8  - Une pilule difficile à avaler 1/3

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« Pour ceux qui ont peur du médecin »

Le lendemain, je me rendis à mon cours à l’heure convenue. Je ne pouvais décevoir ni faire attendre Sarah. Lorsque je la vis, je dus me retenir pour ne pas lui sauter dans les bras, mais nous échange âmes tout de même deux bises très tendres.

Tout à son rôle de professeure, elle nous mit rapidement au travail. Pendant notre ouvrage, je lui fis part de ce que j’avais fait la veille au soir, éludant les recherches faites à son sujet.

— Tu as fait beaucoup en peu de temps !

— La journée était effectivement mouvementée !

Je voulais lui parler de l’enquête que j’avais menée à son sujet, mais une boule vint se loger dans ma gorge, empêchant les mots de sortir.

— J’ai comme l’impression qu’il y a quelque chose. Tu veux me parler et tu n’y parviens pas.

Elle s’approcha de moi, et me caressa doucement la joue. Je fermai les yeux un instant, respirai. Elle était si proche, je pouvais la sentir, son odeur, son souffle, si je tendais mes lèvres vers elle… Je rouvris mes yeux, respirai et les plongeai au fond de son regard. La puissance de cette communication non dite me donna le courage dont j’avais besoin.

— J’ai compris quelque chose sur toi.

— Ne te met pas dans un état pareil, tu n’as rien à craindre de ma part.

La douceur de son sourire ne laissait planer aucun doute sur sa bienveillance. Je pouvais tout lui dire, elle ne se fâcherait jamais à mon égard. Ses yeux me l’avaient dit.

Je lui racontai les hypothèses que j’avais échafaudées la veille au soir. Elle m’écouta patiemment et lorsque j’eus fini mon exposé, elle s’expliqua avec bienveillance :

— Il n’y a pas d’autre sorcière que moi, et les cent cinquante ans que tu as calculés, je les dépasse aisément. Je vais te laisser digérer cette information. Il te reste beaucoup à découvrir à mon sujet. Je t’en parlerai lorsque tu estimeras être prête, c’est déjà assez déboussolant ainsi. Tu peux cependant être sûre que chez les gens comme moi, c’est tout à fait normal.

Je me sentais un peu gênée, il fallait que je le lui dise. Tout.

— Je n’aurais pas dû enquêter sur toi, j’ai trompé ta confiance. J’ai honte. Mais j’avais pressenti qu’il y avait quelque chose d’étrange, ça frôlait l’obsession. Il y avait des incohérences criantes dans le discours de ma mère et de mon grand-père.

Elle posa gentiment et simplement la main sur mon épaule.

— Il faut dire aussi que je t’ai menti sur mon compte, ce n’est tout de même pas très honnête de ma part, tu ne trouves pas ?

Comme je ne répondais pas, elle enchaîna :

— Je t’ai parlé d’histoire de mère et de fille alors qu’il n’y avait qu’une personne ! Moi. Mais comprends-moi, pour qui me prendrait-on si je donnais mon âge à tout le monde ?

Elle prit sa main dans la mienne.

— Je ne te mentirai plus désormais. Par contre, je ne te dirai pas encore tout. Mais c’est pour ne pas te brusquer. Je suis impressionnée par ton intelligence, ta sincérité et ta bravoure.

Elle souleva ma main et y déposa un baiser accompagné d’un sourire. Mais je baissai mon regard, honteuse de ma fourberie. Mais j’avais décidé de tout lui dire. Serrant ses doigts dans mes mains, je me lançai :

— Le problème est que j’ai demandé de l’aide à un oncle. Il est journaliste. Il a accès aux anciens journaux, il a donc effectué une recherche pour moi. Je lui ai juste dit de chercher ce qu’il trouvait sur toi et ta famille dans les archives des journaux.

Elle parut embarrassée. Je continuai :

— Cependant rassure-toi, je lui ai demandé de ne pas poursuivre ses investigations. Il a bien vu qu’il y avait quelque chose d’étrange en constatant les dates de naissances et de décès trouvées dans les journaux de l’époque. Mais c’est un homme honnête et il ne divulguera rien à moins que je ne lève l’interdit. Je n’aurais pas fait appel à lui si j’avais eu le moindre doute.

Un soupir rassuré s’échappa d’entre ses lèvres. Elle me tendit sa joue sur laquelle je déposai une bise :

— Voilà, Margaux, tu es pardonnée !

— Je ne te demanderai pas ton âge maintenant. Je préfère patienter encore un peu, vu que je ne sais pas à quoi m’attendre. Et cette fois-ci, je ne prendrai pas le risque de te compromettre.

Je fus bien soulagée qu’elle ne m’en veuille pas.

— Ta franchise te vaut un petit supplément : mon vrai nom est Eorelle, je ne le révèle qu’à peu de gens, comme ton grand-père.

— Eorelle… Je garderai ton secret.

Je prononçai son nom avec délectation, comme une friandise qu’il convenait de savourer avec lenteur pour en sentir les arômes délicats. Ce nom étrange lui allait beaucoup mieux. C’est comme s’il la définissait, comme s’il faisait partie intégrante d’elle-même.

Nous laissâmes l’affaire et reprîmes nos bavardages, rires et explications botaniques. Lorsque nous ne parlions pas, elle fredonnait de sa voix fluette. Il n’y avait pas de paroles, mais son chant vivait avec la forêt, ses habitants, ses ruisseaux et les vents qui la traversaient. Elle vivait l’instant présent. J’étais tellement bien avec elle, nous avions toujours quelque chose à nous dire, un peu comme quand j’étais amie avec Bastien, quoiqu’avec quelque chose de plus. Je sentais ce lien étrange, quasiment palpable qui nous liait désormais. Il animait son sourire, ses si beaux yeux, et mon cœur aussi.

Après notre repas, toujours aussi délicieux, l’heure du départ sonna. J’avais envie de rester auprès d’elle.

— Margaux, je voudrais aller voir Bernard. Pourrais-je t’accompagner ?

— Tout le bonheur est pour moi ! Grand-Papa sera certainement heureux de voir son amie également ! Quand je l’ai laissé hier soir, j’ai eu l’impression qu’il allait mieux.

— Ah c’est bien ! Ma visite est amicale, mais aussi professionnelle, je voudrais voir dans quel état il est précisément au cas où il faille doser différemment les tisanes. Je ne sais pas quel médecin prescrirait quelque chose sans avoir vu son patient ! Hier soir… nous étions dans la précipitation.

Nous cheminâmes en devisant bras dessus, bras dessous. Arrivées non loin du village, nous bifurquâmes du sentier habituel pour le contourner par le nord. Elle ne souhaitait pas être vue des habitants.

Peu de personnes connaissaient son existence et c’était bien mieux ainsi, car la plupart des gens avaient peur des sorcières et de tout ce qui sort de l’ordinaire en général.Certains comme mon père allaient jusqu’à la haine.

— En ce qui concerne ton identité et tous les documents officiels, ne pourrais-tu pas changer quelque chose pour que les dates soient moins régulières ? De nos jours, avec les ordinateurs, les recherches s’effectuent facilement et rapidement, ça pourrait être dangereux pour toi.

— J’en parlerai à la grande prêtresse, c’est elle qui gère ça. Les dirigeantes du temple d’Amalfay se partagent ce secret depuis des générations. Je pense qu’elles ont des contacts bien placés parmi les employés de mairie pour effectuer ces petites manipulations. Mon but, vois-tu, est seulement d’avoir une existence officielle explicable.

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