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Guilleret, vous avancez tel un cougar victorieux vers ce havre de savoir qu'est la bibliothèque du Miskatonic. Vous voyez se dessiner ses contours gréco-romains derrière les bâtiments d'une triste modernité qui peuplent l'upper campus.
Son petit nom, vous le connaissez, c'est l'Armitage Library. Si le mot ressemble à s'y méprendre à l’ermitage, cette chose enviable auquel tout bon universitaire aspire. Il ne s'y réfère pourtant pas. Ce nom, on la lui attribue à cause de son directeur de toujours, Mr Henry Armitage. Un héros, une star, l'un des personnages les plus en vogue de ce campus. Rien que d'imaginer devenir comme lui – un vieil homme, gonflé de savoir, l'œil vif, capable de vous réciter par cœur tout Shakespeare ; un savant, même un génie, doublé d'un innovateur, n'ayant pas hésité à dénicher les ouvrages les plus rares pour faire de sa bibliothèque et sa collection occultisme l'un des trésors les plus inestimable de toute la côte Est des Etats-Unis, et même de tout le Commonwealth ! (Reprenez votre souffle) – et vous en transpirez d'excitation.
L'accomplissement est dans les livres ! Vous le savez, tout le monde le sait. Au diable ces mauvais esprit qui louent le cinéma, ceux qui vénèrent ces récents, mais ridicules, films parlants ! Non, les livres sont l'avenir, comme ils sont le passé, et le présent !
Vous approchez encore, vos pas sont impatients, ils veulent arpenter ce parquet mille fois foulé, retrouver ce bois grinçant et s'élever (Car oui, les chaises des pupitres sont hautes et vos pieds quittent le sol). Vite l'Index ! Ver, vert, vers, verres ! Des liens avec Prinn, ou avec Beck ! L'aventure en plein campus, un jeu de piste dans les allées enpagées. Quelle excitation !
En plus, vous aurez la voie libre et exemptée de russophone ! Depuis la fermeture de midi – ce flottement abusif laissant les consultants en attente de dévorer toujours plus d'ouvrages – beaucoup d'eau de la rivière Miskatonic a coulé sous les jolis ponts. Il est évident que le régime soviétique, incarné par Marika Petruskova, a d'ores et déjà baissé les bras devant l'ampleur de cette tâche de recherche et soit retournée, déprimée, vers ses contrées froides. Mais oui, Marika, tu ne le savais pas... Mais entrer dans une bibliothèque américaine c'est un peu comme pénétrer dans la forêt amazonienne, il faut être préparé et avoir le matériel. On ne s'y aventure pas tout nu, avec juste deux idées et un peu de courage. C'est plus comme une expédition – Non ! Comme un pèlerinage ! La fortune vous y attend au bout d'un long chemin jalonné d'épreuves !
Ah... Marika... si belle... si indomptable. Tant mieux qu'elle disparaisse de votre vie !
Et bonjour les recherches bibliographiques, seul aux commandes !
Arrivant devant les portes majestueuses, parmi le groupe d'impatients qui trépignent sur les pavés encombrés de pétales, se trouve Rufus, votre « ami » (nous mettons des guillemets, sans préciser, mais tout le monde a compris), qui poireaute gentiment, car Rufus est placide et c'est sa principale qualité.
— Pas encore ouvert ? interrogez-vous, tout en inspectant l'horloge qui vous reluque de ses aiguilles du haut du bâtiment. Il est pourtant 01h30 et 40 secondes...
— Je sais pas, grince-t-il, comme une vieille porte.
Il n'a jamais mué ce gars-là, il est trop attaché à son enfance pour y parvenir. Il se contente de vous contempler de son œil torve. Une crotte de nez semble respirer sur le coin de sa narine gauche. C'est un peu déplaisant... Que faites-vous ?
Si vous lui faite une remarque, allez au...
Attendez !
Il se passe quelque chose d'étrange. Un bruit peu commode semble émaner de la porte d'entrée du temple. Une créature d'abord crissante, ensuite beuglante, parvient à s'extirper de la bibliothèque en perçant les deux grandes portes autoritaires. Même si son tohu-bohu équivaut aux sirènes du Titanic, son volume n'a rien d'un paquebot. C'est une petite femme filante qui vient d'émerger brutalement de l'obscurité. Elle est poursuivie par un « Au voleur ! » poussé par une bibliothécaire échevelée, peinant à la rattraper pour cause de poumons encrassés.
Vous avez l'œil, sinon vous ne seriez pas universitaire. Même d'ici, en bas de l'escalier, c'est clair, vous n'avez aucun doute sur l'identité de la voleuse, il s'agit de la très bolchévique Marika Petruskova.
Sa forme, floutée par la vitesse, vous dépasse. Durant la fraction de seconde où elle vous croise, vos yeux se rencontrent, les siens disent « Viens », les votre ne disent rien. Ou, tout au plus, un « Au secours, les russes débarquent ». Toujours est-il que tout cela va trop vite pour réfléchir.
Vous êtes pris par l'urgence :
La suivre – vite ! – en 75
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