Loading: Vrai vie
Comme un plongeur, je tape du bout de mon pied nu le plasmetal par terre, c’est froid et lisse, surtout froid. Je fais un pas, puis deux, c’est quand je suis rendu au cinquième que je ne peux plus avancer. J’ai le nez tout contre une autre surface de plasmetal. Mais celui-là, il est vertical comme moi, plus grand même, il me toise de sa platitude avant d’aller rejoindre le plafond plus haut, beaucoup plus haut.
Mon SILV m’a dit que d'après le Code, on a le besoin d’un certain espace pour être optimal dans nos fonctions. Et la Société, elle nous aime et veut prendre soin de nous, du coup Elle a pris soin de rajouter plein d’espace. En haut. Le vertical coûte moins cher.
J’oblique de 90 degrés et compte encore. Un, deux, cinq. Mes doigts tapotent le mur, encore là, toujours là. Puis, ils s’aventurent un peu plus loin, au milieu de la surface, j’ai gravé un cercle sur le mur désespérément vide, celui où t’a pas de lit ni de machine pour occuper l’espace. Le début du cercle est marron un peu rougeâtre, je me suis mordu la peau pour avoir un peu de rouge sang, mais il s’est révelé que je ne gère pas très bien la douleur, j’ai continué le reste du cercle à coup de vis arraché à ma machine.
Je recule d’un pas pour mieux poser mes yeux sur l'œuvre entière, ça fait un large soleil au contour blanchâtre. C’est tout simple, mais suffisant pour que je m’imagine que ce cercle est une fenêtre vers quelque chose d’autre. Je m’autorise un sourire avant de laisser là mes illusions et continue mon tour. Il ne reste qu’un mur à faire, le dernier. J’ai qu'à faire volte face pour l’avoir droit en face. Il est là, mais celui-là n'est pas qu’un mur, c’est aussi une porte. Il y à quelque aspérité qui le parcourt, ça rend son touché plus rugueux, plus surprenant aussi. C’est parce que ce n’est pas qu’un bloc mais une multitude de plaques et de mécanismes qui s'emboîtent et se rétractent pour former n’importe quel type d’ouverture, d’une simple fenêtre à une large porte. BIen que je n’ai jamais vu la porte s’ouvrir entièrement. Le plus souvent, c’est au milieu de la surface qu’une étroite ouverture se fait et un plateau s’en déploie formant comme une petite table contre le mur.
Je prends quelques pas en arrière, jusqu'à ce que mon dos touche le cercle. Je ferme les yeux et pose les mains à plat contre ce mur.
Ça y est, je me suis ancré. Ce petit tour, je le fais à chaque fois que je quitte mon écran, je ne sais plus exactement quand j’ai commencé à le faire. Avoir les doigts qui sentent quelque chose d’autre que les touches, avoir les autres sens qui se mettent en marche, ça me donne l’impression de renouer avec le physique. Comme pour n’importe quel processus, faire un alt+f4 n’est pas très sain, il faut toujours quitter proprement ton app, sinon, la mémoire ne se libère pas, les pensées ne se ferment pas correctement.
Là c’est pareil.
Je frissonne, le plasmetal est toujours froid et surtout immobile. Mais il devrait bientôt arriver, je le sens. Mon dos glisse sur la surface glacé du mur opposé, le sol est aussi froid, mais je m’en moque. Quand je pense à lui, j’ai l’estomac qui papillonne et un sourire niais sur le visage. Je le sais, j’en ai tracé les contours avec mes doigts.
Il, c’est un SILV, mon SILV.
De temps en temps, jamais régulièrement pour préserver la surprise, il passe me voir. Il prend de mes nouvelles, on discute un peu. Je me remets debout et l'œil rivé sur la grande ampoule en haut du mur je me rapproche. Il pourrait venir à tout moment maintenant, j’ai reçu dans mon dernier pack une note en plus des habituelles meds. Sur le papier, il a choisi une police d’écriture manuscrite, pour faire plus authentique. Je me retiens d’aller me jeter prêt de ma machine, et de la ressortir de mon tiroir. J’adore la sensation du papier. Ça donne à une information un physique qu’un message électronique ne peut pas avoir. Les infos sur l’écran sont vives et muables à l’infini. Répétée, changée et répétée de nouveau.Tellement que l'œil n’arrive plus à capter l’info, il ne capte que l’écho de ce qu’elle était à un instant T.
C’est pourquoi le papier, lui, est unique. Ce petit machin attrape l’info et la lie avec sa physicalité fibreuse, chacun de ces pixel s’uniquifie sur la surface et ouvre ses dimensions. Ce n’est plus que l'œil qui voit, mais aussi les doigts qui touchent le grain de la matière, c’est les narines qui reniflent l’odeur aseptisée, les oreilles même qui entende les froissements et la langue qui se tord en frottant le goût amer du papier.
Cette note, elle n’est que pour elle. Et elle lui dit qu’il va bientôt venir. Il ne donne jamais d’heure, de la même manière que la note n’est jamais régulière. Je pose mon front sur le froid glacé du plasmetal. Je n’en peux plus t’attendre, je sens dans le fond de ma tête que ça cogite encore. Ce qui s’est passé dans mes écrans n’est pas loin, les cris de cette homme qui est mort semble encore habité les recoins de mon bloc, je ne veux pas y penser, mais je sais que mon imagination va sans pitié habiller les bribes de ce que j’ai vécu pour les rendres pire encore, alors je fixe la porte, je compte une énième fois le nombre de boulons apparent, il n’y en a pas beaucoup, alors je les recompte, encore et encore.
Quand enfin, une lumière rouge flashe trois fois. Mon cœur explose en même temps que mon souffle s’accélère. Soudainement, j’aurais aimé avoir plus de temps, peut-être arrangé un peu plus mes cheveux, où mon visage, je grimace quand mes doigts touchent la sueur et les larmes qui ont coulé sur mes joues. J’utilise ma tunique pour essuyer du mieux que je peux ma peau, mais il est trop tard pour vraiment en faire plus. Alors j’attends sagement contre le mur. La lumière reste rouge, une seconde, deux secondes, à la troisième elle s'éteint.
Je saute sur mes pieds, incapable de me contenir mais seule une étroite plaque a daigné se déplacer, suivit de prêt par l’avancé d’une tablette portant une petite capsule vert bouteille. A n’importe quel autre jour, j’aurais sauté de joie, mais là, c’est juste pas ce que j’attendais, mon coeur retombe à sa place et je me retiens de justesse de frapper le mur de frustration. Le petit médoc brille à la lumière, je la tiens un moment entre mon pouce et mon index, c’est la première fois que je la vois de cette couleur. Je n'hésite pas très longtemps, si la Société à juger bon de me l’envoyer, c’est probablement pour une bonne raison, alors je l’avale. Ça n'a pas de goût quand ça passe dans ma gorge. Alors je me rassemble et continue à attendre, continue à compter. J’ai perdu le compte des boulons quand la chaleur est monté d’un seul coup, d’un coup de manche sec je me débarrasse de la sueur qui me coule le long du front, mais elle revient aussitôt, mes vêtements me colle à la peau, en dessous de moi, j’ai imprimé la forme de mon derrière sur le sol de plasmetal.
Frénétiquement, j’essuie mes mains sur le devant de ma tunique, qu’est ce qu’il dirait s' il me voyait dans cet état? Je me rends compte que la chaleur vient de moi, elle semble grandir depuis mon estomac, un peu plus bas peut être. Je me relève pour faire les cents pas, je cherche quelque chose d’autre à compter, mais toujours mon regard revient sur l’ampoule qui trône en haut du mur.
Un. Un. Un. Un. Toujours une ampoule qui ne veut pas s’allumer. Un. Un. Un. Un. Un. Mon esprit s’égare, je pense à ce que je veux lui dire. Il faut que je trouve quelque chose d'intelligent, ou de drôle. Rien ne me vient. Je continue de compter. Un. Un. Un. Je transpire à grosse goutte, mais je suis incapable d’arreter mes pieds de frapper contre le sol.
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