Nous sommes les Enfants de Rain City.

Nos pas s’enfonçaient dans la Fange, le marécage imprimait nos empreintes de godasses trouées pour ne pas oublier notre dernier passage. En tête de cortège avec Mila et Mouez, précédant Eric et Esa, je m’arrêtai pour regarder ce que nous laissions derrière nous.

Dans l’horizon lointain, le ciel était peint d’une étrange lueur écarlate et le vent apportait les hurlements de ceux que nous n’avions pu emmener avec nous et qui étaient en train de mourir. Auraient-ils droit à un meilleur monde que celui dans lequel nous sommes nés ? Après tout, qu’est-ce qui pourrait bien être pire que ce monde-là ?

Bientôt tous se retournèrent comme moi pour assister aux dernières convulsions d’un monde perdu et oublié.

Les claquements diffus provenaient certainement des bombardements des avions et des hélicoptères qui incendiaient jusqu’au moindre centimètre carré de béton et de goudron. L’Extérieur voulait effacer notre ville jusqu’à ses fondations.

Jusqu’à son histoire.

Je pris alors conscience de l’importance que chacun d’entre nous possédait désormais.

Nous étions les Enfants de Rain City.

Nous étions tout ce qui restait de ce monde, sans foyer. Pendant tout ce temps, c’était ce dont Rain City s’était le plus approché pour moi, pour nous tous. À présent nous n’étions plus qu’une poignée sur une population de quelques milliers d’âmes.

Ceux que nous avons abandonnés, périssaient pour protéger un secret honteux, protéger les crimes du Conseil dont mon père a fait partie avant d’être trahi. Je devais porter le poids de cet héritage, seul.

Ceux qui m’accompagnaient devaient supporter les souvenirs de ceux et celles qu’ils avaient perdus. Ils ne devaient pas être condamnés à l’oubli.

Rain City allait disparaître, nous ne serions plus là pour le voir. Au delà du bouclier qui avait été désactivé pour laisser passer les troupes, l’Extérieur s’offrait à nous. Nous nous demandions de quoi il serait fait.

Serait-il inondé de larmes amères ? Verrions-nous autre chose que le paysage terne, sans couleurs qui constituait notre voie de sortie ? Ne quitterions-nous une vision de désespoir que pour une autre, bien pire ?

Mila donna l’ordre de se remettre en marche, car il n’y aurait pas de retour en arrière possible. Quel que soit ce qui nous attendait là-bas, une chose ne changerait jamais.

Nous resterions les Enfants de Rain City. Nous ne cesserions jamais de nous battre pour notre survie, comme des rats à visage humain. Contre quiconque entraverait notre périple, contre le Conseil qui niait notre existence.

Ainsi débuta notre Exode.

FIN