La réalité vous semblait être une chose stable, tangible, réconfortante. Pourtant, vous sentez en vous que cette certitude vacille.

Vos doigts picotent. Vous les regardez, qui donc les anime ? Vous, Robert Smith ? Ou quelque-chose d'autre ?

Ils bougent. L'avez-vous décidé ? Vous en doutez. Un élément sous-jacent à votre perception vient poindre hors du sensible. Comme si une voix s'inscrivait en vos membres, votre corps, votre chair et vous influençait. Ils tremblent sous vos yeux. Vous ne les sentez bientôt plus, vous les voyez encore mais ils changent, ou plutôt ce que vous voyez s'infléchit : ce n'est plus cette forme, ce rose pâle qui se découpait sur le décor, ces extrémités que vous connaissiez si bien ; à la place, vous percevez l'information qui se rapporte à eux « Des doigts bougent, des doigts tremblent ».

Horrifié, vous comprenez que seuls les mots animent désormais le monde, que seul le sens, les signes qui s'y rapportent traduisent son état et donc le vôtre. Vous vivez dans des phrases, des symboles, des mots ? Vivez-vous ?

Vous comprenez que depuis toujours c'est le cas, vous êtes un être construit de mots, un simulacre d'existence. Et vous ne savez plus qui est maître à bord. Qui bouge ces doigts ? Qui dit, qui écrit que ces doigts bougent ?

Robert Smith, juste un nom, juste quelques signes assemblés. Votre vie ne tient qu'au fil ténu du sens, qu'à quelques lettres perdues dans une infinie clarté.

Vous qui avez toujours vécu pour les livres, fuyant la réalité et les autres, pour vous perdre dans le calme réconfortant de milliers de petits signes noirs assemblés sur fond blanc. Vous comprenez à présent pourquoi. Vous en faites partie.

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