Chin
J’ouvre les yeux. La sueur colle les vêtements sur ma peau. Haletant, mon cœur cogne contre ma poitrine. Les battements deviennent frénétiques tandis qu'une boule d’angoisse se forme dans ma gorge.
Je dois me calmer, oublier ces images. Penser aux collines de mon village. M'imaginer au sommet du Tarak-San, havre de liberté et de sérénité.
Peu à peu, je m'apaise.
Machinalement, je jette un oeil sur les diodes rouges de mon radio réveil. Trois heures. De nouveau, un cauchemar m’a assailli. Pourtant je ne peux pas dire que je les provoque. Je lis peu de roman d’épouvante et regarde encore moins de films du même genre. J’aime certes les jeux vidéo, dont certains assez violents, mais cela n’explique pas ces horribles songes. Je ne dois plus y penser, me détendre et tenter de me rendormir si je ne veux pas que l’on remarque mes yeux rougis de fatigue !
Je viens d’avoir dix-huit ans, je ne suis plus un gamin.
Un regard bleu azuréen me fixe.
J'ai compensé ma petite taille — un mètre soixante-cinq — par le sport. Depuis l’âge de douze ans, je pratique le taekwondo et depuis quatorze la musculation : on peut dire que j’ai un corps plutôt bien bâti.
La neuvième symphonie de Beethoven baigne la pièce.
J’étudie la littérature. J’aime me plonger dans les vieux livres aussi bien que dans les récents, aiguiser mon appétit intellectuel, mon esprit critique.
Un petit paravent blanc parsemé de quelques fleurs jaunes et d'oiseaux exotiques.
Mes amis disent de moi que je suis — la voûte céleste au plafond ?! Quelle arrogance ! — posé et réfléchi. Un bon self-control en toutes circonstances !
Je leur cache mes orientations sexuelles. Moi-même, je ne sais toujours pas… C’est mon secret. Ce n’est certainement pas à mes parents que je vais me confier. Ni à mes amis. C’est un sujet trop intime… et trop dérangeant. Laisser mon instinct me guider.
L’élégance de Mee-Yon m’attire. Son nombril. L'athlétique Gi. Le liquide pourpre s'expulsant de sa bouche grande ouverte. La pureté d'Ae-Sook. Ses yeux écarquillés. L'intelligence de Huin-Ki. La mélodie de Beethoven.
Assez ! Quoi que je pense, j'en reviens toujours à cette scène ! Je ne veux plus revoir ces images. Qu’elles me laissent tranquille ! Je n’ai rien fait de mal, alors pourquoi me hantent-elles ? C’est à devenir dingue.
Le manque de sommeil se fait ressentir sur mes notes et sur mes relations avec les autres. Je deviens taciturne, n’arrive plus à me concentrer et me réfugie dans ma chambre dès mon retour à la maison.
Ces visions tournent en boucle, éveillé ou endormi, je sombre peu à peu dans la folie...
Je ferme les yeux et revois la scène de mon dernier cauchemar : l'inconnue est là, allongée sur le lit. Comme je lui ai demandé, elle a roulé draps et couvertures à ses pieds. Elle porte une nuisette rose pâle, transparente, des cheveux blonds encadrent entièrement son visage, jusqu'à la nuque. D'un sourire énigmatique et d'un bref signe de la main, elle m'invite à la rejoindre. En fond sonore, la neuvième symphonie baigne dans la chambre. Elle a placé le paravent près du lit. Une subtile odeur vanillée ajoute de la sérénité. J’ai toujours aimé ce parfum délicat.
Pieds nus, le contact du carrelage, froid, me repose, tout en m’ancrant au sol. Je m’avance lentement vers cette mystérieuse femme.
Elle me chuchote de presser le mouvement, elle a hâte que je… Mais je ne l’écoute pas, je savoure l’instant : la musique, la vanille, la lumière bleutée, sa lingerie laissant apparaître ses formes généreuses. Tout est réuni pour une nuit parfaite !
J’arrive près d’elle. Je m’assieds sur le rebord et enlève mon sweat sensuellement ainsi que mon tee-shirt. Elle admire ma musculature et de nouveau me convie à la rejoindre. D’un chuchotement, je l'invite à se taire.
Je m’approche. Ondule, tel un serpent, avant de la recouvrir de mon corps. Lui mordille l’oreille, puis descends et trouve sa bouche. Ses lèvres m’accueillent, elles sont sucrées et je les pince affectueusement… avant de stopper net.
« Quelque chose ne va pas ? me demande-t-elle avec tendresse.
— Non, tout va bien, réponds-je, troublé.
— Tant mieux, continuons dans ce cas. », me susurre-t-elle malicieusement, dans le creux de l’oreille.
Je la couvre de baisers sensuels, elle retire la boucle de mon ceinturon. Je m'écarte brusquement.
« Tout va bien Chin, tout va bien se passer, me rassure-t-elle.
— Comment connaissez-vous mon prénom ?
— Je le connais c’est tout. N’aie pas peur, tu vas m’honorer ce soir.
— Je… je ne sais…
Elle place son index sur ma bouche et souffle :
— Je suis ta première, mais j’ai confiance en toi. Je m’ouvre à toi. Profite bien de ce moment que tu n’oublieras pas. Je te le promets, conclut-elle avec un petit sourire coquin.
— D’accord, bredouillé-je.
— Tout va bien se passer. », me répète-t-elle de sa voix langoureuse.
Je la laisse retirer ma ceinture et l’envoyer délicatement sur le sol. Ensuite, dans un murmure, elle me propose de venir sur elle et cueillir sa fleur.
Elle ne voit pas que je suis tiraillé, ne sent pas que quelque chose cloche. D’un geste rapide, je plonge la main sous l'oreiller et en sors une dague. Je lui transperce le cœur ! Je la poignarde une dizaine de fois, je ne peux m’en empêcher. Une vague furieuse agrandit la cavité au fur et à mesure. De plus en plus vite, l’arme trouve son chemin. Le sang gicle, se propulse dans la bouche de la jeune femme, tache son corps jusqu’ici immaculé, du nombril aux mamelons.
Ma victime n’a pu réagir : juste le temps d’écarquiller ses yeux d’un bleu magnétique et de laisser sa bouche grande ouverte. Figée pour l'éternité.
La symphonie m’accompagne et atteint son paroxysme.
Je lèche ensuite le liquide pourpre. D'abord la dague. Ensuite, son corps. Délicatement d’abord, frénétiquement ensuite.
Pour me changer les idées, je me lève puis me dirige dans la salle de bain. Le reflet me renvoie un visage souriant, les lèvres baignant de ce rouge si spécial. Ultime hallucination ! Les yeux fermés, je recule d'un pas. J'inspire et expire quatre à cinq fois, lentement, avant de regarder de nouveau le miroir. Cette fois, ma bouche n'est pas carmin.
Suis-je un monstre ?
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