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L'aventure, vous n'aimez pas.
Mais aider une femme en détresse, une personne avide de connaissance, qui ne sait pas par où commencer, ça, c'est dans vos cordes, et puis, toutes choses étant égales par ailleurs, cette affaire n'est pas à proprement parler une aventure. Tout au plus un loisir durant une étude aride, Juste une petite visite des allées et quelques menues recherches. Voire, éventuellement, prêter un ouvrage le temps d'en consulter un autre. Ce n'est pas grand-chose. Rien de grave. Espionne ou pas, Marika, vous pouvez bien lui offrir ce menu service.
— Je suis fascinée par ce Prinn, chuchote-t-elle en promenant sa main le long d'une rangée d'ouvrages finement reliés. Où pourrais-je en trouver plus ?
Vous êtes une fine mouche, vous le savez. Mais elle ne le sait pas. Il est temps de briller, mon vieux. Rangez donc ce bégaiement, débarrassez-vous de cette crispation, dites-la-lui, tout à trac, votre bonne idée.
— On (charmant, vous brandissez déjà un « on ») ... on a qu'à le pister.
Mais comment ? êtes-vous certain qu'elle va vous demander, la bouche en cœur.
— Mais comment ? murmure-t-elle, effectivement.
C'est bien simple, pensez-vous, et vous ne vous gênez pas pour le dire.
— C'est bien simple, nous allons chercher dans ...
— ... dans ?
Le suspense est à son comble. Elle frétille, ça se voit. Vous annoncez :
— Dans l'index !
Le mot, malgré sa puissance d'évocation, tombe plat.
— L’index ? fit-elle en regardant son doigt.
Ce qui, pour vous, est l'arche d'alliance, ne semble rien lui évoquer.
— Le catalogue thématique ! Les fiches !
— Bonne idée ! s'exclame-t-elle, mais où...
Elle n'a pas le temps de finir sa phrase que vous êtes déjà parti rejoindre l'immense meuble garni de tiroirs que vous connaissez par cœur. Votre imaginaire florissant vous laisse penser que vous avez virilement saisit la main de Marika, l'avez entrainée en silence entre les rangées, surpris par votre propre audace. Entre les C et les E du rayon botanique, vous l’avez saisie par la taille, plongé vos yeux, exemptés de culs de bouteilles, dans les siens, murmuré quelques tendres mots et collé votre bouche contre la sienne – non, mieux ! C'est elle qui vous embrasse, complètement sous le charme de votre splendide intellect...
N'oubliez pas qu'il s'agit là de votre imaginaire florissant. En réalité rien ne s'est encore passé.
Si votre rêve doit devenir réalité, si vraiment vous voulez essayer de faire tout ça, que vous y croyez... Foncez, que voulez-vous, on ne vit qu'une fois, foncez donc au 26
Si cette rêverie, à peine ouverte, s'est déjà clôturée. Que vous êtes déjà dans vos tiroirs pendant qu'elle erre encore dans les rayons à votre recherche. Fouillez, en 27
Si, stressé par cette évocation paradisiaque, vous ne tenez plus et rougissez. Que votre cortex, déjà fumant, commence à flamber sous le coup de l'émotion, que seul l’exil demeure envisageable : disparaissez au 25, dans votre refuge secondaire, mais sans la belle.
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