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Les Flemmington sont là.
Leur maison laisse sa chaude lumière s'échapper par ses vitres, pour venir s'abattre sur le trottoir baigné de la pâle pénombre de cette fin de journée.
Et quelle journée ! Vous n'êtes pas fâché d'enfin rentrer pour vous reposer.
Vous pénétrez le salon, attenant au hall. Un feu y ronronne, devant un Mr Flemmington balançant dans son rocking-chair. Il lit son journal. Parfois vous avez l'impression qu'il n'est qu'une marionnette sans vie, tout juste capable de mimer une lecture tout en grommelant.
Inutile d'essayer de lui parler, cet homme-là est trop asocial. Vous allez donc vers la cuisine. Mrs. Flemmington y coupe paisiblement ses légumes.
— Je suis rentré, madame Fl...
Elle se retourne d'un seul coup, comme si le diable en personne venait de lui apparaître !
— Oh pardon, Mr. Smith... Vous m'avez surpris !
— Ce n'est que moi, je ne voulais pas vous surp...
— Vous mangez avec nous ? vous interrompt-elle, en brandissant son couteau.
— Euh... Non... Je vais directement me coucher. Excusez-moi encore pour...
— Vous l'avez trouvé ?
— Pardon ?
— Le livre des vers ? Vous l'avez trouvé ?
— Je... Non... Excusez-moi, je tombe de sommeil ! A demain ! proclamez-vous tout en vous esquivant le plus vite possible.
Vous grimpez quatre à quatre jusqu'à l'étage et vous refermez la porte de votre chambre derrière vous. Vous regrettez alors amèrement que les propriétaires ne vous aient jamais concédé de clé. Celle-ci vous aurait préservé d'eux...
Se pourrait-il que vous ayez déjà mentionné ce livre en discutant avec votre logeuse ? Vous en doutez fort...
Vous restez quelques heures à ruminer l'étrangeté du monde dans votre fidèle lit.
D’épuisement, vous finissez par sombre dans le sommeil.
Des êtres sans visages grimpent un gouffre insondable pour vous attraper et vous y entrainer. Leurs mains grises et veinées de rouge s'agrippent à la roche ténébreuse. Leurs attitudes crient leurs désirs de se déverser sur notre monde. Vous brandissez l'ouvrage De Vermis Mysteriis et vous le leur jetez.
Marika crie alors « Non ! » mais il est trop tard, le livre taillé dans les chairs mortes de multiples animaux descend déjà vers les tréfonds. Les créatures grouillantes se détachent une à une des parois pour tenter de l'attraper, pour l'empêcher de tomber ou pour s'y précipiter avec lui, impossible à dire. Mais le spectacle brille par son atrocité. Ces légions grouillantes vont toutes, en se suicidant, poursuivre de l'abominable ouvrage dans le néant.
Quand il atteint enfin le fond, une voix terrible en émerge en fait trembler la terre, elle hurle :
— Réveille-toi !
Vos yeux se sont ouverts sur le plafond craquelé.
Vous vous redressez d'un coup, inspectant chaque recoin de l'austère chambre. Le crucifix au-dessus de votre lit semble vous regarder, compatissant.
Vous êtes à peu près certain que quelqu'un a vraiment prononcé « Réveille-toi » juste à côté de vous. Vous êtes terrifié.
La porte de votre chambre s'ouvre alors lentement. Derrière, le couloir, vide. Personne.
Vous vous levez en tremblant, vous munissant de votre livre de chevet comme seule arme.
Vous avancez prudemment vers la porte grande ouverte. Soudain un grand fracas retentit à l'étage du dessous. Suivis d'une course éperdue dans l'escalier.
Ça vient vers vous ! Qu'allez-vous faire ?
Vous n'avez pas le temps de réagir qu'une silhouette fugace s'immisce entre les montants et traverse la pièce à toute vitesse. Vous brandissez votre piètre gourdin pour l'abattre sur l'ennemi, quand soudain vous le reconnaissez. Il s'agit de Mrs Flemmington, échevelée, le regard fou, comme un animal pourchassé, qui se précipite vers votre table de nuit. D'un geste vif, elle y pose un papier et s'encourt ensuite en sens inverse, avec la même effarante vigueur.
Il vous faut quelques minutes pour reprendre vos esprits, ensuite encore quelques-unes pour oser bouger. C'est finalement après un bon quart d'heure que vous parvenez au petit meuble et que vous attrapez le billet.
Il y est inscrit, d'une écriture tremblotante « Albion street, 92 – Arkham », suivi de « Alastair Beck a Le Livre », tracé avec d'agressives hachures.
Alastair Beck, cet homme effrayant. Celui qui a failli vous faire échouer à vos examens, celui qui a toujours trainé ses airs de croquemitaine sous les airs inquiets des élèves, celui qu'on surnommait « le fantôme du campus ». Alistair Beck était donc celui qui possédait le De Vermis Mysteriis.
Plus possible à présent de reprendre tranquillement votre vie de rat de bibliothèque. Vous avez mis le doigt dans un engrenage qui vous emporte corps et biens dans une imposante machinerie.
Vous voudriez avoir le choix. Mais quand vous sortez de la maison des Flemmington – qui pour une fois sont rassemblés dans le salon, affichant un sourire infernal – le monde extérieur, engourdis de pluie, vous semble être devenu désert. Quelque-chose vous dit à présent qu'il faut y aller. Aller là où vous êtes attendu, au 92
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