Nouveau cauchemar

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Allongé sur l’herbe soyeuse, Chin dormait paisiblement. Le soleil de septembre lui caressait la joue, telle une légère brise. Une voix cajoleuse lui susurrait des mots tendres au creux de son oreille, et un sourire apparaissait sur le visage des adolescents.

Lui dans son sommeil. Elle qui le contemplait. La jeune femme qui ne le connaissait pas il y a une semaine, s’était prise d’affection, un véritable coup de foudre mutuel, rapide et intense.

La rencontre s’était effectuée au Louvre, devant la célèbre Joconde. Chin s’était attardé sur le tableau et le reste de son groupe ne s’était pas aperçu de son absence tandis que celui de Mélissa examinait à son tour la toile pendant quelques secondes avant de partir à l’assaut des autres œuvres du musée.

« Petit, tu ne devrais pas être ici », déclara Miss Thentley, leur professeure d’anglais.

Aucune réponse ne lui parvenant, elle réitéra son affirmation en y mettant plus de force, cependant le gamin semblait plonger dans les iris de la Donna.

« Il ne gêne personne, glissa doucement Mélissa

— Mais c’est à notre tour d’observer le tableau. Il l’a suffisamment étudié. Si tout le monde l’imitait, ce serait l’anarchie. Pour la dernière fois, petit, il est temps que t'en ailles. »

Chin tourna alors son regard vers l’enseignante qui vacilla. Jamais en quarante ans de carrière, elle n’avait senti un regard aussi magnétique. Juvénile certes, mais qui diffusait également de la détermination, de la persuasion tout autant que de la timidité voire une certaine peur. Le mélange de ce regard était improbable mais implacable. Sans un mot, ce jeune homme l’avait transpercée et sans l’intervention de Charly, ses lèvres se seraient suspendues dans les airs. Pour se donner bonne contenance, elle conclut qu’il pouvait passer autant de temps qu’il voulait à regarder cette croûte, que ce n’était pas son problème.

Puis elle éloigna les adolescents sous sa garde, et Mélissa donna un sourire à Chin.

Ils n’auraient jamais dû se revoir.

Et pourtant le Destin est parfois joueur.

*

Christine Thentley était revenue de son escapade parisienne depuis une semaine déjà et pourtant malgré le charme et la quiétude de son cottage de Carlingford, bien loin de l’agitation de la capitale française, elle se sentait oppressée. Ni ses amis, ni le pub Owl and friends, ni le subtil crachin irlandais qu’elle affectionnait tant ne réussissait à l’apaiser totalement. Il subsistait à chaque fois une légère teinte d’amertume qui l’empêchait de profiter pleinement de l’instant.

Cet après midi Christine avait invité sa meilleure amie, Véronica, à partager scones et thé pour seize heures.

Véronica et Christine s’étaient rencontrées lors d’un échange scolaire avec l’Italie. Par la suite, Véronica avait débarqué avec mari et enfant dans la belle campagne irlandaise.

Miss Thentley prépara le tea-time pour l’arrivée de son amie et décida d’effectuer un somme pour l’accueillir avec le moins de cernes possibles, son retour ayant été ponctué d’insomnies. D’horribles cauchemars la tenaillaient dans lesquels elle se retrouvait projetée dans le vide. Elle n’y comprenait rien, car aucun changement notable ne se prévoyait à l’horizon, la retraite serait au plus tôt dans trois ans et elle ne doutait pas d’obtenir une prolongation pour ce poste, les candidatures pour enseigner étaient plutôt rares dans le coin, les jeunes préféraient Dublin ou autres cities plus importantes. Pour eux le Owl and Friends n’était définitivement pas assez branché, comme ils le disaient.

Elle monta à l’étage et s’allongea sur le lit. Ses paupières se fermèrent, presque malgré elle, et le temps d’un battement de cils, la plénitude la gagna. Enfin, elle laissa vagabonder son esprit dans les collines verdoyantes de Carlingford, son petit port de pêche, les façades multicolores de Dingle, les landes rousses du Connemara. Chaque lieu lui redonnait force et sérénité après cette tension permanente depuis son retour au pays. Le malaise s’effaçait enfin, remplacé par ce flegme tout britannique.

L’enseignante souffla d’aise, lorsque le regard déchira le panorama. D'une violence inouïe. Des prunelles d’un bleu glacial avalèrent tout l'espace. Puis, elle fut expulsée devant les falaises de Molher, transformées en un univers apocalyptique : des émanations toxiques nimbaient le ciel de violet, des loups colossaux arrachaient têtes, bras et jambes qui teintaient l'horizon d'écarlate. Des geysers de lave jaillissaient et brûlaient ceux ayant échappé aux bêtes sauvages, calcinant le sol. Les touristes hurlaient, piétinés par des géants de pierre.

Et pourtant, au milieu de ce chaos, résonnait un rire cristalin.

Un adolescent se tenait dans un minuscule carré d’herbe, mystérieusement préservé, et souriait. Près de lui, trônait un majestueux violoncelle. Brusquement, il extirpa les cordes de l’instrument, les tendit et s’approcha des rares survivants. Il serra si fort leurs cous que le souffle de ses victime s'échappa. Lui souriait béatement ! Il ne restait que Christine désormais. Alors, il se rassit et d’un geste ample invita les loups à festoyer.

Une seule option pour Christine : la mer. Pour y parvenir, un saut de deux cents mètres de hauteur : une folie ! Pourtant, l’enseignante n’hésita qu’un bref instant avant de plonger. Elle eut juste le temps d’entendre le hurlement de la meute avant que l’eau n’étouffe le son. Avant que le regard du dément ne l’absorbât !

Christine hurla si fort que Mélissa se précipita à son chevet, devançant sa mère venue partager scones et thé avec son amie.

La professeure tremblait de tout son corps, de la bave dégoulinait de sa bouche, des gouttes de sueur tombaient de son front et glissaient sur ses avant-bras, son thorax, ses jambes tandis qu’une forte odeur d’urine emplissait la pièce.

L’adolescente restait figée par ce spectacle lorsque sa mère pénétra à son tour dans la chambre. Elle ouvrit d'abord la fenêtre pour aérer. Ensuite, elle se mit au chevet de son amie, lui prit sa main et lui murmura :

« C’est fini, Christine. Tout va bien, ce n’était qu’un cauchemar. Tu es chez toi, rien ne peut t’arriver. Tu m’entends ?

— Oui, articula péniblement l’enseignante.

— C’est bien. Inspire. Expire. Doucement. Tu es en sécurité.

Christine éclata alors en sanglots tandis que son amie la réconfortait du mieux qu’elle le pouvait.

— Tout va bien se passer maintenant. On va prendre le thé et tu vas oublier ce mauvais rêve.

— Tu as raison, déglutit non sans mal l’irlandaise.

— J’ai toujours raison », conclut l’italienne d’un sourire complice.

La mère et la fille sortirent alors de la chambre pour préparer le tea-time tandis que la professeure allait se débarbouiller dans la salle de bain afin de reprendre contenance.

*

De son côté, Chin avait fait sensiblement le même songe. Lui aussi s’était retrouvé devant les falaises imposantes de Molher, nimbé de cet aura violet, de ces loups gigantesques, de ces golems de pierre et de cette lave transformant la verdure en une immense zone de désolation ocre.

Il se voyait placé dans un coin de verdure, mystérieusement préservé, un violoncelle près de lui. Il en sortait une mélodie joyeuse, incongrue vu la situation. Sans s’en rendre compte, il extirpa une des cordes de l’instrument, la recourba tel un lasso et la lança sur une femme au loin qui s’était rapprochée du bord de la falaise.

D'un geste précis, il attrapa la tête de l’inconnue, il la tira, et malgré les pieds de la victime qui freinaient sa progression, pas après pas, elle se rapprochait de lui.

Au milieu du parcours, un changement s’opéra, ses avant-bras ainsi que ses mains gonflèrent, tout en muscles, et l’inconnue arracha la corde qu’elle jeta au sol. Puis, elle s’éleva dans les airs et se métamorphosa en une créature hideuse composée du visage des quatre amis de Chin. La bouche découvrit des crocs aiguisés et ses yeux brillèrent d’une lueur haineuse.

D'une célérité stupéfiante, la monstruosité chargea et engloutit la cheville de l’adolescent. Chin hurla de douleur.

La bête recula de quelques pas et arbora un rictus de satisfaction. Les quatre lèvres remuèrent et déclarèrent à l’unisson :

« Chin, tu es trop faible. En offrande, nous allons t’ôter la vie. Nous t’avons tant aimé. Tous. Rejoins-nous au pays des ombres, où tu seras plus fort, plus magnétique, plus puissant. C’est ton heure. Laisse-toi faire. La souffrance et le chagrin n’existeront plus. »

De nouveau, la créature fondit sur l’adolescent, elle lui arracha une oreille tandis que sa main gigantesque pénétra dans le nombril du jeune homme pour extraire ses intestins.

Une bague, gravée d'un serpent se lovant autour de sa queue, en sortit.

Soudain, le ciel se nimba d'une aura violette. Le cobra du joyau s'anima. Il se jeta sur la créature. Se muant également en un reptile géant !

Les deux monstruosités fusionnèrent et fièrent vers Chin. L'abomination frôla sa tête et murmura :

« Nous t’avons révélé Chin. Prends conscience de ce que tu es vraiment. Ne recule plus. Nous t’avons tant aimé. »

Elle se colla ensuite au visage de Chin et explosa !

L’adolescent ouvrit alors ses yeux. Il se trouvait chez lui, étendu dans l’herbe des collines de Donghae, à côté de son amie Mélissa, qui dormait paisiblement.

Ses songes le poursuivaient incessamment, même dans ces rares moments de quiétude, de nuit comme de jour. Il tentait, par tous les moyens possibles, de ne pas dormir, mais lorsque le sommeil le happait, ses cauchemars reprenaient. De plus en plus intenses. La peur cédait face au plaisir du sang. Il devait trouver un point d’ancrage avant de sombrer dans la folie ou pire commettre les atrocités de ses songes. Il devait s'isoler pour le bien de tous. S'enfuir, même de Mélissa. Il ne supporterait pas qu'elle soit blessée.

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