouvement bien trop rapide pour que celui-ci provienne de son corps meurtri. En l’espace de quelques secondes, une connexion s’établit, un lien par-delà le réel, une suite d’image traversant son esprit. Elle se voyait alors enfant, son père était bien plus jeune que dans ses souvenirs, sa mère était présente aussi et tous deux la contemplaient. Puis l’image s’effaça et une autre bien plus sombre s’abattit et fit disparaître les sourires. Elle distingua une forteresse abandonnée, nichée sur une grande montagne tout aussi obscure ainsi qu’une forêt morte envahie par la moisissure et la mort. Après, de nouveau le silence. Là, elle fit la rencontre d’une enfant, mais comme elle se doutait par la ressemblance, c’était elle encore, semblable à la peinture de la crypte. Il y avait son père dialoguant avec des ombres féminines, des êtres mystérieux. Soudain, éclata une bourrasque de feu dont la couleur lui rappela l’émeraude. Jaillissant derrière les arbres, tentant presque de capturer la petite fille fuyant pour se cacher. Une nouvelle image apparut brusquement. Dans une grotte, au fond d’un antre à peine éclairé, Anna se voyait hurler à plein poumon. Enfin, dans un silence glaçant, la forme de sa tête se mêla aux ombres. La jeune femme se voyait maintenant comme dans un miroir bien trop réel pour être simplement sa tête. L’accoutrement qu’elle possédait par l’image que renvoyait cette glace la frappa. Une couronne de feu était déposée sur sa tête, elle possédait des habits d’ors et de sang tandis que se soulevait derrière elle un trône de crâne et de ronces. Le spectacle terrifiant prit fin lorsque derrière cette Anna horrifique, une gigantesque main noire se déposa sur le trône, un être dont la puissance incommensurable s’avançait dans le brouillard. Il ne s'agissait pas d'un simple géant, celui-ci portait une armure dont les ouvertures crachaient des monticules de flammes, son casque recouvrant l'entièreté de sa tête, possédait des piques et des panaches qui ne semblaient s'arrêter. Lorsque les yeux jaunes de l'individu plongèrent dans les siens, la connexion s’arrêta et son père tomba à moitié mort sur son lit.

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